146 - Rage

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Tamara écumait de rage en plongeant précautionneusement son corps meurtri dans la baignoire. Elle avait tenté d'utiliser la douche, mais le jet était trop agressif pour sa peau malmenée. Elle était en colère contre François qui avait accumulé tous les clichés sur la fragilité des femmes enceintes et la dangerosité de la moto. Elle avait besoin qu'on lui témoigne du réconfort, qu'on la félicite de s'être si bien tirée d'une situation délicate, qu'on compatisse sur la perte de sa moto et sur sa déception de ne plus la conduire durant des mois. Mais il n'avait su que l'accuser de ne pas prendre soin de son bébé. Avait-elle besoin d'être culpabilisée ? Croyait-il qu'elle n'avait pas mesuré combien elle était passée près de la fin ? Ne comprenait-il pas qu'elle ne voulait pas qu'on le lui rappelle ?

Elle eut un rire rauque quand elle réalisa que deux inconnus avaient mieux deviné ce qu'elle avait besoin d'entendre que son compagnon, le père de ses deux enfants.

Elle devait reconnaître qu'elle faisait peur à voir. Tout son côté droit était jaune, parsemé de larges zones violacées. Elle avait quelques égratignures, colorées en rouge par le désinfectant qu'on lui avait appliqué aux urgences. Il fallait qu'elle cache ses vêtements aussi. Ils montraient trop la violence du choc.

Elle contempla son ventre, un des rares endroits avec son visage à ne porter aucun témoignage de son accident. Elle avait pleuré pendant l'échographie. Elle qui avait encore des réserves sur cet enfant avait réalisé à quel point elle tenait à lui. Elle s'était promis de faire son possible pour mener cette grossesse à terme. Cependant, elle ne supportait pas que François laisse entendre qu'elle avait été négligente. Elle n'avait jamais eu d'accident grave auparavant, elle était entraînée, elle était prudente. Elle avait haï les diverses personnes qui, durant son parcours hospitalier, avaient eu le culot de lui dire en face qu'on ne faisait pas de moto quand on était enceinte. Non, mais de quoi je me mêle !

Avec précaution, Tamara fit jouer toutes ses articulations les unes après les autres. On lui avait donné des cachets contre la douleur, avec instructions fermes de ne pas en prendre d'autres qui pourraient s'avérer incompatibles avec son état. On lui avait aussi délivré une semaine d'arrêt de travail avec le conseil d'aller voir un médecin avant de reprendre. Il fallait qu'elle appelle son patron pour le mettre au courant.

Dans l'eau chaude du bain,elle se reposa un long moment, laissant ses muscles se détendre. Julien vint la prévenir de l'autre côté de la porte qu'on l'attendait pour dîner. Elle répondit qu'elle arrivait.


Peine incompressibleWhere stories live. Discover now