CHAPITRE 30 | PARTIE 1

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SHADE





L'eau froide de ma douche matinale achève d'éloigner les formes sombres de mes cauchemars. Son visage s'attarde toujours plus longuement que les autres. Il s'accroche ardemment à ma conscience. Puis il disparaît.

Reyna Call s'insinue la nuit, entrecoupe mes scènes de torture et réarrange ma conversation avec sa mère. Elle ne quitte plus mon esprit depuis l'Abattoir. Sa voix, faible et envoûtante, murmure des paroles ensorcelantes à mes démons. Ils l'ont adoptée parmi eux.

Ensemble, ils œuvrent pour faire de mon sommeil une véritable agonie.

Le rationnement en eau me force à écourter ma réflexion. Mécaniquement, je me sèche puis me rhabille. Je m'attèle à rejoindre l'arrière du bâtiment par lequel s'effectuent les sorties pour The Rule.

Les Pensionnaires que je croise arborent des mines ensommeillées, bouffies de cernes. La peur vicie l'air. Ça pue la merde, dans tous les sens du terme. La situation s'aggrave. Je ne sais pas ce qu'il se passe exactement là dehors, mais ça va bientôt nous exploser à la gueule.

Sans le vouloir, cette incertitude pèse aussi sur mon sommeil.

Berlioz m'intercepte en sortant de l'infirmerie. Je lis dans ses yeux que l'état de Jadde s'aggrave.

—   Comment va-t-il ? je demande sans réellement m'en rendre compte.

—   Mal. Sa respiration devient difficile.

Son regard appuyé n'obtient pas la réaction escomptée puisqu'il soupire lourdement avant de reprendre la parole.

—   Shade. Il lui faut des antibiotiques rapidement.

—   Et qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Vu ce que tu trafiques, t'es le mieux placé pour obtenir ce genre de merde de l'extérieur.

—   C'est devenu trop dangereux avec les rébellions, dehors. Les Clandestins se planquent, ils sont pas trop chauds pour venir m'échanger des trucs ces derniers temps, tu captes ?

Je me frotte les paupières, la tête lourde. Le sommeil commence à manquer. Je râle sous ses explications. Je ne comprends toujours pas ce qu'il attend de moi.

—   B, ces trucs ne sortent pas de mon cul. Je ne vois pas en quoi je peux être utile.

—   Ils ne sortent pas de ton cul, mais de The Rule. Tu m'as dit que Reyna t'avait soigné une fois, non ? Doit bien y avoir des médocs qui trainent quelque part. Alors trouve-les et rapporte-les ici. C'est notre meilleure chance.

—   S'ils me chopent avec ça, je suis mort, contré-je fermement.

—   Te fous pas de ma gueule, t'as fait des choses bien plus dangereuses, s'agace le Mexicain. Si tu ne le fais pas, c'est Jadde qui meurt.

—   B, je vais pas prendre le risque de tout foutre en l'air pour sauver un gamin qui était déjà condamné au départ.

Le brun m'inspecte longuement, les muscles tendus, puis il m'offre un sourire sombre. Une risette ironique sans joie. Complètement à l'opposé de tout ce qu'il est. Je plisse les yeux, déjà sur mes gardes quand il avance d'un pas et pousse mon épaule pour me faire reculer contre le mur.

Mauvais plan. Je me raidis devant son attitude inédite. Quand il rouvre la bouche, sa voix tombe de quelques octaves menaçantes.

—   Foutre en l'air quoi, exactement, Shade ? Smith t'as dit que tu ne pouvais pas perdre. Quoi qu'il arrive désormais, tu finiras par partir de l'Autre Côté comme tu le voulais au départ. C'est fini. Tu peux te tourner les pouces. (Il plante son index dans mon torse et se penche un peu plus vers moi.) Mais on parle de Reyna, là, non ? C'est ça que tu ne peux pas foutre en l'air. T'es en train de tomber amoureux d'elle et pour une putain de fois, t'as pas envie de merder.

ManipulationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant