— Tu savais que les licornes existent ?

— Ouais.

— J'ai même trouvé un autre petit ami avec qui faire une chevauchée.

— Ok.

Cette fois-ci, c'en était trop. Victor abattit son poing sur la table à côté de lui :

— Yann !

Le blond sursauta et le regarda. Ce regard... Victor ne le reconnaissait pas. C'était un regard venant d'un inconnu ou d'un amnésique qui émergeait longuement d'une léthargie incontrôlable.

— Hein ?

— Tu ne m'écoutes même pas, soupira Victor.

— Excuse-moi... Tu disais ? sourit-il.

— Rien d'important.

Yann acquiesça d'un air grave, comme si cette simple information avait une importance capitale. Il fixa quelques longues secondes Victor, quelques secondes qui durèrent une infinité de minutes. Puis il tourna la tête vers la petite fenêtre étriquée.

— Désolé, finit-il par lâcher. J'ai un peu la tête ailleurs...

— Je vois ça, ouais... Quelque chose ne va pas ?

— Non, c'est juste que...

Il ne termina pas sa phrase. Les yeux baissés de honte, il ne regardait même plus Victor. Ce dernier attendit patiemment que son petit ami trouve ses mots.

— C'est rien. C'est juste que j'ai été surpris d'être placé dans une chambre pour enfants. J'ai l'impression de te voler ta place.

— Eh ! Qu'est-ce que ça veut dire, ça ! s'indigna Victor.

Yann ricana devant la réaction puérile de son petit ami qui croisa les bras, vexé et boudeur. Certaines choses ne changeaient pas, au moins.

— J'espère que tu vas vite te rétablir. Tu te souviens de mon nom, au moins, hein ? s'amusa Victor.

— Bien sûr que je n'ai pas oublié ton prénom... Jean-Claude, c'est ça ? Ou Jean-Eustache... Un truc comme ça, non ?

— Eh !

Le nouveau rire de Yann lui arracha cette fois-ci une quinte de toux. Voyant que Victor allait se précipiter à ses côtés, il leva sa main pour l'inciter à rester assis.

— Je ne suis pas à l'article de la mort, ironisa-t-il. Pas encore.

— Très drôle, ronchonna son petit ami.

Le silence retomba sur les épaules des deux garçons, fardeau céleste qui coulait en eux, pluie détestable qui s'infiltrait dans leur chair jusqu'à l'os.

— Je me souviens de tout.

La bombe avait été lâchée. Yann avait prononcé ces quelques mots si clairement que Victor ne pouvait pas douter, mais de façon si lente et articulée que le temps parut se figer.

— Le docteur a dit qu'il était possible que j'oublie une partie de ce qui s'est passée avant la chute. Victor... Je n'ai pas été maladroit. J'étais dans ma chambre et j'allais bientôt partir pour le lycée. J'ai regardé mon portable et j'ai vu que j'avais reçu quelques mails. Je...

— Qu'est-ce que c'était ?

— Trois d'entre eux venaient de maisons d'édition.

Victor se figea. Quand il croisa le regard de son petit ami, son visage s'était décomposé en un flot de larmes silencieuses. Il crut que son coeur allait exploser. Il le savait. Les larmes silencieuses sont les plus lourdes.

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