- Qu'est-ce qu'il a l'ange ?

Bill crut qu'il allait mourir de peur, le poing encastré dans le placard, tant la remarque l'avait effrayé. Il s'était brusquement retourné, manquant de trébucher sur ses propres pieds, et avait eu la grande surprise de trouver face à lui la petite allumette qu'était Solange, avec ses cheveux couleur de feu.

- Que...Qu'est-ce que tu fais là je...Où est Tom ?

- Papa Tom m'a dit de dire à l'ange qu'il était parti acheter du manger.

Le brun baissa doucement son poing encore levé. Il demeurait immobile, intrigué par cette petite, à moitié habillée – elle avait dû enfiler sa robe seule, et ça ne s'était pas très bien passé – qui se tenait là debout, sans un mot, le regard rempli de questionnements.

- Pourquoi tu fais bobo à l'armoire, toi ?

La remarque sonnait comme un reproche, et non comme une véritable question. Cela sonnait comme une supplication, pour que Bill arrête. Stupéfait, il s'éloigna du placard et regarda la rouqine traverser la pièce en trottinant et se hisser sur le lit qui pour elle paraissait si haut. Arrivée à destination, elle s'assit en tailleur et attendit, silencieuse. Elle semblait vouloir quelque chose, mais le brun n'était pas assez expérimenté dans ce domaine pour comprendre ce qu'elle désirait réellement. Là où Tom avait tiré des avantages de sa vie sans Bill et de sa solitude, Bill n'avait rien tiré du tout. Ils n'avaient pas évolué dans le même milieu, et sept ans s'étaient écoulés depuis. Le brun n'avait jamais appris à être un père, et le seul semblant d'apprentissage qu'il ait eu, il préférait ne pas s'en souvenir, principalement parce que l'enfant était mort.

- Je suis Solange." déclara-t-elle en haussant les épaules, sa petite main tendue vers Bill qui n'avait pas bougé.

- Et toi tu es l'ange." continua-t-elle dans sa lancée.

- Qui te dit que je suis l'ange ?" Bill semblait intrigué par ce surnom qu'on ne lui avait jamais donné, et qu'il n'était pas habitué à entendre.

- Papa Tom dit.

Le coeur de Bill râta un battement. Il s'approcha du lit et s'assit par terre, ni trop près ni trop loin de la rousse qui le regardait, impassible, malicieuse, en jouant avec ses cheveux. Alors il était un ange aux yeux de Tom ? Celui-ci l'aimait donc encore ? Le jeune homme n'en croyait tout bonnement pas ses oreilles.

- Tu sais, Papa Tom l'est triste quand t'es pas là.

- Ah oui ?" fit Bill, de plus en plus surpris.

La petite acquiesça.

- Oui. Même que parfois, il était longtemps à la fenêtre et il chantait quelque chose pour toi. Il était vraiment triste. Et je crois vraiment amoureux. Mais chut, je devais dormir, il ne sait pas que j'ai tout entendu." Sa frimousse s'étira d'un air malingre alors qu'elle souriait de toutes ses dents, contente de l'interdit avec lequel elle jouait.

Les paroles de la petite revenaient sans cesse en boucle dans la tête de Bill, qui n'y comprenait plus rien et ne s'y retrouvait pas. Tom avait chanté pour lui. Tom avait pleuré pour lui. Tom était....amoureux de lui ? L'était-il seulement encore ? Tout dans le regard de l'enfant laissait paraître que oui.

- Moi j'aime bien quand t'es là toi. Ça me fait deux papas. C'est trop bien !

- J'ai fait du mal à Papa Tom, tu sais...

- Moi aussi. L'autre jour, je l'ai tapé sur la tête avec un bout de planche en bois." déclara-t-elle, le plus naturellement du monde, ce qui arracha un léger soubresaut à la respiration du brun, presque comme un rire.

- L'est pas fâché Papa, tu verras. Il est gentil Papa." reprit-elle ensuite.

Bill lui sourit, presque sincèrement, alors qu'il pensait à cette illusion de l'enfant pour un couple homosexuel, enfant qu'ils ne pourraient jamais avoir. Mais l'illusion persistait, devenait presque réelle, alors qu'il réalisait que Solange devant lui était le parfait petit modèle qui ferait d'eux une vraie famille. Si Tom voulait encore de lui.

[...]

Une bonne heure déjà s'était écoulée depuis que Tom avait couché Solange ce soir-là. La petite fille devenait grande, et avait enfin sa chambre à elle, aménagée exprès par le brun dans un ancien garde-manger. Il y avait lui-même construit un autre lit plus grand, et ils étaient ensemble allés acheter de quoi remplir la pièce, ainsi qu'un sommier et un matelas. Depuis, chacun avait sa chambre, et Tom devait bien avouer qu'il était tout de même heureux de partager la sienne à nouveau avec Bill. Il se sentirait bien trop seul dans cette grande chambre.

Aujourd'hui en particulier, la blessure de Tom le tiraillait. Il y avait des jours avec et des jours sans, aujourd'hui était de toute évidence un jour sans. Pour avoir moins mal, il la bandait et s'étalait une pommade graisseuse, assez désagréable au toucher. Mine de rien, la blessure du soldat était tout de même assez imposante, et lorsqu'il avait rejoint Bill dans le lit, celui-ci avait pris un sacré coup : Tom aussi avait souffert de la guerre. Le barbu s'allongea aux côtés du plus jeune, mais toujours à bonne distance, pour respecter cet espace qu'il voulait garder personnel. Il l'observait, alors que Bill avait le dos tourné contre le mur, le regard perdu dans le vide. Aucun des deux n'osait parler. Pourtant ils avaient tant à se dire.

- Tu m'as beaucoup manqué tu sais."

Tom avait toujours été le plus courageux des deux.

- Quand je passais mes nuits avec les autres, dans la boue parmi les rats et toutes les autres choses affreuses et morbides, quand ça sentait la mort parce que quelqu'un venait de se faire tuer trois mètres plus loin, quand il faisait froid, qu'on gelait, mais que je devais courir quand même...Je ne pensais qu'à toi mon Bill. À ces moments-là tu étais partout dans ma tête, partout. Il n'y avait plus que toi. Quand je suis revenu et que tu n'étais pas là, j'ai cru que mon monde allait s'effondrer une fois de plus. Mais je n'ai jamais, écoute bien, je n'ai jamais cessé une seule seconde de penser à toi.

Silence. Plus aucun ne parlait. Tom venait de vider une partie de son sac, tout en mesurant convenablement le poids de ses paroles et ses propos, sachant Bill fragile. Ça avait été dur, mais il l'avait fait. Maintenant, le silence qui avait bien commencé sa course s'installait lentement. Un bruit de draps froissés vint perturber ce moment, comme si l'un des deux cherchait quelque chose. Tom sourit dans la pénombre de la chambre.

La main de Bill était dans la sienne.

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Je t'attendrai.Where stories live. Discover now