32 - Lettres

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Julien voulait convaincre sa grand-mère d'intercéder auprès de son père. Il voulait vraiment revoir sa mère. Il espérait avoir persuadé Annie qu'elle n'était pas un danger pour lui.

— Comment elle a réagi quand tu t'es présentée à elle ? lui demanda ensuite sa Annie.

— Elle m'a reconnu tout de suite, se réjouit Julien qui se rappelait avec émotion de la surprise que cela lui avait causé.

— Tu ressembles beaucoup à ton père, fit-elle remarquer.

C'était un commentaire qu'il entendait très souvent, au point d'en être agacé, mais il dut admettre que cela avait dû jouer en sa faveur la veille.

— Oui, c'est vrai, convint-il. Mais tu sais, je crois que, quelque part, elle m'attendait.

Il ressentit l'envie impétueuse de partager avec sa grand-mère le merveilleux cadeau qu'elle lui avait fait.

— Il faut que je te montre quelque chose, dit-il en se levant. C'est dans ma chambre.

Elle le suivit à l'étage et il se saisit de la précieuse boite qu'il avait gardée sur sa table de nuit. Il l'ouvrit et en posa le contenu avec soin sur son bureau.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda sa grand-mère en prenant le premier papier.

— Elle m'a écrit chaque année pour me souhaiter mon anniversaire, expliqua-t-il. Tu vois les quatre premières lettres ? Elle était encore en prison et elle ne pouvait pas m'acheter de cartes spéciales. Mais après, elle a à chaque fois choisi des dessins en fonction de mon âge. Elle n'a jamais pu me les envoyer, alors elle me les a toutes données hier.

Il laissa sa grand-mère en parcourir quelques-unes. Depuis la veille, il les avait relues des dizaines des fois et les connaissait pratiquement par cœur. Il vit qu'elle déchiffrait la lettre écrite pour ses deux ans.

« Tu dois commencer à babiller, mon petit bonhomme. Quels ont été tes premiers mots ? J'espère un jour entendre ta voix. Si tu savais ce que je donnerais pour t'entendre m'appeler "Maman". Les deux bougies qui sont juste en dessous ont été dessinées par ta tante Cosima. Je t'envoie toute ma tendresse et des milliers de baisers. »

Sa grand-mère la reposa doucement et prit la carte de ses cinq ans.

« Oh, mon petit garçon, tu étais tellement mignon avec ton manteau vert et tes chaussures rouges. Tu as lâché la main de ton papa pour aller courir après des pigeons. Comme tu riais bien. Ça m'a fait terriblement plaisir de voir ta jolie petite bouille toute réjouie. J'aurais voulu te serrer dans mes bras, mais je sais qu'il ne vaut mieux pas. Tu es heureux avec ta famille, et ça doit suffire à mon bonheur. Sache que tu as tout l'amour de ta maman. »

— Elle est venue te voir ? s'exclama sa grand-mère très surprise.

— Oui, mais elle a vu Véronique et son bébé qui étaient avec nous, alors elle est repartie. Elle a pensé que je n'avais pas besoin d'elle.

En se rappelant le moment où elle lui avait raconté cet épisode, il sentit sa gorge se serrer.

— Je crois que cela lui a fait beaucoup de peine, ne put-il s'empêcher de commenter.

Sa grand-mère ne répondit pas, se contentant de prendre une autre carte. Celle de ses onze ans.

« Dans quelques mois, tu vas rentrer en sixième. Ça va me faire drôle de me dire que je suis la mère d'un collégien. Es-tu effrayé ou excité à l'idée de ce grand changement ? Je regarde les garçons de ton âge dans la rue, et j'ai du mal à imaginer que tu sois aussi grand qu'eux. Tu étais si petit la dernière fois que je t'ai serré dans mes bras. Je t'embrasse mon bonhomme et te souhaite une excellente année. »

Étrange de penser que cette femme au loin avait parfois eu les mêmes réflexions qu'elle-même qui avait accompagné Julien durant toutes ces années, songea Annie en prenant la carte suivante.

Peine incompressibleWhere stories live. Discover now