XXVIII.

54 6 0
                                    

Des larmes. Encore des larmes. Toujours, bel et bien des larmes. Ces goutelettes d'eau salée coulaient le long des joues de Bill, alors qu'il restait silencieux, allongé, calme. À première vue, on croirait juste que le brun dormait. Mais en fait, ce n'était pas le cas. Bill pleurait, une petite crise de larmes, des pleurs doux, ceux qui ne font pas mal. Ceux qui font du bien. Sa main s'égarait dans les cheveux et sur la peau de son cher et tendre endormi contre lui, plongé dans un sommeil calme et paisible, son sourire de la veille au soir échoué sur ses lèvres charnues. En silence, seul éveillé dans la pénombre de la chambre, Bill laissait son regard parcourir chaque parcelle du visage de son homme, comme si c'était la dernière fois qu'il avait le loisir de le regarder, pour en conserver les moindres traits, détails, grains de beauté, cicatrices. Tout y passait.

Plus le jeune homme l'observait, plus il le trouvait beau. Il l'avait toujours trouvé beau. Et s'il y avait bien une chose qu'il n'avait jamais oublié, c'était ce sourire, toujours omniprésent, même lorsqu'il dormait. Ce sourire le hantait, et le rassurait de la même manière. Lorsqu'il n'en pouvait plus, qu'il était aussi mort qu'un rat blessé, aussi abattu qu'un homme déshumanisé, aussi torturé qu'une chose qu'on utilise, lorsqu'il servait de vase, et que les corps impurs claquaient contre le sien, sali, noirci par des semences d'assassin, il pensait à ce sourire. Il se forçait à y penser. Pour rester en vie encore un peu. Les expressions du visage qu'avait Tom étaient ce qui le faisait tenir, quand plus rien d'autre ne le retenait. C'était en quelques sortes la dernière corde du filet, son dernier espoir de survivre. Il aurait tant donné pour avoir ce sourire près de lui durant ces longes années de déportation. De suite, il secoua la tête, se traitant d'imbécile égoïste. Tom n'avait pas à vivre ce qu'il avait vécu. Il n'avait pas à endurer les nuits qu'il avait endurées, à dormir sur des planches pourries. Il n'avait pas à ressentir la douleur de ses membres déjà douloureux qu'on fracasse, ni même la faim, déesse destructrice. Pour rien au monde il ne souhaitait que son Amour vive la même chose, ressente la même douleur que ce qu'il avait vécu et ressenti. Rien que de l'imaginer à sa place, dans cette pièce sombre et froide, recroquevillé à moitié mort, son âme détruite dans ce corps repoussant, vulgaire objet qu'on utilise pour se vider. Rien que d'y repenser, la souffrance était telle, qu'il ne put s'empêcher de verser d'autres larmes tristes, celles-ci se mêlant à celles d'avant, créant un mélange on ne peut plus hétérogène.

Le passé était si dur à oublier, à mettre de côté. Bill s'empêtrait dans son vécu, qui l'empêchait de se tourner une bonne fois pour toutes vers cet avenir dont il rêvait tant. Cet avenir avec Tom, avec Solange. Cet avenir à trois où ils formeraient enfin la famille dont ils rêvaient tous, à présent. Il en rêvait, de ce futur hypotétique et totalement irréel, après tout ce qu'il avait subi. Mais désespérément, tout restait à faire. Désespérément, il lui manquait l'amour. Au fond de lui, il savait qu'il aimait Tom plus que n'importe quelle autre personne. L'amour qu'il éprouvait envers lui était là, enfoui quelque part. Seulement, Bill était prisonnier de lui-même, et ses sentiments étaient enfermés dans une cage dorée. Bien entendu, le brun n'en n'avait pas encore trouvé la clé.

Le brun reconcentra son cerveau sur l'ange endormi près de lui. Il l'avait sauvé. Il l'avait sauvé et il n'en avait peut-être même pas conscience. S'ils étaient là tous les deux aujourd'hui, l'un contre l'autre, à dormir dans la même pièce, dans le même lit, tout ça, c'était grâce à Tom. Il était son anesthésiant, l'avait maintenu en vie pendant si longtemps, et continuait de le faire encore aujourd'hui. Bill caressa la joue duvetteuse de son homme, et sourit à ce contact. Le concerné remua légèrement dans le lit, et le brun prit peur, retirant prestement sa main. Il se retourna dans le lit, de façon à fixer le mur. Il ne fallait pas que Tom sache. Angoissé, il porta la manche de son haut à ses lèvres, et commença à le mordiller, tout en faisant abstraction des numéros bavants gravés sur son avant-bras, qu'il s'efforçait d'oublier.

Je t'attendrai.Where stories live. Discover now