Juin - 10 (3).

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— Bon, bon, ok ! Je ferai de mon mieux pour écrire. Même si je n'ai pas de talent...

— L'écriture, ce n'est pas qu'une question de talent. Et arrête de dire ça, c'est énervant. Tu as du talent. Crois-moi. Tu manques juste de pratique. Tu manques de ce petit truc qui te transformera en un monstre d'art.

— C'est presque terrifiant... Mais ça ne fera pas de moi un excellent auteur. Il y a des choses que je ne serai pas capable d'atteindre...

— Tu as déjà fait beaucoup plus que tu ne le penses, Victor.

— Ah ouais, quoi ?

Yann profita de leur proximité pour coller ses lèvres contre celles qui leur faisaient face. Un baiser hors du temps, spectral, éthéré ; un baiser comète, filant sur leur peau comme la poussière d'étoile dans le ciel. Le monde n'était plus qu'un flou artistique, une toile de fond dont ils se soustrayaient avec passion. Ne restait plus que leur passion.

— Tu as réussi à me faire tomber amoureux comme jamais personne n'aurait pu le faire. Tu as pu donner un autre sens à ma vie. Tu as repris confiance en toi, tu as défié l'univers à mes côtés. On a tendu un doigt aux autres. Grâce à toi, j'avais le sentiment que rien ne pouvait m'arrêter. J'ai enfin pu goûter à ce sentiment. Ce sentiment d'être vraiment aimé par quelqu'un qui n'avait pas à aimer. Je vais te dire une chose que j'ai appris récemment.

Sa phrase se perdit dans une nouvelle crise respiratoire. Yann poussa un juron ; ce n'était pas le bon moment. Il se reprit après une éternelle minute d'inquiétude. Il se para d'un petit sourire de façade et s'avança vers Victor. Dévoré par la curiosité, il attendit.

Lorsque les mots se frayèrent un chemin jusqu'au creux de son oreille, ses yeux s'agrandirent. Il goûta et mâcha les lettres qu'on lui offrait comme un condamné qui mangerait son dernier repas. Il hocha avec lenteur la tête. Puis un grand sourire orna son visage.

— T'es vraiment incroyable, toi, dit Victor.

Yann haussa les épaules. Il se recala dans son fauteuil roulant et remonta ses lunettes d'un geste plein d'assurance.

— Tu veux qu'on continue de se balader un peu ? demanda-t-il. J'ai envie d'explorer un peu encore le monde avec toi.

— Avec plaisir.

Victor se leva et empoigna le fauteuil, prêt à reprendre leur marche. Peu leur importait la taille du monde qu'ils devaient parcourir ; avancer ensemble, envers et contre tout, voilà ce qui comptait pour eux.

Ils se promenèrent une dizaine de minutes encore, discutant de tout et de rien. Le vent berçait le feuillage joyeux des arbres. Victor avait l'étrange impression que le monde saluait leur passage ; les brins d'herbe se dressaient sous leurs pieds, les feuilles ondulaient de plaisir, les fleurs transpiraient leur parfum d'été à chacune de leurs respirations. Une haie d'honneur encadrait leur vagabondage héroïque.

Au troisième tour, Yann commença à fatiguer. Sa respiration se faisait plus irrégulière, comme un monstre ronflant que l'on aurait troublé en pleine rêverie ; ses phrases, de plus en plus ponctuées par des quintes de toux, elles, s'écourtaient.

— On ferait mieux de rentrer, proposa Victor.

— Mon corps ne supporte plus ce monde, soupira Yann. Je ne suis pas fait pour côtoyer les simples mortels.

Victor gloussa en entendant cette remarque. L'orgueil de Yann faisait mouche à chaque fois et ne manquait jamais de lui arracher un sourire. Il se sentait idiot. Il avait l'impression de céder pour tout et n'importe quoi ; un regard, un sourire, une blague idiote. Il n'était plus qu'un bambou face à la tempête de l'amour.

Lie tes raturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant