Sauf avec lui. Avec lui je ne contrôle plus rien.

Je garde le silence, embarrassée par ce qu'elle met en lumière. Oui, ce que Shade a fait m'a affectée, bien plus que je ne l'admettrai jamais. Il m'a humiliée. Et je n'ai pas su gérer ça. Je ne sais toujours pas comment gérer ça.

— Alors ? Dis-moi. Je ne suis pas là pour te juger, tu sais.

— Ah non ? laissé-je échapper malgré moi.

Il est pourtant tellement évident que tout le monde va le faire. Ses yeux gris se voilent légèrement tandis qu'elle se tourne vers moi.

— Bien sûr que non, voyons. Reyna, chérie, je m'inquiète seulement pour toi. Cela fait très longtemps que tu n'avais pas paniqué de cette manière.

Paniquer. Voilà comment les autres appellent mes pétages de plomb. Voilà comment elles voient mes crises de violence incontrôlables.

— Ma mère est au courant ?

— Elle sait juste que tu passais la soirée avec nous. Elle n'a pas posé plus de questions.

— Je vois, acquiescé-je avec un rictus amer. Je sais que je n'ai pas le droit de vous demander cela, compte tenu de son statut, mais... Ne lui dites rien s'il vous plaît. Ça vaut mieux. Je n'ai pas envie de l'ennuyer avec cet incident.

— J'accepte, à condition que tu me dises ce qu'il s'est passé.

Je réfléchis un moment, troublée par sa proposition. Sa main se pose sur mon épaule, de façon réconfortante et mes tremblements cessent. Je n'avais même pas remarqué que je tremblais. Sa compassion me met mal à l'aise, pourtant elle est supportable. J'ai toujours rejeté la moindre forme de pitié ou d'empathie, mais Myra est différente. Elle ne me fait pas me sentir inférieure.

— Je ne peux pas, chuchoté-je.

— Pourquoi donc ?

— Parce que c'est humiliant. Et insensé. Je me dégoûte d'avoir commis une telle faute. C'est une transgression inacceptable.

— Tout le monde fait des erreurs, Reyna. Tu n'es pas parfaite.

— Je devrais l'être, contré-je en sentant ma voix craquer. Une Sénatrice doit être irréprochable, forte et parfaite en tous points. Elle doit montrer l'exemple. Et pour l'instant c'est un échec.

— Qui t'a dit ça ?

— Personne n'a besoin de le dire. Il suffit de regarder Zelda Call travailler, de l'observer évoluer dans la société pour se rendre compte de l'excellence qu'il faut atteindre pour exercer ce métier. Pour avoir du poids politiquement. Elle est un idéal que je me dois d'égaler.

Myra m'inspecte religieusement pendant quelques secondes. J'évite son regard, les yeux fixés sur mes doigts entortillés. D'un geste presque maternel, elle ramène une mèche de mes cheveux derrière mon oreille puis soupire gravement.

— Tu sais, Reyna, quoi qu'il se soit passé, quoi que tu en penses, tu n'as pas besoin d'être forte tout le temps. Et tu n'as pas besoin de ressembler à ta mère pour être une bonne Sénatrice. Zelda est qui elle est. Elle s'est construit cette personnalité parfaite sous tous les angles. Toi, tu dois juste accepter qui tu es réellement, et vivre ta vie.

— Je... Je ne me reconnais plus, j'admets péniblement, la gorge nouée. Je ne sais plus ce que je dois faire, comment je dois me comporter, ce qu'il est acceptable de ressentir ou non.

La styliste caresse une nouvelle fois ma chevelure pourpre, en signe de soutien.

— Ce n'est pas grave, c'est normal d'être un peu perdu à ton âge. Tu as traversé des moments difficiles ces derniers temps, personne ne pourrait t'en vouloir pour ça.

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