Love Bites

Épisode 1 - 11 La Chaîne et les Os

Chaque muscle, chaque os, chaque nerfs de Jake hurle au martyr. Ses bras, particulièrement, le mettent au supplice. La douleur, au lieu de diminuer, continue d'augmenter. Pourtant il ne bouge pas. Il canalise sa souffrance, il reste impassible. S'il montre le moindre signe qu'il a repris conscience, il signe son arrêt de mort et surtout celui de sa nièce.

Celle-ci vient de rire, nerveusement. Jake ne sait pas de quoi, les yeux clos, mais la seconde personne qui se trouve dans la pièce ne semble pas posséder le même sens de l'humour que la petite blonde. Le type, après un silence menaçant, s'exprime pour la première fois et promet à Taylor d'indicibles violences. Jake en a connu des malades de ce genre. Et surtout, il a ramassé les corps, quand il était à la Crim'. Il en fait encore des cauchemars. L'idée qu'une horreur pareil arrive à sa nièce lui donne une terreur noire. Elle s'est occupée de lui plus tôt dans la soirée alors que rien ne le lui imposait et qu'il ne le méritait pas. C'est une fille bien. Il ne va la laisser se faire blesser, quand bien même il devrait donner sa vie. Flic un jour, flic toujours, et plus encore quand il s'agit de la famille.

Soudain le type s'interrompt en pleine phrase. Il semble s'avancer puis s'arrête. S'en suit un bruit sourd et mou. Jake ne peut s'empêcher d'ouvrir les yeux et il voit l'homme, en train de vomir ses tripes par terre. Est-ce qu'il flippe de ce qu'il compte faire ? Des remords peut-être ? Ou juste un mauvais sushi? Taylor est tombée elle-aussi, elle a probablement perdu connaissance sous la peur.

L'homme se redresse. Il n'a pas lâché son cutter. Jake ferme les yeux et se concentre. Il ne peut pas se rater. Il sent le fou furieux s'approcher, lentement. Les mains du privé serrent sans bruit les chaînes qui le retiennent prisonnier.

Puis il agit. Ses bras se tendent et d'un mouvement vif et puissant il projette ses pieds vers l'individu. Les semelles de ses lourdes chaussures le percutent au visage et le font décoller du sol. Totalement pris par surprise, le psychopathe s'écrase violemment contre un cabinet d'outillage. Cette fois, il ne se relève pas.

L'effort soudain l'a plongé dans une agonie intense. Ses côtes, dont certaines ont sûrement été cassées lors de l'accident, lui infligent une longue et éclatante torture. Mais il ne peut pas laisser la douleur prendre le contrôle. Il porte le regard sur ses poignets, enchaînés et supportés par un lourd crochet industriel. Il ne pourra pas se détacher, pas dans sa position en suspension. Mais il n'a pas besoin de se détacher.

Il parvient de sa main gauche à attraper son poignet droit, bien que les chaînes en profitent pour meurtrir sa peau avec cruauté. Il tourne alors son poignet et, lentement, sa prothèse se dévisse. Son bras artificiel se sépare de son épaule et tombe sur le sol. La chaîne glisse contre le crochet dans un bruit de métal. Jake laisse échapper un râle de souffrance en atterrissant, mais il reste de debout.

Le privé s'agenouille aussitôt pour vérifier les signes vitaux de Taylor. La jeune femme respire faiblement mais ne semble pas en danger immédiat. On ne peut pas en dire autant de leur kidnappeur : il git un peu plus loin, le cou formant un angle peu naturel et les yeux captivés par le vide. Mort sur le coup. Ce n'était pas voulu, mais on n'en voudra pas Jake de ne pas être ému outre mesure.

Il ramasse sa prothèse et la refixe avec soin. Il prend quelques instants pour contracter lentement ses muscles et les doigts de l'appareil recommencent à se mouvoir. Cela ne vaut pas le bras qu'il a perdu, mais demeure suffisant pour qu'il reste indépendant dans la vie de tous les jours. Le dernier cadeau offert par la police avant le scandale, celui qui lui coûtera vraisemblablement tout ce qu'il possède encore s'il ne trouve pas rapidement une source de financement.

Mais c'est là le problème d'un autre jour. Jake détache Taylor puis passe le bras gauche derrière ses épaules et la prothèse sous ses genoux, avant de la soulever au prix d'une immense douleur dans le dos. La jeune femme n'est peut-être pas bien lourde, mais elle pèse malgré tout son poids.

Tant bien que mal, Jake cherche la sortie du bâtiment, sa protégée dans les bras et le corps au bord de l'épuisement.