CHAPITRE 24

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SHADE





Putain de bordel de merde.

Le contact froid de ses lèvres immobiles finit par me sortir de ma transe. La stupidité de ma réaction me percute le cerveau. Reyna s'écarte brusquement et j'ai l'impression de me réveiller du coma. Putain, qu'est-ce que j'ai foutu? Ses yeux glacés brûlent de honte et de stupéfaction. Elle m'incendie tout entier avant de se relever et de s'éloigner précipitamment. Comme si j'allais la contaminer.

Elle me tourne le dos et court vers la sortie. Je cherche quoi dire pour la retenir, mais ferme rapidement la bouche. En as-tu vraiment envie? Non. Oui. Je ne sais plus. De toute façon, elle est déjà partie. Ne me restent que mon esprit dysfonctionnel et les ravages d'une décision spontanée.

Va chier la spontanéité!

—   Et merde !

Je jure, grogne et me frotte lourdement le visage. Ce n'était pas prévu. Bordel de merde. Ça n'aurait jamais dû se passer comme ça. Pas aujourd'hui. Pas maintenant. C'est elle qui a commencé. Oui, elle n'aurait jamais dû me sauver la vie en premier lieu. Mais la suite ? Ah ! Tout ce fiasco est de ma putain de faute. Il n'y a personne d'autre à blâmer.

Ce n'était pas le plan.

Je voudrais oublier cette connerie, mais le baiser vit encore contre mes lèvres. Les vestiges de sa chaleur embrouillent ma folie. Ce n'était rien. Tous mes démons se foutent de ma gueule. Le contact éphémère persiste sous ma peau fragile. Je ne peux penser à rien d'autre.

Je me relève lentement, le souffle encore agité. Comment je rattrape ça putain? Je dois tout reprendre, rebâtir. Je viens peut-être de gâcher ma seule chance de gagner. Parce que c'était trop tôt. Pour elle comme pour toi. Je sais.

Mes yeux se posent sur ses traces de pas humides menant à la sortie. J'ai laissé l'imprévu semer le chaos dans mon esprit. Elle m'a forcé à improviser. Encore une fois.

Il est grand temps d'interdire l'improvisation. Après tout, c'est ma putain de représentation.

*

De retour à la Pension, je ne parviens toujours pas à reprendre le dessus. La scène se rejoue en boucle devant mes yeux. Elle m'irrite et m'oppresse. Chaque détail, chaque seconde mortelle qui m'a conduit à cet acte insensé martèle mes synapses et abime ma rétine.

Je tressaille encore. J'ai failli mourir au fond de cette piscine. Je crois que je le voulais. J'étais prêt. Tout aurait été plus simple. Mais Reyna en a décidé autrement, et depuis, je n'ai jamais eu autant l'impression d'étouffer.

Le goût humide de ses lèvres me nargue de son absence. Je ne parviens pas à m'en défaire. C'est enivrant. Et épuisant.

Ma tête tourne comme si on m'avait frappé en pleine gueule. La bouche pâteuse, je déambule sans but, le cerveau écorché. Surchargé. Les couloirs sont presque vides à l'approche du soir. Chacun s'occupe comme il peut, une façon détournée de dire que chacun trafique ce qu'il peut.

Je m'oblige à faire le tri, à repenser, redécouper chaque moment qui s'est déroulé un peu plus tôt de sorte à récupérer un semblant de contrôle sur ce qui m'entoure. Mais toute pensée cohérente se dérobe.

Je revois Reyna, les cheveux dégoulinants, le souffle court, les joues rouges et le regard fiévreux. Inquiet. Bordel, elle m'a sauvé la vie! Elle m'a sauvé la vie... Volontairement. Quelque chose cloche. L'information ne rentre pas dans les contours que je lui ai dessinés. Dans ses principes ancrés. Je ne réalise pas.

ManipulationWhere stories live. Discover now