146 - Réflexes

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Il était l'heure où Tamara aurait dû être rentrée chez elle quand elle sortit de l'hôpital. Pour n'inquiéter personne, elle avait refusé qu'on prévienne ses proches. Elle avait voulu passer les examens avant.

Tout allait bien. Son bébé se trouvait là où il devait être, elle n'avait pas de blessures internes, pas de traumatisme crânien, ni de fracture. Juste de larges contusions et des muscles froissés. Son blouson et le côté de son pantalon étaient complètement râpés et découpés par les secours, son casque cabossé, ses chaussures à coques éraflées. Tous les professionnels qu'elle avait croisés lui avaient dit qu'elle avait eu une chance inouïe et que son équipement l'avait préservée du pire.

Elle n'était pas d'accord avec cette idée de chance. Si elle n'avait pas accompagné sa moto sous le camion, ce n'était ni de la chance ni du hasard. Elle s'était volontairement dégagée et avait cherché la trajectoire la plus sûre. Elle n'allait pas très vite non plus, sachant que ce virage lui donnait peu de visibilité. Enfin, elle s'était offert les meilleures protections, qu'elle avait toujours scrupuleusement portées, même en plein été. C'est sa prévoyance et ses réflexes qui l'avaient sauvée.

Elle sentait les regards sur elle. Son blouson endommagé, les pansements qu'on voyait sur sa jambe là où ils avaient fendu son pantalon et son boitillement ne passaient pas inaperçus. Elle ne pensa pas à prendre un taxi. Elle se rendit à l'arrêt du bus le plus proche. Alors qu'elle attendait, elle se dit qu'elle aurait dû appeler François de l'hôpital. Son téléphone avait explosé et était maintenant inutilisable.

Enfin, le véhicule arriva et elle se hissa dedans. Elle dut changer deux fois avant d'attraper la ligne qui desservait son agglomération. Heureusement, une fois qu'elle y fut montée, une femme lui céda spontanément sa place. À son arrêt, elle descendit, les muscles raides et douloureux. Serrant les dents, elle attaqua la pente qui la séparait de son foyer. Au bout d'une minute durant laquelle elle boita de plus en plus bas, une voiture s'arrêta à son niveau.

— Vous allez loin ? lui demanda une voix d'homme.

— Pas trop, répondit-elle.

Par la vitre qu'il avait ouverte, elle vit le blouson du conducteur et sut que c'était un motard.

— Je me suis plantée aujourd'hui, expliqua-t-elle en montrant son casque qu'elle tenait à la main et qu'il avait déjà dû repérer.

— Monte, je te ramène chez toi.

Elle grimpa dans la voiture en grimaçant.

— Merci. Deuxième à droite après la montée, puis au bout de la rue.

— Tu t'es pas ratée, dis donc ! fit-il remarquer.

— Et encore, t'as pas vu la tête du camion ! répliqua-t-elle, le faisant rire.

— T'as vraiment rencontré un camion ? demanda-t-il.

— Moi non, mais ma bécane, oui.

— Elle est récupérable ?

— Je ne sais pas. C'est la prochaine à droite.

— Je connais un bon réparateur, si tu as besoin, proposa-t-il en mettant son clignotant.

— Ça devrait aller, je bosse dans un garage. Juste après le feu, là-bas.

— N'attends pas trop avant de remonter, lui conseilla son conducteur après qu'elle soit descendue et qu'elle l'ait remercié.

— Je vais essayer, assura-t-elle sachant pertinemment qu'elle ne piloterait plus de moto avant de longs mois.

— Bonne chance.

— Merci ! À toi aussi.


Peine incompressibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant