CHAPITRE 35

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REYNA





J'ai passé la nuit précédant notre dernière session à étudier le bracelet à nanoparticules abandonné dans ma poche. Quand j'ai finalement accédé à son contenu, toutes les pièces du puzzle se sont emboîtées.

Qui d'autre aurait intérêt à me fournir une toute nouvelle identité masculine créée spécialement pour moi ? Aucun être doté d'un minimum d'instinct de survie n'aurait, ne serait-ce qu'eu l'audace d'effleurer cette idée.

Mais pas lui. Deviner ses intentions n'a pas été difficile. L'accompagner de l'Autre Côté était la seule explication possible à son geste. J'étais déjà persuadée de son implication avant même notre dernière conversation.

Je retourne le bracelet entre mes doigts. Il ne m'a pas fallu tant de temps pour prendre ma décision.

D'une certaine façon, je l'avais déjà prise lors de notre premier baiser. Je l'avais prise lorsque je l'ai consolé cette nuit où il m'est apparu complètement ivre. Je l'avais prise sur la terrasse la semaine d'après. Puis en lui livrant des informations confidentielles. En l'embrassant encore.

Je l'avais déjà prise quand j'ai menti pour le protéger. À chaque fois que je me suis retrouvé dans ses bras. Et en revenant, jour après jour, comme s'il n'exerçait aucun pouvoir sur moi.

Quand il a enfin accepté de baisser sa garde en se livrant sur son passé, j'ai compris qu'il n'y avait plus de retour en arrière possible.

Aujourd'hui, j'ai conscience de l'avoir laissé s'installer sous mon crâne comme il le voulait. Il a tenu un siège devant mon cœur, jusqu'à ce qu'il se rende. Je n'ai pas assez lutté. Il m'a épuisée. Et en retraçant les dix dernières semaines passées ensemble, j'en viens à la conclusion que ces évènements aussi impromptus que déstabilisants pour mon organisme ne pouvaient mener qu'à cet instant précis.

Désormais, tout prend sens. Cent pour cent de compatibilité... C'était peut-être un mal pour un bien. Beaucoup de mal...

Je me dévisage dans le reflet du miroir mural de ma chambre. Cette dernière ne m'a jamais paru aussi impersonnelle. Aussi étrange. Mère a toujours refusé que je couvre mes murs de mes exploits personnels, de souvenirs. Ou que j'entasse mes trophées sur les étagères vides.

«Le passé, disait-elle, n'est qu'un frein à ta réussite future. Comment veux-tu continuer de progresser si tu te reposes sur les acquis de tes anciennes victoires? Non, il faut oublier. La gloire la plus noble se construit à partir de rien.»

Elle n'a jamais rien gardé. À chaque nouveau combat, elle me réprimandait comme si j'avais perdu tous les précédents. Et alors, je gagnais.

Mais dans certains cas, on ne peut pas oublier.

Mes yeux dévisagent longuement mon corps nu avec indifférence. Ils s'attardent comme toujours auprès de mes griffures abdominales. Je me tourne légèrement, suis leurs tracés jusque dans mon dos. Puis pose mon avant-bras gauche, lui aussi meurtri, le long de ma hanche.

Voilà tout ce qu'il reste de véridique de Newton Park. Des vestiges indélébiles qui ne mentent pas. Qui découragent. Qui désarment les voyeurs malsains. Qui demeureront dans ma chair jusqu'à ma mort. Voilà tout ce que j'emporte avec moi.

Lentement, je sangle ma petite poitrine dans une bande aplanissante. Ma carrure d'épaules développée se montre avantageuse. Mes muscles fins et ciselés aussi. Avec appréhension, je revêts un caleçon fabriqué pour l'occasion.

Mon cœur s'emballe un peu. Ce que je m'apprête à faire me terrorise. Mon corps doit disparaître, se mouler dans ma nouvelle vie. Je dois abandonner tout ce que je suis pour devenir quelqu'un d'autre. Et malgré les mensonges sur lesquels j'ai bâti mon identité, tout laisser derrière moi s'avère beaucoup plus difficile que prévu.

ManipulationWhere stories live. Discover now