CHAPITRE 1

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REYNA


D'aussi loin que je me souvienne, c'est toujours le goût du sang qui s'extirpe de ma mémoire en premier. Il frappe ma langue de sa saveur métallique frangée d'une terreur âcre. L'odeur de la mort. La poussière m'atteint toujours juste après, pollue mes narines. Comme si j'y étais encore.

Si je fouille trop profond en moi, elle m'étouffe. Je suffoque. Et une seconde plus tard, le chaos se déchaîne, les maigres liens de mon contrôle mental cèdent. Il engloutit tout pour ne plus laisser que le vide d'un traumatisme indélébile.

La solution ionique crépite et rougit ma peau. C'est le signal de départ. À partir de ce moment, je me refuse à toute introspection. Vide mon esprit avant que ce ne soit lui qui m'évide. Je fixe mon regard bleuté droit devant moi, peu à peu indifférente à ce qu'il se passe au niveau de mon abdomen.

Je connais le processus par cœur.

Le produit brûlant prépare mes cellules endommagées à recevoir leur traitement hebdomadaire. Sur le mur d'en face, mes pupilles se concentrent à s'en aveugler sur la vieille photographie technicolor de l'Assemblée sénatoriale de l'an 156 après la Séparation. Un tableau d'un mètre sur trois, tout en longueur, illustre représentation politique au milieu de la petite infirmerie du complexe d'entraînement de l'Académie du Sénat.

Légendaire représentation tranchant net avec la banalité du lieu.

Le tiraillement cesse un peu. Je comprends que le médiBot a fini la désinfection. Je l'entends ranger ses outils, sortir de la pièce au moment même où les pas lourds de Nix franchissent le seuil. Sans même tourner la tête, je prédis son regard brun lorgnant mes contusions autour de ma clavicule gauche, les marques rouges de mes poignets et ma lèvre fendue.

Je tais volontairement les salutations d'usage. Comme chaque semaine, chaque samedi soir. Je devine ses lèvres pincées, sa grimace dédaigneuse. Elle voudrait probablement dire quelque chose sur mon attitude. Mais elle connaît ma mère alors elle ne fait pas de commentaires.

Nix me déteste. Pour cela et pour bien d'autres choses. Et moi, je la méprise de toutes mes forces.

— Bonsoir, Reyna, se force-t-elle tout de même, un sourire de façade outrageusement voyant placardé sur ses lèvres. Comment vas-tu ?

Comme si cela pouvait l'intéresser. Elle est si fausse. Si faible. Même sa voix trahit ses véritables sentiments.

— Vous pourriez vous dépêcher ? Je n'ai pas que ça à faire.

Mon agacement paraît dans la moindre syllabe. Nix se contente d'un claquement de langue désapprobateur. Elle relie les tubes à mes vestiges de blessures : un au niveau de mon ventre, un autre dans mon dos et un troisième contre mon avant-bras gauche.

Je connais le processus par cœur.

Mon corps se crispe par automatisme sous l'impulsion glaciale du Biologel dans mes veines. Mes poings se serrent autour du rebord de la table d'auscultation sur laquelle je suis assise. Et mes yeux restent fixes, droit devant. Chaque semaine, je décortique la photographie avec la même minutie maladive.

D'abord, Fidelita Trown au centre de l'Œil, debout derrière le Bureau Pourpre proposant le tout premier système de Pension. Mes cours d'Histoire Politique résonnent en légende sous mon crâne. Trown était une Sénatrice expérimentée, issue de l'ancienne génération, très conservatrice. Ça n'a été que sous la pression de la Mater Revolution qu'elle s'est résolue à présenter cette loi.

Sa principale rivale, Dani Lord, se retrouve tout à droite de la fresque, debout devant son poste, auréolé du faisceau frappant de la parole. Elle oppose...

ManipulationWhere stories live. Discover now