CHAPITRE 14

1.1K 94 12
                                    

SHADE





Pour autant que je me souvienne, je n'ai jamais soutenu la matrie en place. Toutes ces femmes hypocrites, qu'un tas de personnages sexistes, sectaires et anti-progressistes. Je leur crache à la gueule. Leurs pratiques répugnantes me dégoûtent, notre asservissement m'enhardit.

Pour autant, la vengeance ne m'a jamais traversé l'esprit. Je laisse cette merde aux Clandestins. Moi, je détourne le jeu, j'exploite les failles et je serpente habilement autour des lois de la Pension. Je gratte ma chance et mes opportunités au bon endroit, au bon moment. Tant pis pour les autres.

J'ai toujours été un égoïste. Un malade à moitié gouverné par ses névroses et sa folie, mais un égoïste quand même. Mon seul but a toujours été de me barrer d'ici le plus vite possible. Le sort des autres m'indiffère, je ne suis pas leur sauveur.

Mais pour Reyna Call et notre session nocturne hebdomadaire de The Rule, je devrais probablement jouer le numéro de la colère. Elle s'y attend. Et depuis que Berlioz est sorti de l'Abattoir, j'ai enfin l'impression de tourner rond.

Je l'accueille les bras croisés, les pupilles enflammées, mais sa prestance déplace le décor. Tiens, c'est nouveau. Pour la première fois depuis que je l'ai rencontrée, sa présence s'impose dans la pièce, fait flancher l'atmosphère. Ses cheveux pourpres accrochés en un chignon flou, son visage affiche un masque froid, déterminé, tandis que l'élégance relève son menton dans un geste insolent.

Sa démarche assurée efface les derniers doutes qui auraient pu me subsister tandis que sa plaque militaire brille autour de son cou comme un trophée. Elle porte un grand sweat noir, le même que la semaine passée, qui n'est pas plus un effet de mode qu'un moyen comme un autre de cacher les frissons qui agitent ses doigts au bout de ses manches.

Même si sa posture semble plus affirmée, sa peau m'apparaît plus pâle que d'habitude. Laiteuse et presque translucide.

Si d'ordinaire je pourrais m'attacher à me questionner sur son allure déplorable, ce soir, je préfère m'attarder sur le mépris qui couve dans ses yeux glaciers. Reyna me torpille du regard depuis son entrée. Minuit sonne, l'alarme se déclenche, brusque rappel de la longue nuit qui nous attend.

L'annonce est tombée il y a à peine quatre heures. Un sourire en coin me surprend. Le temps se remet en marche et l'étudiante me passe devant pour rejoindre l'étroit couloir entre la pièce principale et la chambre.

Je la suis sans y penser.

—   Si tu as prévu de déverser ta colère sur moi, je préfère t'arrêter tout de suite, déclare-t-elle en tapotant sur le boîtier de l'ascenseur qui se met en branle presque immédiatement. Ne gâche pas ta salive pour si peu. C'est une décision sénatoriale, je n'y suis pour rien. Je ne peux ni la changer, ni l'empêcher, ni faire comme si elle n'existait pas. Non, je ne cautionne pas la tuerie de masse, mais je suis fidèle à mon pays et je respecte les Lois donc je ne m'interposerai pas contre le Sénat. Pas comme si j'en avais le pouvoir de toute façon. Même si la mesure semble excessive, il me paraît nécessaire de trouver ces terroristes, quoi qu'il en coûte.

J'appuie une épaule contre l'encadrement de la porte, pas impressionné par son beau discours. Le silence s'installe, mon sourire reste en place, à l'affût de la meilleure réponse. Cette maîtrise toute neuve, cette force acquise, est-ce une incroyable évolution ou une couverture particulièrement réussie ?

Tss, pas en si peu de temps.

—   Des enfants vont être tués, ça ne te fait rien ? lancé-je en forçant l'acidité sur ma langue.

ManipulationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant