"La seule vie qui soit passionnante est la vie imaginaire" Woolf

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Kléa passa une bonne partie de la journée à la plage. Le soleil brûlant, l'ondoiement des vagues, le sable chaud... S'il n'y avait pas eu une multitude d'êtres humains peuplant cette parcelle de paradis, la journée aurait pu être parfaite. Comme Kléa ne pouvait pas virer tous les gens de la plage, elle avait du cohabiter avec eux à son grand malheur. Elle n'aimait pas beaucoup les autres. Ce n'était pas qu'elle était tournée vers elle-même, c'était juste qu'elle n'appréciait pas les autres personnes en général. Ils étaient tous pareils, semblables à leurs voisins, respectant sagement les règles et se laissant dicter leur conduite par la société. Ça ne dérangeait pas Kléa, tout le monde était libre de faire ce qu'il voulait. Ce n'était juste pas sa façon de penser, de faire et rester en compagnie de personnes aussi fades et insipides lui donnait le cafard. Alors elle faisait cavalier seul et ça lui convenait parfaitement. Elle possédait un ou deux amis avec qui elle traînait de temps en temps mais dans l'ensemble, elle préférait s'isoler. Elle n'était pas comme les autres, ceux qui avaient peur d'être seuls et qui s'entouraient d'amis tous plus hypocrites les uns que les autres, ou qui faisaient des enfants pour combler le vide en eux et ne pas se retrouver seuls. Kléa aimait la solitude, plus encore, elle la recherchait.

Finalement, la fin de la journée arriva si rapidement que Kléa s'en étonna. Pour une fois, accompagnée de sa boule de poils, elle n'avait pas vu le temps passer. Elle n'avait rien foutu de la journée et pourtant, elle ne s'était pas trop ennuyée. Elle n'avait pas réentendu la voix d'Avan, et c'était très bien ainsi. En ramenant Nikki à la maison, la jeune femme ressentit l'envie de se défouler. D'accord, elle avait gambadé toute l'après-midi, elle avait même courut un peu, mais elle ne se sentait absolument pas fatiguée. À ses yeux, elle avait encore besoin de se dépenser.

Elle poussa la porte d'entrée de chez elle, porte d'entrée qui n'était jamais fermée. Kléa avait toujours la flemme de transporter ses clés partout avec elle et de fermer et ouvrir la porte à chaque fois qu'elle sortait, ce qui arrivait excessivement souvent. Elle ne craignait pas de se faire cambrioler, parce qu'elle n'était attachée à aucun objet matériel et puis, si jamais un cambrioleur entrait alors qu'elle se trouvait à l'intérieur, ce serait une bonne occasion de partager ses savoirs avec un compatriote. Elle n'encourageait pas le vol, elle ne le cautionnait pas vraiment non plus. Mais il y a vol et vol, voleur et voleur. Tout n'est pas à mettre dans le même panier.

Kléa partit directement mettre quelques croquettes dans la gamelle de son chien puis monta dans sa chambre. Elle se changea, enfilant une robe noire toute en dentelle et échancrée dans le dos, jusqu'à la cambrure de ses reins. Pour se défouler, rien de tel qu'une soirée en boîte de nuit. Perdue au milieu de la foule, des corps pressés, serrés, enlacés les uns contre les autres, sans aucun autre bruit que la musique incroyablement forte qui résonne dans les tympans et fait vibrer tout l'être... Il n'y avait pas mieux pour relâcher la pression, pour se dépenser en passant totalement inaperçue parmi la foule mouvante... Elle était passionnée par la solitude mais parfois, elle ressentait ce besoin de se fondre dans la masse. Personne ne faisait attention à elle, elle était entourée de multiples personnes, qui ne se souciaient pas de savoir qui elle était. Elle ne possédait plus d'identité propre, elle était juste une femme, que l'on discernait mal dans l'obscurité et qui se mêlait aux autres, une femme dont personne ne se rappellerait. En boîte de nuit, Kléa se retrouvait seule parmi la foule, la musique formant un cocon que personne, qu'aucune voix ne pouvait traverser. Elle ressentait la force de la collectivité sans pour autant la partager tout à fait, s'isolant des autres. C'était une sensation étrange et amusante.

Elle mangea une salade avec quelques nuggets qu'elle avait fait chauffer à la poêle, prenant tout son temps. Il faut dire qu'il était encore tôt. Une fois son repas terminé, elle attrapa son sac à main et sortit parce que, bien qu'il soit encore tôt, le temps qu'elle marche jusqu'à la boîte de nuit la plus proche, il serait assez tard. Elle ne voulait pas prendre de taxi, ou un quelconque autre moyen de transport. Elle désirait simplement marcher dans la nuit noire, seule et libre, comme elle le faisait toujours. Elle ne se pressa pas et finit par arriver à destination sans encombre. En entrant dans l'établissement nocturne, Kléa songea qu'il faudrait qu'elle fasse attention à sa consommation d'alcool. Vu qu'elle était venue ici seule, il fallait qu'elle rentre chez elle après, et ce en un seul morceau de préférence. À moins qu'elle ne jette son dévolu sur un homme et qu'elle le raccompagne chez lui... À voir.

Dès qu'elle pénétra au cœur du bâtiment, les lumières vives et mouvantes l'éblouirent, les sons lui vrillèrent les oreilles et l'ambiance étouffante qui régnait l'enveloppa entièrement. Parfait, elle avait besoin de ça. En quelques secondes, elle se fondit dans la masse et commença à danser parmi les autres. Elle sautillait, piétinait, tournoyait sans se soucier de rien d'autre que de l'instant présent, de cette vie qu'elle sentait autour d'elle et en elle. Elle ne pensait à rien, ne réfléchissait pas, elle vivait, simplement. Elle ressentait les vibrations de la musique dans tout son être et la puissance de la cohue l'enivrer. Elle sentait une odeur de sueur et d'alcool, et des corps qui se pressaient contre elle. Kléa savait qu'elle possédait quelques atouts qui attiraient la gent masculine à elle, tels des mouches autour d'un bout de viande. Peu lui importait. Elle se moquait de ces hommes qui se collaient contre elle, elle se moquait des ces visages qui lui souriaient, elle se moquait de tout, même d'elle-même.

Au bout de deux longues heures, Kléa partit au bar souffler un peu.Elle commanda un cocktail maison aux couleurs vives et au goût sucré. Ce n'était pas ce qu'il y avait de plus désaltérant, mais c'était agréable. Lorsqu'elle eut terminé son premier verre, elle en commanda un second, parce qu'elle n'avait pas envie de retourner tout de suite sur la piste ni de se faire offrir un verre par qui que se soit. Elle traîna, observant les allées et venues des clients au bar, et des danseurs sur la piste.

Elle avait envie de s'amuser un peu plus, envie sûrement du à l'euphorie passagère que lui procurait l'alcool qu'elle venait d'ingérer. Elle repéra un homme, d'environ une trentaine d'années, assez séduisant, assis dans son coin et tenant un verre à la main. Kléa quitta donc le bar pour aller le chercher et l'amener sur la piste. Il ne lui fallut que deux petites secondes et un joli sourire pour le convaincre. Immédiatement, elle noua ses bras autour du cou de l'homme et se colla contre lui. La réaction de l'autre ne se fit pas attendre très longtemps, il glissa ses mains sur ses hanches, puis un peu plus bas, la gardant serrée contre lui.

- Kléa, lança brutalement la voix dans son esprit, sors de là.

La jeune femme fit la sourde oreille. D'une part parce qu'elle avait appris à reléguer Avan bis au second plan et qu'elle ne l'écoutait jamais, et d'autre part parce qu'elle n'avait aucun ordre à recevoir de lui. Elle était un peu surprise de la réaction d'Avan. Elle ne comprenait pas. Pourquoi voudrait-il qu'elle sorte ? Elle s'amusait bien, elle ne faisait rien de mal, elle n'était même pas bourrée. Enfin, pas trop. Alors quel était son problème ? Elle avait sentit son énervement dans l'ordre qu'il venait de lui donner, et elle ne voyait pas pourquoi il était contrarié. De plus, elle ne lui devait rien. Elle continua donc de bouger lascivement contre son partenaire de soirée.

- Tout de suite, Kléa ! s'emporta Avan bis.

Kléa eut envie de lever les yeux au ciel, mais elle parvint à s'abstenir. Quel rabat-joie ! Les mains du trentenaire courraient sur son dos nu, et elle le laissait faire car elle n'y voyait aucun inconvénient.

- Ne m'oblige pas à intervenir.

- Toi, intervenir ? chuchota la jeune femme. Laisses-moi rire... Si tu veux tellement que je sorte, tu n'as qu'à ''intervenir'' comme tu dis, et venir me faire sortir toi-même...

Dans le brouhaha ambiant, ses paroles passèrent inaperçues. Qui aurait pu entendre un murmure parmi les cris et le bruit de la musique ? À part, le principal intéressé, personne. Kléa doutait qu'il vienne. Il n'avait aucune raison de faire ça et puis, s'il venait, alors elle verrait qu'il était faible. Après tout, tous deux se vouaient à un petit jeu tordu qui consistait à se tenir le plus longtemps possible loin de l'autre. S'il venait, Kléa aurait, en quelque sorte, obtenu ce qu'elle voulait...

Vol de nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant