Épisode 1 - 7 Le Badge et l'Uniforme

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- Désolé Jake, je peux rien pour toi.

Son ancien collègue, Marty, a l'air triste en disant cela. A l'air, car Jake connait bien le policier : proche de la retraite, jamais très investi, il a toujours été du genre à dire oui à ce qu'on lui demande sans pour autant agir en conséquence. C'est un hypocrite de première. Hélas, Jake n'a pas beaucoup d'autres contacts dans la police à part son ancien partenaire, le seul qui accepte encore de lui parler.

Les deux hommes sont assis à une table du Witch Hour, qui est plus calme en cette fin d'après-midi. Ce n'est pas le genre d'endroits que fréquenterait Jake normalement, mais c'est le plus pratique. Et accessoirement, sa nièce y travaille, même si elle n'est pas là pour le moment.

- Allons Marty. Tu sais bien que sans ma mutuelle de flic, je peux aussi bien aller crever.

- J'en ai parlé Jake, mais ils bougeront pas. Tu as déjà de la chance qu'ils te demandent pas de rembourser le fric qu'ils t'ont versé.

- Vingt ans, Marty. Vingt ans que j'ai donnés à l'uniforme. Ce qui m'est arrivé, c'était au nom de ce putain de badge. Et aujourd'hui on me dit que tout ça, ça vaut rien. Que je peux aller crever sous un pont, mon ancienne famille lèvera pas le doigt pour moi ?

- Je sais que...

Il s'interrompt quand Lisa leur apporte deux whiskys. Marty la reluque copieusement quand elle repart, mais ce n'est pas comme si Jake pouvait dire quoique ce soit à ce sujet.

- Écoute Jake, je trouve pas ça normal et les gars non plus. Cette balle, j'aurais pu me la prendre moi. N'importe qui même. Mais ça vient d'en haut. Ils prendront pas en charge tes frais. Y'aurait pas eu la fille, c'aurait été différent. Mais là j'y peux rien.

Jake a envie de vomir quand il entend ce discours, qui sort pourtant avec facilité de la bouche de son ancien partenaire. Mais il se contente de serrer le poing et de se taire, comme il a en pris l'habitude depuis le divorce. Il était fier, par le passé. Fier de son badge, de sa mission, de sa famille. Mais même ça, on lui a pris. Marty regarde sa montre, finit son whisky et sort une excuse bidon avant de partir.

Le privé commande un troisième verre.

***

Lorsque Taylor arrive pour prendre son service, Jake a déjà trop bu. C'est bon pour la douleur, presque autant que les cachets. Il se lève, maladroit comme un gamin qui apprend à marcher, puis se dirige vers le bar.

La musique est un peu plus forte à présent. La clientèle, plutôt jeune, le regarde avec un mélange d'indifférence et de pitié. Taylor le repère.

- Un whisky, lui demande-t-il.

- C'est « un whisky Taylor, s'il te plait ». Et tu ne crois pas que tu as assez bu comme ça ? Tu ne tiens plus debout.

- Mais si, qu'est-ce que tu dis. Je vais bien. Très bien. Très bien.

- Bien sûr. Viens, je te ramène.

La jeune femme contourne le bar et vient aider Jake à se lever, sans tenir compte de ses protestations. Elle ramasse son manteau et le soutient tout en le dirigeant vers l'entrée. Le videur leur ouvre la porte et adresse un signe de tête compréhensif à Taylor pendant qu'ils sortent.

Grimper les trois étages à pied n'est pas une ballade de santé. Jake demande plusieurs fois à Taylor de s'arrêter un instant pour reprendre son souffle, coupé à égale mesure par l'âge et l'alcool. Sa nièce se montre patiente, ce qui n'est pas toujours acquis avec son caractère.

Au milieu d'un pallier, Jake lui demande :

- Comment va Andrea ?

- Elle va bien, vraiment.

- Elle a quelqu'un ?

- Je ne sais pas. Ce n'est pas à moi que tu dois demander ça. Pourquoi tu ne parles pas avec elle ?

- J'ai essayé, Taylor, mais elle veut plus m'adresser la parole. Déjà avant... avant le divorce c'était compliqué. Maintenant, elle a coupé les ponts. Quel père je suis.

- Andrea, elle a son caractère, c'est sûr. Mais elle a un cœur d'or. Elle ne veut plus se faire blesser, mais ça ne veut pas dire qu'elle ne ressent rien. Par contre, si elle te voyait dans cet état.

- Je sais...

La culpabilité lui perce l'estomac. La jeune femme a raison, il se laisse aller à la facilité, comme s'il avait déjà tout perdu. Il se fait pitié.

Taylor l'aide une nouvelle fois et ils atteignent finalement son appartement. Elle fouille les poches du manteau et trouve les clefs. Jake retient un haut le cœur, tandis que sa nièce ouvre la porte d'entrée. L'intérieur est dans le même état que la veille et ce n'est pas joli à voir. Pourtant elle ne fait pas de commentaire et se contente de l'aider à s'allonger sur le canapé. Elle lui retire ses chaussures et lui demande s'il veut un verre d'eau. Il refuse, mais elle ne l'écoute pas.

Le monde semble tourner autour de Jake. Au moins son bras ne lui fait pas mal.

Un téléphone sonne et Taylor décroche. Elle est dans la cuisine, mais il entend des bribes de conversation. Les murs sont fins :

- Tu voulais que je fasse un article sur lui, je l'ai fait. Oui, je sais que c'est jouer avec le feu et... Pardon ? Ce con a commenté ? Comment il a fait pour tomber sur l'article ? Combien de vues tu dis ?

Taylor fait couler de l'eau et une partie de la discussion lui échappe, mais dès qu'elle coupe le robinet il entend à nouveau :

- ...qu'il me menace, Sienna. Une blonde l'insulte, tu te doutes qu'il ne va pas prendre ça avec le sourire. Tu sais quoi, j'ai presque envie de le lui donner, son rendez-vous. Non, je ne suis pas folle... Mais ce que ce gars a fait, il mérite de payer et si je peux faire quelque chose... je sais que c'est dangereux, Sien', mais si je fais rien et que quelque chose arrive à une autre, je ne me le pardonnerai pas... Ne t'inquiète pas, je jouerai pas au héros. Non, pas seule. Bien sûr que non. Je te laisse, je suis censé bosser. Oui, moi aussi j'ai aimé hier soir. Bye.

Taylor revient et lui donne un verre avec de l'aspirine.

- Je dois y aller, Oncle Jake, mais si tu as besoin de quoi que ce soit je ne suis pas loin.

Lorsqu'elle est sur le point de sortir, Jake lui répond :

- Taylor. Merci.

Elle lui adresse un demi-sourire et ressort de l'appartement. Quant à lui, il se relève comme il peut. Il n'est pas question qu'il laisse sa nièce se mettre en danger, quel qu'il soit, alors qu'il cuve dans son canapé. La cafetière commence à tourner tandis qu'il se force à vomir l'alcool emmagasiné.





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