168 - Souvenirs

151 12 0
                                    


La confession de François avait fait remonter à la surface un ancien épisode de la vie de Tamara qu'elle eut, elle aussi, besoin de partager. Elle lui en parla quelques jours plus tard.

— J'ai failli me marier il y a quelques années, lui apprit-elle.

François hocha la tête pour lui montrer qu'il était prêt à l'écouter si elle avait envie de s'épancher.

— C'était quelqu'un de bien. Un motard que j'ai rencontré sur un circuit. Je lui plaisais beaucoup, il ne me déplaisait pas. On s'est fréquenté un moment, puis il m'a demandé de vivre avec lui. J'ai trouvé un autre boulot et j'ai déménagé.

Elle laissa passer un moment et continua :

— Il a commencé à parler mariage. Je n'étais pas contre. Je n'étais pas follement amoureuse, mais la vie avec lui était agréable, je l'appréciais beaucoup. Et puis il a dit qu'il aimerait avoir un enfant avec moi. Et là, j'ai compris que je ne pourrai pas.

François la serra doucement contre lui pour lui faire savoir qu'il comprenait combien elle avait dû être bouleversée à l'époque.

— Je ne lui avais jamais parlé de Julien, continua-t-elle. Je lui avais dit tout le reste : les cambriolages, les années de prison, ce que je t'avais fait. J'avais fait mon possible pour être honnête, pour qu'il sache que je n'étais pas quelqu'un de bien, mais je n'avais jamais réussi avouer que j'avais eu un enfant. Je ne voulais pas le lui cacher, mais c'était tellement douloureux pour moi, que j'étais incapable de le formuler. Tu connais le mot « indicible » ?

— Je connais et je comprends, chuchota François. Je savais que je devais parler de toi à Julien, mais ce n'est jamais sorti. Je n'avais pas de mots pour raconter ce que j'avais vécu.

— J'ai simplement dit que je ne voulais pas avoir d'enfant, poursuivit Tamara. Il a insisté, et j'ai fini par refuser d'en reparler davantage. Il en a déduit que je ne l'aimais pas assez, et je n'ai pas vraiment pu prouver le contraire. Il m'a dit qu'il ne voulait plus continuer avec moi. Je suis retournée à Dijon.

— Ça a dû être difficile, compatit François.

— Eh bien... sur le coup, ça a été dur. Je n'arrivais pas à assumer la manière dont je l'avais traité. Je n'avais jamais mérité l'amour qu'il me portait et je n'avais jamais été honnête avec lui. J'avais honte de ce que j'étais, de mon incapacité à rendre un homme heureux. Je savais que ce n'était pas seulement par manque d'amour, car toi aussi je t'avais rendu malheureux, alors que je t'aimais comme une folle. J'étais simplement trop égoïste pour me conduire correctement. Je me suis sentie très mal. Mais d'un autre côté, ça a été une libération, car je n'avais plus à jouer le rôle de la femme amoureuse.

— Tu es parfaitement capable de rendre un homme heureux, assura François. Ce n'était pas le bon c'est tout. Et pour moi, c'était pas le bon moment.

— J'aimerais que ce soit vrai, dit Tamara la voix tremblante. J'ai tellement envie de te donner autant de bonheur que j'en reçois de toi.

— C'est le cas, je t'assure.

François laissa passer un moment puis demanda timidement :

— C'est pour ça que tu as accepté qu'on ait un autre enfant ? Pour ne pas me décevoir ? Tu avais peur que je te demande de partir moi aussi ?

— Non, répondit immédiatement Tamara. Je savais que cela ne mettrait pas fin à notre relation. Que ce soit important pour toi a joué, dans le sens que, seulement pour moi, je ne me le serais pas permis parce que je pensais que je ne le méritais pas.

— Bien sûr que tu le mérites ! s'exclama François.

— Je commence à l'accepter maintenant, le tranquillisa Tamara.

— Grâce à tes séances ?

— Oui, et aussi grâce à toi, Julien et ta mère. C'est la manière dont vous me regardez qui m'aide à me sentir à ma place. Je ne pourrai jamais vous rendre ce que vous me donnez.

— Ne t'en fais pas pour ça. Tu nous le rends tous les jours.


Peine incompressibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant