Partie 20

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19:52. Quelques millimètres nous séparent. Son souffle tape sur mon visage. Sa mâchoire est crispée. Ses poings sont serrés. Ses narines sont dilatées. Ses yeux bruns clairs deviennent noirs. Noirs d'énervement. Mon visage a changé d'expression. Je m'en veux. Je regrette amèrement. Il cachait quelque chose de douloureux, quelque chose de fort et dur au fond de lui. Il est un homme et un homme ne révèle jamais ses sentiments. Quand un homme commence à parler de sa vie et raconte une peine qu'il a au fond de lui, il ne faut l'écouter et arrêtée tout ce que nous sommes entrain d'effectuer. C'est rare qu'un homme se livre. Surtout à une femme. À une femme qui est un peu inconnue. Il ne me connaît pas par cœur, ne connaît presque rien de ma vie mais il s'est livré. Il a sorti toute la rage qu'il avait au fond de lui. Tous les mots qu'on lui a dit et qu'on a dit à sa mère, sont sortis aujourd'hui et devant moi. 

Je le regarde. Mes yeux regardent chaque trait de son visage. Je commence par son front pour descendre vers ses joues puis passer vers son nez pour passer vers ses lèvres et remonter d'un coup vers ses yeux. Ils ont changés de couleur. Le blanc de nos yeux devient haine chez lui. Il me hait. Il me déteste. Je baisse les yeux vers son torse. Je n'ose pas le regarder dans les yeux. Je n'en ai plus la force. Son souffle tape sur mon front et le début de mes cheveux. Je sens que lui, n'a toujours pas détaché son regard de moi. Son téléphone sonne une première fois mais il ne répond pas. Il reste comme ça. J'ai l'impression qu'il ne l'a pas entendu. Son téléphone sonne une seconde fois. 3 mélodies se font entendre et il répond enfin toujours en gardant son regard vers moi. 

- Allo ! 

- ... 

- Je suis bientôt là ! 

- ... 

- Ouais ouais t'inquiète ! 

- ... 

- Ouais ? 

- ... 

- Bah vas y alors je passe de l'autre coté par la cave ! 

- ... 

- Ils vont parler de quoi encore ? 

- ... 

- Aaaah ouais c'est vrai... 

Il rapproche son visage du mien et plus précisément vers mon oreille gauche. 

- Si je passe par la cave y a des petits merdeux qui vont penser que j'ai encore pris une nouvelle fille ! 

Je relève mon visage automatiquement et nos regards se croisent. Il tourne les talons et me laisse là, seule, en plein milieu du parking pendant qu'il trace chemin tout en continuant de parler à son interlocuteur. 

21:36. Je suis assise dans la cuisine entrain de regarder ma tartelette à la fraise que j'ai achetée à la pâtisserie tout à l'heure. Je n'ai pas la force de la manger. Je suis dégoûtée. Je ne fais que jouer avec chaque fraise positionnée sur la tartelette. Je m'amuse à les enlever et les remettre. Je réfléchis et ne fais que ça depuis avant. Chaque phrase sortie était un électrochoc. Il me fouettait à chaque fois. Il voulait me faire prendre conscience de ce qu'il a enduré. J'ai reçu plusieurs messages et appels de Younes et mes amies mais je ne réponds pas. Je n'ai pas envie je veux juste être seule. 

23:21. Je suis assise sur un des canapés du salon. La télé est éteinte il n'y a que la lumière d'allumée. Je ne peux pas rester comme ça j'ai besoin de prendre l'air. Je mets mes chaussures et ma veste en cuir comme tout à l'heure et prends mes clefs et mon téléphone. J'eteins la lumière du salon et sors de cet appartement. Je ferme la porte à clef et au moment où je me retourne pour descendre les escaliers, Qassim qui montait les escaliers, relève son nez de son téléphone. Il souriait à la vue d'un de ses messages. Quand nos regards se croisent, son sourire disparaît net. Ce ne sont pas dans mes habitudes de sortir à cette heure-ci. Si Younes l'apprenait il me tuerait. Il déteste quand je suis seule dehors à des heures tardives et d'ailleurs tous les garçons du quartier qui ont des sœurs, détestent ça aussi. Je détourne mon regard sur le côté tandis que lui maintient le sien vers moi. J'ai besoin de sortir, il faut que je sorte, il faut que je sente l'air frais je ne peux pas rester ici c'est trop pour moi. Je continue de dévaler les escaliers sans le regarder. Il tourne son regard vers moi et suit tous mes pats. Je sens qu'il ne me lâche pas. Il doit se demander où je vais. Normal il est 23:30 et je suis dehors et seule en plus. 

Je finis enfin mes 6 étages et arrive dehors. L'air frais me donne une sacrée gifle. Mais bizarrement elle ne me fait rien. Je continue de marcher dans toute la cité. Je passe devant chaque immeuble et les inspecte. Des lumières sont allumées dans certains salons ou certaines chambres d'autres dans certaines cuisines. J'entends des rires et même certains couples s'énerver. Chez nous les parents d'origine maghrébines s'énervent beaucoup. Ils crient et s'insultent énormément. C'est grave dans notre religion mais chez nous c'est naturel. Au début quand nous sommes jeunes, nous avons peur nous nous disons que ce n'est pas normal puisque nos amis 'français' n'ont pas ce problème, mais quand nous grandissons nous comprenons tout de suite que c'est quelque chose d'habituelle et que nous devons l'accepter parce que nous grandirons toute notre vie avec ça. 

Je marche encore et encore sans vraiment savoir où aller. Tout ce que je veux c'est partir et me vider la tête. Je passe vers la fin de la cité. Certains garçons me reconnaissent et me saluent. Ce sont des amis de Younes et ils ont grandi avec moi. 

- Yasmine ? 

- Ah Salam Aleykoum Khaled ça va ? 

- Ça va hamdoulah mais qu'est-ce que tu fais là toi ? 

- Bah je suis venue sur Paris un moment ! Je pensais tu le savais ! 

- Ouais nan mais pas ça zehma (genre) qu'est-ce que tu fais dehors à cette heure-ci ? 

- Aaaaah bah je vais chercher un truc chez une amie à moi ! 

- Après là y a plus de bâtiments hein je te rappelle ! Après c'est l'autre cité d'à coté ! 

L'autre cité ? Nos ennemis ! On les déteste. Ils parlent beaucoup. D'ailleurs c'est la cité où habite Qassim et où ils ont parlé de lui et continuent de parler de lui. Ils savent quand une personne ne vient pas de leur cité et ils n'aiment pas trop qu'on s'introduise chez eux. Ils croient que ce sont les rois alors que pas du tout. 

- Ouais je sais t'inquiète j'ai pas oublié hein ! 

- Me dis pas tu t'es fait une copine là-bas Yasmine ? Tu nous la mets comme ça ? 

- Mais noooon bande de fous ! Jamais mais elle elle est dans la cité encore en face ! 

- Aaaah ça va alors l'autre quartier on l'aime bien mais ceux d'à coté 3endek (attention) ! Ils sont pas nos amis et ils le seront jamais ! 

Je lui souris et m'en vais. J'ai menti pour qu'il me laisse tranquille. Khaled c'est un garçon gentil avec le cœur sur la main. Il m'a toujours surveillé et protégé. Il sait qui sont les filles qui méritent une protection et qui sont celles qui ne le mérite pas. Je continue d'avancer et j'arrive enfin dans la cité d'a côté. Celle de Qassim. Elle est remplie. Les filles et les garçons sont dehors. Pas les filles correctes mais vous voyez de quoi je veux parler... C'est pour ça aussi qu'on les aime pas. Ils n'ont aucune pudeur, homme ou femme. Elles disent à leur parent 'je vais chez ma copine ou chez la voisine' alors qu'elles descendent en bas et restent avec les garçons. Je continue de marcher et reste sur mes gardes. Ils me connaissent et savent qui je suis. J'arrive au milieu de leur cité et aperçois un groupe de jeunes. Ils sont assis et me regardent passer. Ils sont une quinzaine. Tous les mélanges. Ils ne sont pas du tout habillés comme on pourrait le penser avec des jogging ou autre non pas du tout. Ils sont habillés comme des garçons de 25 ans avec des jeans, veste en cuir, pull, belle coupe etc. Ils prennent soin d'eux. Je marche un petit peu plus vite et je sens qu'on me suit par derrière. 

- OUH OUH UNE PEUFRA PARMIS NOUS ! 

Dans ce quartier ils n'ont pas honte. Ils crient des choses comme celle là à n'importe quelle heure alors que leur parent les regardent ou les entendent. Je continue d'avancer et ne m'arrête pas. Je les connais je prête pas attention. Mes pats s'accélèrent un peu plus quand même. 

- FAIS PAS CELLE QUI ENTEND PAS OOOOH ! 

Ils rigolent tous. Je les sens certains se lever et me suivre. Mais pourquoi je suis passée par là ? Pourquoi j'ai pas écouté Khaled ? Je marche encore plus vite qu'avant pendant qu'ils rigolent. Je ne m'arrête pas je ne peux pas je ne sais pas qu'est-ce qu'ils seraient capable de faire. Ceux qui me suivent accélèrent aussi leur pats et j'accélère encore plus les miens. D'un coup, un garçon se met devant moi. Je suis obligée de m'arrêter. Je ne bouge plus je suis juste paralysée. Je sens son souffle sur mes cheveux. Ma respiration s'accélère. Les rires des autres garçons s'accentuent. Je ne fais que fixer son torse. 

- Bah alors Yasmine tu passes au quartier sans dire Salam maintenant ? 



Le Demandeur et La CourageuseWhere stories live. Discover now