- Enfin fait gaffe jeunot, c'est pas souvent qu'c'est fidèle pendant la guerre ce genre de...

- Elle le sera. On est pas vraiment comme les autres.

Il avait dit cette phrase tellement fort qu'il se demanda un instant si les Bosch avaient pu l'entendre, terré dans leur terrier à eux.

- Toi l'amoureux t'as sacrément l'béguin, j'te verrais presque rougir dans l'noir...

Rit l'homme alors qu'ils n'étaient effectivement éclairé que d'une lampe à huile mourante. Le brun sourit à cette remarque, peut-être pour une des premières fois depuis longtemps, et mordit doucement sa lèvre en laissant reposer sa tête contre le mur de gadoue, laissant un sanglot traverser ses lèvres.

- Ouais. Sacrément le béguin.

[...]

Bill se battait avec ses propres pensées, agité par le sommeil et souffrant d'un manque incomblable. Il n'arrivait pas à fermer l'œil, son esprit bien trop sollicité par les doutes et la peur. Ses lèvres tremblaient, ses joues trempées par le désespoir. Son unique crainte été née de son unique amour. Il se devait pourtant d'y croire, alors qu'il se précipita pour attraper sa vieille photo, passant une main chétive dessus. Ses os se laissaient deviner au travers de sa peau d'ordinaire déjà bien fine. Une goutte s'échoua sur le papier, alors que le brun déposait doucement ses lèvres veuves de baisers sur la photographie. Il ferma les paupières et tenta de se rappeler du goût de celle de son amant, alors qu'il se rallongeait douloureusement, serrant ses côtes maigres entre ses bras. Il installa le visage du jeune homme sur l'oreiller de plume d'à côté et passa une main distraite sur les jolis traits de son visage dont il n'avait pour souvenir que cette représentation.

- Tom...

Gémit-il, fermant les yeux, secoué par de légers spasmes, tentant de se rappeler de leurs moments doux, lorsque tout allait bien, lorsqu'ils se contentaient d'avancer sans jamais s'inquiéter de rien. Il tentait de se souvenir de ce temps-là, mais tout semblait si loin.

Il revoyait son homme, il y a une éternité, lorsqu'il n'avait été engagé que depuis peu au garage. Il arrivait à se représenter parfaitement pour la première fois depuis longtemps son visage, visage qui lui souriait avec plus de tendresse que quiconque ne lui en avait donné. Ce jour-là ils s'étaient occupés d'une grosse pièce, et Tom ne cessait de se battre avec le brun, lui étalant le cambouis sur le visage car ce dernier s'était moqué de sa drôle de dégaine. Ils ne se connaissaient que depuis quelques mois, mais l'attirance était évidente. C'était une attraction malgré eux, bien plus puissante qu'ils n'auraient pu l'imaginer. Ils se rendaient heureux par des gestes simples et courants, mais toujours démesurés lorsqu'ils sont effectués par l'être aimé. Le brun avait fini par le coincer dans ses bras et l'attirer contre lui d'une façon bien étrange, qui avait laissé perplexe Bill. Il l'avait alors regardé avec une intensité inhabituelle, le tirant légèrement au plus près de lui. Le brun n'en revenait pas, surpris qu'il ose une chose aussi interdite. Mais ce goût défendu semblait tellement unique et incroyable. Il avait fait non de la tête, riant dans le cou du plus vieux, croyant d'abord à une simple plaisanterie. Il aurait été tellement stupide d'espérer. Cette pensée fit sourire Bill qui enserra sa poigne sur le drap un peu plus fortement, lorsqu'il se mit à imaginer le plus délicieux de ce premier échange. Tom avait déposé sa bouche sur la sienne, sans pudeur, comme l'aurait fait un homme et une femme. Il aurait dû le repousser, mais comment aurait-il pu ? Son absence creusait un trou terrible dans sa poitrine, un gouffre.

Et si Tom ne revenait jamais ?

Cette pensée rendit hystérique de mal-être le jeune homme qui s'écroula moralement, pleurant sans retenu en songeant à l'enfer que serais sa vie sans lui. Rien n'aurait pu de sens étant donné que son but serait partit. Il ne pouvait concevoir de le perdre, lui qui était tout ce qu'il possédait. Il aurait donné sa vie sans hésiter pour le sauver. Si seulement il avait pu voler son visage en échange de cette vie futile et inutile. Il trembla de tout son long et fini par se lever, totalement paniqué. Il cherchait un repère, quelque chose. Il ne voulait pas de cette vie sans Tom. Son corps était secoué, balloté dans tous les sens par ses émotions désordonnées. Il avait fait de l'amour de sa vie un soldat destiné au pire des sors. Il attrapa en vitesse une veste épaisse et dévala les marches de la maison centenaire, bousculant quelques meubles involontairement. Macha dormait d'un sommeil si profond qu'elle n'entendrait rien de toutes manières. Puis ça n'avait plus vraiment d'importance. Il marcha dans les rues mal fréquentées, âme errante, perdue et blessée. Ses jambes fines à faire peur frémissaient sous l'attaque du froid et il courait, le plus vite possible, porté par un inconscient aussi puissant qu'incontrôlable. L'air s'emmagasinait trop vite dans ses poumons étriqués, alors qu'il trébuchait sur chacun des trottoirs, chacun des pavés. Les yeux brumeux, il arriva enfin à destination, ouvrant d'une main hésitante la maison qu'il connaissait si bien. Il avait récupéré la clé sous le petit vase, comme lui avait conseillé Tom avant de partir. Il força la serrure difficilement et monta les escaliers deux par deux, se retrouvant enfin dans la petite chambre au grenier. Il crut défaillir en voyant les draps qui étaient encore comme ils les avaient laissés. On y sentait encore l'odeur de leurs ébats et surtout celle de Tom, omniprésente. Le brun, comme possédé, s'agenouilla devant le lit tombeau de leur liberté et y plongea, inspirant l'odeur musquée et si virile de Tom. Il l'aimait cette odeur, Tom sentait le café frais et les agrumes. Il laissa ses larmes mouiller le matelas et aperçu leur livre préféré sur la commode, toujours rendu à la même place. Il le fixa quelques instant et un sanglot le secoua lorsqu'il se rappela qu'il ne pouvait même pas le lire, en étant drastiquement incapable. Il le connaissait par cœur de toute façon. Il plissa les yeux pour essayer de mieux percevoir l'endroit et s'écroula finalement de fatigué, imbibé de l'odeur si familière de son amour. Il l'aimait à en crever, cette absence allait le rendre fou.

Je t'attendrai.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant