Épisode 4 - 10 Meredith

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Meredith, Nouvelle-Angleterre, Hiver 1813

La petite ville de Meredith se nichait au bord d'un lac, gelé en cette période de l'année. Les White Mountains se dressaient à l'horizon, leurs sommets enneigés, tout comme les cimes des érables et des sapins qui habillaient le paysage de vert et de blanc. La ville semblait perdue dans le temps.

Au nord, la guerre contre l'empire britannique faisait rage. Si elle semblait invisible et silencieuse d'ici, elle avait pourtant vidé Meredith de ses hommes en âge de combattre, la plupart voués à ne jamais revenir.

Lionel Vance, fils de Abraham Vance, avait en revanche échappé à ses devoirs et ce malgré ses nombreuses suppliques. Son père, l'homme le plus riche et le plus important de la ville, n'y avait pas accédé, ne désirant pas voir son héritier mourir sottement dans une guerre que les politiciens de Washington avaient déclenché sans égard pour ses citoyens.

Le jeune homme ne lui avait pas pardonné, mais il avait trouvé une occupation qui rendait son père fou de colère tout en lui offrant des moments plaisants.

Allongé sur le grand lit au-dessus du saloon, la chemise défaite et un verre de bourbon à la main, il dévorait Julia de ses yeux bleus, tandis qu'elle ôtait sa robe à froufrous pour se retrouver en corset et en bas. La prostituée était encore jolie, de longs cheveux noirs descendant jusqu'au milieu de son dos.

Elle prenait son temps exprès, attisant le désir de Lionel, que la chaleur envahissait lentement, sensation plaisante au cœur de l'hiver. Elle se rapprocha finalement et il but une derrière gorgée avant de poser son verre sur la petite table de nuit, tandis qu'elle grimpait sur lui, l'enserrant de ses cuisses.

Il tenta de se redresser mais elle le repoussa, joueuse, avant de venir l'embrasser dans le cou. Les mains de Lionel glissèrent contre le corps de la prostituée, qui simulait des gémissements de plaisir. Peu lui importait que tout soit faux, sale et empli de péché. Seul le regard rageur de son père lui importait, lorsqu'il rentrait au matin, empestant l'alcool et le stupre.

Les doigts de Julia descendirent contre son torse, jusqu'à son bas-ventre. Elle déboutonna son pantalon, l'embrassant toujours d'une bouche qui avait déjà fait cela mille fois. Souvent elle lui avait dit qu'il avait le droit à un traitement particulier parce qu'elle l'aimait bien, mais il en doutait sincèrement.

La jeune femme descendit alors ses baisers, s'attardant un instant sur les tétons de son client alors que du bout des ongles elle s'assurait que sa verge soit aussi dure que possible. Puis lentement elle se baissa, avant d'aller poser sa bouche sur son sexe, lui arrachant aussitôt un gémissement.

Il la laissa le conduire lentement sur la voie du plaisir, avec toute l'expérience qui était sienne. Dehors le vent s'était mis à souffler fort, heurtant les vitres fines de la chambre. Le soleil se lèverait bientôt.

Elle s'arrêta avant qu'il ne jouisse cependant, pour aller se replacer au-dessus de lui et le faire entrer en elle. Elle donna alors de lents coups de bassin, pour lui faire ressentir chaque mouvement, chaque ondulation. Voyant qu'il l'observait, elle commença à se toucher en même temps, passant les mains sur son corps presque-nu. Il accompagna le mouvement des hanches et se laissa conduire jusqu'au plaisir, qu'il prit d'autant plus en sachant à quel point cela enragerait le chef de famille.

Le moment passé, elle s'allongea sur le lit à ses côtés, un sourire qu'il imaginait sincère sur les lèvres. Après tout, il ne devait pas être le pire des clients... Il attendit un instant, puis se rhabilla.

— Tu veux pas rester un peu ? lui demanda-t-elle, la mine boudeuse.

— Non, je rentre, ma belle. On a déjà passé toute la nuit ensemble.

— Tu reviens demain ?

— Comme toujours.

Il lui offrit un sourire, ainsi qu'une généreuse poignée de dollars, avant de sortir. Le saloon avait perdu beaucoup d'activité avec la guerre, si bien que plusieurs filles attendaient que l'on vienne les solliciter. Elles lui adressèrent des sourires enjôleurs, auxquels il répondit. Quand on représentait toute la gent masculine de la ville, les attentions devenaient nombreuses, et ce d'autant plus quand on était beau et riche.

Lionel mit son épais manteau d'hiver et rejoignit la rue, vide et glaciale en cette heure tardive. Il aurait bien sûr pu rester au saloon jusqu'à ce que le matin soit venue, mais il n'aimait pas dormir sur le lieu du coït. Une des raisons pour lesquelles il n'attendait pas avec impatience le temps du mariage. Rien que de penser à sa fiancée, choisie par son père, évidemment, la colère montait en lui.

Il enfourcha sa monture et se dirigea vers le manoir, légèrement à l'extérieur de la ville. Peu d'âmes arpentaient la rue principale, ce qui permit au jeune homme de galoper malgré la pénombre et le risque de se rompre le cou.

Après une courte chevauchée, il arriva en vue du bâtiment, construit selon les modèles de la côte Est, eux-mêmes inspirés de la vieille Angleterre. Il franchit le lourd portail qui menait au parc de la propriété, mais alors qu'il s'apprêtait à rejoindre les écuries, il aperçut une lumière provenant de la cour. À cette heure, c'était surprenant.

Il se rapprocha et discerna bientôt deux autres chevaux, tenus par leurs cavaliers qui avaient démonté. Ils semblaient discuter avec Damien, l'intendant de la demeure. Ce dernier paru soulagé quand Lionel arriva à leur niveau.

Le jeune homme découvrit alors le couple d'étranger. L'homme, qui devait avoir dans la cinquantaine d'années, portait sous un lourd manteau de voyage un costume en tweed impeccable. Les cheveux courts, bien rasé, les traits élégants, il avait pourtant des yeux, bleus aussi, d'une grande froideur. Lionel n'aurait su dire quoi, mais quelque chose chez l'homme le rendait mal à l'aise.

La femme, habillée d'une épaisse pèlerine noire, se tourna vers lui à son tour. De longs cheveux bruns et bouclés, un visage fin et dur à la fois et surtout des yeux pénétrants, envoutants même. Jamais encore il n'avait aperçu une beauté pareille, sans aucun doute sculptée sur le modèle d'un ange ou d'un démon. Oh oui, il aurait volontiers donné son âme pour quelques moments avec elle.

Alors que ces pensées, intimes et obscènes, traversait son esprit, elle sourit, comme si elle le comprenait. Un sourire froid et excitant à la fois.

— Monsieur Lionel ? répéta Damien, sans doute pour la seconde ou la troisième fois.

Lionel détourna le regard de la créature, effrayé qu'elle ne disparaisse, phantasme évanescent lié au vide nocturne.

— Ces personnes demandent le gite, mais votre père dort encore.

— Nous sommes désolés, dit alors l'homme dans un accent résolument anglais. Nous n'avions pas prévu de nous arrêter ici, mais le cheval de ma fille a perdu son fer.

Un Anglais... en pleine guerre. Cela expliquait sans doute pourquoi ils n'avaient pas voulu se rendre au saloon, où on leur aurait réservé un accueil des plus glaciaux. Et surtout, avait-il dit sa fille ?

— Vous avez bien fait, répondit Lionel, la voix encore un peu rauque à cause de l'alcool.

— Pardon, où sont mes manières, je ne me suis pas présenté. Je m'appelle Edgar Morrington et voici Annabelle.

Elle inclina légèrement la tête, toujours sans un mot. Que n'aurait-il donné pour qu'elle parle... Qu'elle murmure son nom à son oreille... Qu'elle jouisse tout contre lui...

— Lionel Vance. Vous êtes ici sur la propriété de mon père. Damien, prépare-leur des chambres et réveille William, qu'il s'occupe des chevaux.

— Bien, Monsieur Lionel. Messieurs dames, si vous voulez bien me suivre.

Il échangea un dernier regard avec la jeune femme, avant que les étrangers ne pénètrent dans la demeure familiale.


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