Diner catastrophique

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Le parking du restaurant "Orient Dishes" attire l'attention avec le couple de médecins qui semble être des spécimens rares de beauté, chacun dans sa catégorie. Si Martin est conscient des sentiments qu'il suscite chez les gens, il préfère demeurer humble contrairement à Andersen, qui semble se réjouir de son charme de séduction au point d'en devenir orgueilleux.

À peine ont-ils franchi le pas de la porte du restaurant qu'un homme tout menu, les cheveux plein de gel, vient à leur rencontre. Il les conduit à leur table, dans ce qui semble être des mini-cabines décorées pour évoquer l'Orient. Une fois installés, le propriétaire des lieux prend lui-même leur commande, ce qui intrigue fortement Martin.

_Dis-donc, docteur Andersen, vous êtes une célébrité par ici ? Serait-ce un ex-amant ? Interroge Martin une fois seuls.

_Pas du tout ! Et ça ne risque pas d'arriver. J'ai rendu un petit service médical, et depuis, il ne cesse de me témoigner sa reconnaissance... Sinon, avez-vous vu comment ils nous observaient à l'entrée ?

_Difficile de ne pas s'en rendre compte, surtout que vous semblez y prendre plaisir.

_C'est vrai que j'adore être le centre du monde, et vous êtes mon seul concurrent dans cette ville. Si je ne veux pas être oublié, je dois me remettre au sport et rattraper mon retard sur ces muscles, plaisante-t-il. Il s'ensuit un rire de joie de la part de Martin, dont le sourire semble créer quelque chose en Andersen, bien qu'il ne sache quoi. Andersen poursuit alors que les entrées viennent d'être servies. Sinon, as-tu pu faire ton deuil ?

_Mm... Si on veut. Parce qu'au fond, on ne fait jamais le deuil, puisqu'on se rappelle jusqu'à la fin de notre propre vie les souvenirs, bons comme mauvais, de nos disparus. Jusqu'au jour de son décès, mon père n'a pas pu combler le vide laissé par ma mère, pourtant, il a eu des relations après elle, explique-t-il en se régalant gourmandement. Les personnes chères restent éternellement dans nos cœurs, termine-t-il.

_Je comprends. Et même si la personne n'est pas morte, il reste tout de même difficile de faire le deuil d'une relation dont on n'a jamais souhaité la fin, observe Andersen, posant sa main sur celle de Martin. Martin semble voir Ray en Andersen étrangement, peut-être une ressemblance ou une illusion. Il retire brutalement sa main, laissant le docteur dans une incompréhension totale.

_Faut que je rentre. Désolé, mais je ne peux pas faire ça, dit Martin, quittant la table avec malaise et se dirigeant vers la sortie de la cabine.

_Attendez, que je vous raccompagne au moins à la voiture, propose Andersen, sortant de table pour suivre le jeune milliardaire, qu'il rattrape avant qu'il ne prenne place dans la voiture.

_Qu'est-ce qui vient de se passer ? Je croyais que nous étions en de bons termes et que le courant passait ? s'enquiert le métis sur un ton désespéré.

_Désolé si je vous ai laissé penser que vous pouviez avoir une chance. Mon cœur est déjà pris...

_Par qui ? Par un mort ? Un cadavre sans vie qui est déjà en décomposition, désolé de vous le dire comme ça, mais c’est la stricte vérité. Réveillez-vous tant qu’il est encore temps, Martin, vous avez tout l’avenir devant vous, plus lui. Oubliez le passé et allez de l’avant, s’emporte Andersen frustré et agacé par le rejet de Martin.

_Le cadavre au moins, il a quelqu’un qui l’aime et que vous désirez, je connais les hommes de votre genre, vous vous croyez tout permis parce que vous avez un joli minois et un peu de plastique, c’est tout, tout le monde doit vous manger dans la main ? Ça ne marche pas avec moi, et si vous croyez que vos mots m’atteignent, détrompez-vous. Il ouvre la portière qu'Andersen s’arrête devant lui, l’empêchant de monter.

_Comme tout le monde, j’ai mes défauts, je ne suis pas parfait, mais ce n’est pas moi qui suis en train de perdre la tête, c’est vous. Et il vous faut de l’aide, vous devez me laisser vous aider avant qu'il ne soit trop tard. Bientôt, vous ne pourrez plus distinguer le réel de l’abstrait et à ce moment, je ne pourrai plus rien pour vous. Personne ne le pourra.

_Voilà que les masques tombent, tout s’explique maintenant… c’est un coup de votre cousin n’est-ce pas ? Rigole nerveusement Martin en tournant sur lui-même.

_Même s'il s’inquiète pour vous, il n’a pas besoin de me dire que vous allez mal. J’étais à l’hôpital quand le corps de votre petit ami est arrivé, je vous ai vu à plusieurs reprises dans les couloirs, et oui vous avez raison, je vous ai désiré et je me suis dit que comme tous les autres, vous ne resterez pas… puis en voyant votre douleur, j’ai compris que vous aviez perdu l’amour de votre vie, alors je n’ai pas osé vous approcher.

_Alors pourquoi maintenant ? Si vous savez déjà que Ray est mon seul et véritable amour, pourquoi vous donnez tant de mal ?

_Parce que je pense qu'il est temps de passer à autre chose, peut-être que vous ne trouverez jamais un amour aussi fort, mais vous vous devez d’essayer. En plus, vous ne l’avez jamais vu, c’était virtuel…

_Pas pour moi, et vous n’avez pas le droit de dire cela. On ne se connaît pas, et même si c'était le cas, vous ne vous êtes pas dit que peut-être que j’aime le virtuel. Parce que vous pouvez me croire, la mort n’a en rien altéré mes sentiments, au contraire, je l’aime encore plus qu’avant et ce n’est pas demain la veille que je risque de tromper mon amour… surtout pas avec le premier venu. Je voulais seulement être gentil en venant ici… quoi qu’il en soit, sachez que je suis déjà en couple, mon cœur est déjà pris pour l’éternité.

_Dans ce cas, retournons à l’intérieur, car le virtuel et la réalité sont deux choses différentes. On ne peut pas tromper un être virtuel après tout, la mort est irréversible, Ray ne reviendra plus, moi, je suis bien là, en chair et en os…

_Fermez-la ! Martin pousse violemment le docteur au sol, perturbé, il se rend compte de ce qu’il vient de faire. Il s’engouffre dans sa voiture et ferme la portière avant de regarder Andersen au sol et lui dire, je suis désolé…

_Ne le soyez pas, c’est la colère et la peur d’affronter la réalité qui se sont exprimées. Vous souffrez d’une forme de nécrophilie, ce n’est pas un cas isolé. Ça arrive après la perte de l’être aimé et ça se soigne. Je pense que Ray Williams aurait voulu que vous acceptiez mon aide pour aller de l’avant et refaire votre vie même si je ne suis pas l’heureux élu.

_Vous ne le connaissiez pas alors gardez vos opinions à la con pour vous-même. Restez loin de moi, de ma clinique, de ma maison, je ne veux plus jamais vous revoir. Si vous croisez ma route dans l’avenir, prenez une autre direction. Chauffeur !
La voiture de Martin quitte le parking sous le regard compatissant de Andersen qui n’arrive pas à se mettre en colère contre lui, il comprend sa douleur et veut l’aider, il ignore s’il est amoureux de Martin mais il sait que c’est plus que de l’attirance qu’il ressent pour le docteur londonien. Il sort son téléphone, compose le numéro de son cousin, la messagerie vocale l’invite à laisser un message vocal.

_Brady, passe me voir dès que possible, tu avais raison Martin ne s’est pas remis de la mort de son petit ami, pire, je pense qu'il développe une forme passive de nécrophilie. Il a besoin d’aide avant de perdre pied pour de bon. Andersen range son téléphone en pouffant d’impuissance, il sort sa clé et se dirige vers sa voiture. Circulez, le spectacle est terminé ! Lance-t-il aux quelques regards indiscrets qu’il sent encore l’épier.


À suivre...

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Jusqu'à ce que la mort nous unisseWhere stories live. Discover now