Épisode 3 - 16 Fisher Freight Company

289 34 12
                                    

La Fisher Freight Company a fermé ses portes il y a plus d'un an. Non pas qu'elle doive manquer à grand monde : il s'agit seulement d'un minuscule entrepôt dans le quartier italien, autrefois spécialisé dans le stockage et la distribution d'alcool. C'est en tout cas ce que l'aspect extérieur suggère.

Encore un endroit parfait pour des négociations douteuses. Il faudrait vraiment que la ville pense à raser tous ces endroits délabrés, si elle veut éradiquer un jour le crime.

Jake a voulu faire le tour des lieux seul, par sécurité. Il a dû prétexter que la Ferrari était repérable de loin et risquait d'attirer l'attention, pour qu'enfin Kathy renonce à l'accompagner. La jeune fille sait se montrer tenace, au moins autant que lui.

Le privé s'avance dans la cour et monte sur le quai de chargement. Une large porte coulissante en tôle permet de rentrer. Il tire et fait glisser le battant, qui n'est pas cadenassé. Ou plutôt, dont la chaîne, rouillée, traîne par terre. Le cadenas a été brisé.

Ses tripes lui disent qu'il touche à quelque chose et elles lui mentent rarement.

Jake entre, aussitôt assailli par l'obscurité ambiante. Il sort une lampe torche de son imper, ainsi que son arme qu'il aligne sur le rayon lumineux. Pas beaucoup d'endroits pour se cacher, les lieux sont vides et exigus au possible. Il y a par contre une chaise, au milieu de l'entrepôt. Et des chaînes, sur le sol.

Il se rapproche, prudemment, en veillant à ne pas corrompre la scène de crime. Car oui, quelqu'un a visiblement été séquestré ici. Mais pas longtemps : aucune trace d'urine ou de selles, pas d'odeur de sueur ou de sang. Rien qui n'indique des sévices ou de la torture. C'était un lieu temporaire, de passage. S'il a bien été utilisé dans ce sens.

Mais qui s'en est pris à qui ?

Il n'aura hélas pas l'aide de la police scientifique dans cette affaire et son interprétation devra suffire. Il passe malgré tout l'endroit au peigne fin, avec succès : il découvre les restes d'un téléphone portable, totalement broyé. Il met des gants et le prend : l'appareil a été tordu, ce qui demande soit une très grande force, soit des outils.

C'est tout ce qui attire son attention. Il le met dans sa poche, rengaine son arme, puis abandonne les lieux.

Quand il ressort, il remarque une voiture garée dans un coin de la cour. Il jette un coup d'œil aux alentours et s'en rapproche. Ce n'est hélas pas la Mustang de Lionel. Par contre c'est intéressant, la plaque n'est pas californienne, mais du Nevada. Berline noire, marque anglaise.

Jake observe de plus près l'orientation des rétroviseurs et l'espace entre le siège conducteur et le tableau de bord. Le propriétaire est soit un homme petit, soit une femme. Liz n'a-t-elle pas dit que c'était une femme qu'il avait eu au téléphone, justement ?

— Alors ?

Il se retourne et aperçoit Kathy, les yeux toujours cachés par ses lunettes de soleil, même dans l'après-midi mourant.

— J'ai un téléphone. Tu le reconnais ?

Elle lui prend le téléphone des mains, sans égards pour d'éventuelles empreintes, avant de confirmer :

— Celui de Lionel, je pense.

Voilà qui répond à la question que se posait Jake, à savoir qui était la victime. On dirait bien qu'il s'agissait du jeune homme.

— Et tu connais cette voiture ? Elle est à une femme, je pense.

— Non, aucune idée.

Jake vérifie qu'il n'y a pas d'alarme et qu'ils ne sont pas observés, puis il donne un coup de son poing artificiel dans la vitre avant. Celle-ci se brise sous l'impact et il peut ouvrir la portière, avant de fouiller. Kathy lui demande d'ouvrir le coffre et l'aide dans sa recherche.

Dans la boite à gants il trouve les papiers du véhicule, qui appartient depuis quinze jours à une certaine Annabelle Smith. Il y a aussi des lunettes de soleil, un tube de rouge à lèvres et un petit revolver.

— Jake. Viens voir.

Le privé sort et rejoint la jeune femme, qui lui désigne le coffre. Dans celui-ci, quelque chose qu'il ne s'attendait vraiment pas à trouver : un long fourreau en cuir, probablement pour une épée. La qualité de l'objet est évidente et il est à peu près sûr que ce n'est pas destiné au cinéma ou à un show. Aucune trace de la lame par contre.

— J'ai un nom, dit-il, mais je ne pense pas que ce soit le bon.

— C'est quoi ?

— Une Annabelle Smith.

— Annabelle ?

Au ton de sa voix, Jake sait que ce n'est pas la première fois qu'elle entend ce nom. Pire, il lit de l'appréhension sur le visage de Kathy. Ce n'est pas rassurant, mais cela prouve aussi qu'ils sont sur la bonne voie.

— Tu la connais, dit-il.

— Oui, on peut dire ça. Je l'ai rencontrée. Et il m'a dit de m'en méfier, elle est dangereuse. Du genre psychopathe dangereuse.

— Tu ne me dis pas tout, Kathy.

Elle hésite. Il y a un secret sous tout cela, un secret sur le point de surgir. Qu'est-ce qui peut être si terrible ? Un crime ? Un viol ? Un suicide ?

Il laisse le silence s'installer, alors que le crépuscule commence à prendre ses marques.

— Tu ne me croiras pas, Jake.

— Essaye pour voir.

Elle prend une grande inspiration, nerveuse. Elle enlève ensuite ses lunettes de soleil et le regarde dans les yeux. S'il était romantique, il dirait qu'il se noie dans ses prunelles pâles.

— Comment dire sans passer pour complétement folle... Lionel et moi, nous sommes...

Le téléphone de Jake sonne.

Mauvais timing.

Il s'excuse et le dégaine, prêt à couper la sonnerie pour entendre la confession de Kathy. Du moins jusqu'à ce qu'il reconnaisse le numéro : c'est la fourrière, qu'il a appelée un peu plus tôt, au sujet de la voiture de Lionel. Il n'a pas le choix et répond.

— Bonsoir, vous avez signalé un vol de véhicule ?

— Tout à fait, une Mustang. Immatriculée 166 BLD. Vous l'avez retrouvée ?

— Oui. Au Pier 52, sur Mission Bay. Si vous passez dans les 15 minutes, on ne vous l'enlèvera pas.

— Elle est en bon état ?

— Oui. Sinon c'est la police que j'aurais appelé.

— Okay. Merci beaucoup, j'arrive.

Il raccroche et croise de nouveau le regard avec Kathy :

— Tu saurais nous amener à Mission Bay en 15 minutes ?

Love BitesWhere stories live. Discover now