CHAPITRE 23

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REYNA





Sous l'eau, la lumière des néons se diffracte en milliers de faisceaux brillants. Mes paupières combattent la pression pour garder mes yeux ouverts. J'observe le phénomène, les tympans apaisés par le bourdonnement silencieux. Enfin, le calme. Mes mèches pourpres dansent autour de mon visage. J'apprécie pendant un instant la solitude de mon immersion.

Mes poumons me brûlent, mais je n'ai jamais eu autant l'impression de pouvoir respirer correctement.

Le fond de la piscine est devenu mon refuge silencieux. Quand je m'immerge ainsi, les questions cessent de s'entrechoquer sous mon crâne. La pression du monde extérieur s'affaiblit. Le doute s'efface. Et le vide purifie mon corps de ses pensées invasives. Je respire. Je ne pense à rien et rien d'autre n'existe.

Au bout de ma résistance, je remonte finalement à la surface pour inspirer une grande goulée d'air. Ma poitrine se gonfle de l'oxygène tant espéré. Le souffle court, les palpitations de mon cœur résonnent contre mes tempes. Le monde extérieur m'oppresse immédiatement. Il est bruyant, brouillon et inconditionnellement imprévisible. Les interrogations recommencent à murmurer à mes oreilles tandis que mes yeux glacés terminent leur course sur le corps étendu de Shade.

C'est moi qui ai choisi l'endroit, mais je n'ai pas réussi à le convaincre de me rejoindre dans l'eau. Le brun a lâché un ricanement sarcastique en voyant la piscine et est allé s'allonger sur un transat sans un mot de plus. Cela fait plusieurs heures maintenant.

Depuis nos retrouvailles mardi, tout a changé. Shade a changé. De longs silences gênants entrecoupent nos rares conversations et gorgent l'atmosphère de sous-entendus. Je ne sais plus comment agir avec lui. Je ne veux pas le pousser dans ses retranchements, pas tant qu'il aura cette tête-là. Malgré moi, la culpabilité me tenaille les entrailles.

Et lui ? En dehors de quelques répliques piquantes, il a cessé ses attaques. Je pourrais presque le regretter.

—   Tu ne veux toujours pas venir ? lui lancé-je sans grande conviction.

—   Toujours pas.

Sa voix éraillée me répond depuis l'autre côté du bassin. La chaleur de la pièce l'a forcé à abandonner le haut de sa combinaison et son torse musclé se dévoile à moi. Musclé, mais complètement scarifié. Les yeux fermés, il fait mine de dormir alors que je sais pertinemment que cela fait quatre jours qu'il n'a pas fermé l'œil.

—   Si tu es fatigué, je ne t'empêche pas d'aller dormir dans le lit de la chambre.

—   Je ne suis pas fatigué.

—   Shade. J'ai vu tes cernes.

Je l'observe se redresser sur ses coudes pour me jeter un regard agacé. Mes mouvements perpétuels pour me maintenir à la surface de l'eau m'occupent assez l'esprit pour ne pas laisser paraître ma nervosité.

—   Qu'est-ce que ça peut te faire ?

Bonne question. Trois semaines auparavant, j'aurais poursuivi l'interrogatoire dans le seul but d'obtenir des informations à son sujet. Aujourd'hui, mon objectif principal joue les chœurs à l'arrière de ma tête pendant que le chanteur solo s'improvise un nouveau numéro. La douce chaleur qui a remplacé le manque remue dans les tréfonds de mon estomac.

Le voir comme ça me rappelle ses bras autour de moi et ses pleurs. La communion inavouée de nos traumatismes. Et j'ai honte d'admettre que le drôle de sentiment qui resserre ma gorge et dérange mes intestins ressemble un peu trop à de l'inquiétude.

ManipulationWhere stories live. Discover now