Depuis lors, il ne pouvait ôter de sa tête les gémissements entendus à travers la porte et des questions impossibles à formuler se bousculaient aux portes de son esprit. Il ne savait au juste ce qui le choquait le plus : découvrir soudain cette facette d'Artemus jusqu'alors inconnue ? L'indifférence affichée par frère Gabriel ? Avoir l'impression d'être le seul à avoir été exclu de la confidence ? Ou encore la remise en question de l'ensemble de son enseignement ? Car si l'on pouvait ignorer ainsi cet aspect de la vie des templiers, qu'en était-il des autres ? Ne pouvait-on simplement renier l'ensemble ? Le mot qui lui paraissait le mieux convenir à ce qu'il ressentait était « trahison ».

Pourtant, frère Artemus était bien le dernier homme duquel il se serait attendu à être trahi. Bien sûr, il savait que nul homme ne naît templier, que cet état nécessitait un exercice assidu du corps et de l'esprit, que nombre des leurs succombaient à diverses tentations, s'écartaient à l'occasion de la voie tracée, de l'idéal. Mais Artemus, le Vieux Lion... Je l'ai probablement idéalisé, un peu comme un fils idéalise son père.

Lyren finit par se contraindre à relever les yeux pour soutenir le regard de son ami. « Il y a tout de même cette histoire de ferme au charnier qui revient souvent », lâcha-t-il.

Artemus leva un sourcil perplexe. « Cette histoire de boucher qui hante les bois ? Ça ressemble beaucoup à un conte pour effrayer les gamins.

-J'ai entendu plusieurs versions divergentes, mais il semble bien y avoir eu un massacre dans une ferme il y a quelque temps. Des reîtres et une famille de fermiers. Plusieurs récits se recoupent, de divers endroits alentour. »

Estrella fit un signe de tête dans sa direction. « Je rejoins Lyren là-dessus. Nous en avons tous entendu parler. Et la ferme est située au nord d'ici. » Une ombre passa sur son visage. « Je n'ose l'affirmer, mais je crains que ma sœur fasse partie des victimes de ce carnage. Et je pense que c'est dans cette voie que nous devrions poursuivre nos recherches. »

Artemus tira longuement sur sa pipe, songeur. Il jeta un œil interrogateur en direction de Gabriel. L'officier archiviste plissa le front. « Eh bien d'après ce que l'on sait, la sœur s'était attaché le service de mercenaires, elle investiguait dans cette région et recherchait la même chose que nous. Il serait sage, à tout le moins, de vérifier cette piste-là. Mais je recommande la plus grande prudence, car à suivre les mêmes sentiers, nous croiserons les mêmes périls.

-C'est à plusieurs jours d'ici n'est-ce pas, la fameuse ferme ? Dommage, cette auberge faisait un bon point de chute je trouve, il y a beaucoup de passage... enfin si vous êtes tous d'accord, je m'incline. Demain matin, j'interrogerai ce marchand qui vient d'arriver avec ses gens. Nous partirons après le déjeuner. »

Là-dessus, la jeune femme rousse qui leur avait servi leurs repas s'approcha d'un pas hésitant. En pénétrant dans le halo vacillant de la lanterne qui saupoudrait de feu sa chevelure, elle serrait son tablier dans ses mains et leur adressait à tous des regards inquiets.

« Mademoiselle ? dit simplement Artemus afin de l'inviter à parler.

-Je... je m'excuse de vous interrompre, mais j'ai un message à vous transmettre.

-De la part de qui ?

-Eh bien il... il a préféré rester vague, je le crains. Il m'a dit connaître l'objet de vos recherches et détenir des informations qui pourraient vous être utiles. Cependant il tient à ce que votre rencontre reste secrète. D'après lui c'est plus sûr pour tout le monde. »

Les templiers se regardèrent. Les sens de Lyren étaient soudain en alerte, la torpeur dissipée comme brume au vent. À sa gauche, Estrella sonda la jeune femme sans retenue et plissa les paupières. Celle-ci sembla rapetisser.

L'empire de la nuitحيث تعيش القصص. اكتشف الآن