CHAPITRE 16

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SHADE


L'espace d'un sombre instant, la bête humaine a pris le contrôle.

Sa voix sourde et monotone a annoncé la mort aussi simplement qu'une banalité. D'une pression froide du pouce, elle a semé la désolation de dix mille âmes en simultané. En à peine une demi-seconde. Sans hésitation. Puis, une fois le spectacle terminé, elle est restée assise de longues minutes à contempler son œuvre, une lueur sinistre dans les yeux.

Saleté.

Combien d'entre nous auraient voulu pouvoir affronter l'Enfer d'une telle façon ? La majorité a détourné le regard au moment fatidique. Nous avions tous une partie de nous coincée dans l'Area Populi à minuit hier soir. Une partie qui s'est envolée avec les cadavres de nos camarades. C'est alors que j'ai compris que la peur avait décimé nos rangs plus que la mort.

Jusqu'à la fin, j'ai regardé l'humanité s'éteindre à petit feu. Indifférent. Mais presque satisfait : les Sénatrices venaient de sonner leur propre extinction.

Impossible d'ignorer le rassemblement de mères en colère, déjà hystériques après les premières exécutions. Le Sénat va tirer de nouveaux noms d'ici quelques minutes. Celui de Berlioz, le mien probablement, et ceux de milliers d'autres « éléments perturbateurs ». Hier soir n'était qu'une répétition générale pour contenter les complotistes.

Désormais, les Harpies vont lier l'utile à l'agréable. Se débarrasser des détails gênants. Je parie quatre de mes doigts là-dessus.

Mais si les terroristes ne se rendent pas, nous pourrons alors assister à l'effondrement du premier système matriarcal de l'histoire. Aussi sûrement et aussi sombrement que celui de leurs prédécesseurs masculins.

Si ma mort permet cela, alors ma vie n'aura peut-être pas été qu'un échec complet. Car ironiquement, je souhaiterais que ma fin soit plus utile que mon existence tout entière. Il faut que cela soit grandiose. Oui, l'exécution publique devant des millions de spectatrices rentre parfaitement dans ma liste. Le doigt d'honneur en bonus.

Un clou du spectacle à la hauteur de l'intelligence de ma représentation.

Un silence mortel embaume le BlackOut d'une puanteur métallique. Un simulacre de sang. Le souvenir règne et nous étouffe de ses effluves. Pas qu'il y ait quelque chose de réellement pertinent à dire de toute façon. Mais je m'ennuie. Il me faut un peu d'action.

Même Smith ferme sa gueule, un foutu petit miracle. Il aura finalement trouvé un morceau d'intelligence perdu à force de creuser toujours plus profond dans sa connerie. Alix Sharp n'ouvre plus la bouche depuis l'Abattoir. Et les autres ? Aucune idée. Au fond, les raisons de leur mutisme ne m'intéressent guère.

Je préfère de loin qu'ils se taisent plutôt que d'écouter leurs conneries.

—   Vous pensez qu'ils finiront par se rendre ? demande finalement un gars à l'existence si insignifiante que je ne me suis pas fait chier à retenir son nom.

—   La ferme, le rabroue Smith. Crois-moi que si les Harpies veulent nous tuer, elles trouveront n'importe quel prétexte pour le faire. Notre survie ne dépend pas uniquement des Clandestins, bien au contraire.

Mais c'est qu'il y aurait plus de trois neurones qui se battent en duel là-haut. Je suis d'accord avec lui. Ça m'emmerde. Assis dans le fond du camion, comme à mon habitude, je croise son regard empli de sous-entendus. Quelque chose a changé en lui. Ce n'est pas uniquement dû aux exécutions.

—   Ils le feront, tranché-je d'une voix rauque, dénuée d'émotions. Ils ne sont pas encore prêts à risquer la vie de milliers d'innocents pour tenter de reprendre le pouvoir. C'est con, mais c'est leur lâcheté qui nous sauvera.

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