CHAPITRE 4 BIS

1.2K 118 0
                                    

SHADE


Le silence succède directement à son arrivée remarquée —et attendue. Je penche la tête sur le côté, ne pouvant m'empêcher de me lancer dans une analyse exhaustive de la moindre particule constituant sa personnalité.

Des cheveux pourpres ondulés, coupés dans un carré flou lui arrivant aux épaules. Un visage droit et fier, le menton relevé, un port de tête altier. Je réprime un sourire moqueur. Qui est-ce qu'elle pense impressionner? Une mâchoire nette, sculptée dans le marbre luxueux de l'aristocratie Athéenne, des joues creuses, dessinées, de belles pommettes saillantes.

Ce sont des traits fins, aiguisés contre la lame froide de la perfection Sénatoriale. Aussi durs et glacés que la pierre dans laquelle ils ont été taillés.

Je m'attarde sur sa petite bouche aux lèvres pleines et rosées par la fraîcheur de Mars, mais tordues dans une expression dédaigneuse qu'elle tente vainement de réfréner. Un nez aquilin, retroussé sous la colère qui se distille dangereusement dans ses veines au fil des secondes passées à m'observer en retour. De légères taches de rousseur, apportant un soupçon de naturel enfantin dans ce visage déjà si prompt à la maturité.

Puis enfin, deux grands yeux bleus comme les glaces. Un bleu clair et froid, frissonnant, aux allures d'hiver venteux. Et dans lesquels elle ne cache pas son aversion pour tout ce que je représente. Si transparente... Quelque part, c'est un aveu de faiblesse.

Je note cela dans un coin de ma tête, poursuis mon inspection.

De longs cils clairs épousent ses paupières et se referment sur ses orbes austères en un contraste de douceur renversant. Deux sourcils finement dessinés se froncent sous son analyse et soutiennent un front pâle et impérieux.

Quand j'encadre finalement son visage dans son ensemble riche et autoritaire, un léger amusement tire le coin de mes lèvres. Immédiatement, son menton se lève plus haut. J'aperçois alors une fine ligne sous sa mâchoire, une cicatrice blanchâtre qui se languit sous cette perfection faciale.

De nouvelles suppositions fleurissent alors dans ma tête. Je tisse une trame à partir de rien, des bouts d'émotions, des prémices d'attitudes. Et j'assemble, ces miettes de personnalité pour confectionner le passé que je lui prête. Une enfance rude. Des relations froides. Un vide affectif.

Je couple mes dérives à mes observations pour en tirer un schéma cohérent. Et adapter mon plan d'attaque. Je pousse alors l'analyse aux moindres détails.

Le grain de beauté à la base de son cou. Ses phalanges écorchées —récemment écorchées. Une taille moyenne, un mètre soixante-cinq tout au plus. Cinquante-cinq kilos, une musculature développée, certainement une descendante de Combattantes. Des lacérations blanchâtres sur l'avant-bras gauche. Pas de bijoux.

Je m'attarde alors sur son treillis de camouflage, ses Rangers serrées jusqu'au sang et son tee-shirt noir. Une tenue bien loin des costumes d'apparat de ces chères Sénatrices, pour ce que je me souviens des quelques images entraperçues en cours.

Ça m'intrigue.

Des plaques militaires autour du cou, assez anciennes pour qu'elles datent de plusieurs générations. Définitivement une descendante de Combattante.

Quand je remonte finalement mon regard dans le sien à la fin de mon analyse préliminaire, sa transparence me coupe le souffle. Je reçois sa fragilité avec une telle violence que je manque de perdre ma façade. Là, coincée sous une belle couche de haine cernée d'envies de meurtres, se déploie une détresse comme j'en ai rarement été témoin.

J'habite pourtant dans une institution construite sur les pierres du désespoir.

Je ne sais pas quoi faire de cette information.

Mes mains se frottent l'une contre l'autre, puis la droite vient se perdre un instant entre mes mèches bicolores. Le malaise dévore mon enthousiasme. Son agonie silencieuse me donne envie de vomir. Ou de fuir.

Je ne veux pas de ça.

Je me concentre alors sur son dégoût viscéral et nous nous jaugeons encore quelques secondes sous haute tension avant que je ne me décide à entamer la conversation. Ne pas savoir si elle osera me répondre me remplit d'adrénaline.

—     Shade Harper, enchanté.

Je tends ma main dans sa direction, un petit sourire avenant au coin des lèvres. Une putain de provocation... Berlioz m'en donnerait des claques... avant de me féliciter.

L'étudiante baisse un regard dédaigneux sur ma main tendue, grimace.

—     Je ne peux pas en dire autant.

Sa voix grave me fait frissonner. Je réprime un sourire moqueur le temps qu'elle passe devant moi sans plus aucune considération.

Que la partie commence.

ManipulationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant