Victor ravala les sanglots qui menaçaient de tomber et continua d'avancer.

— Eh, Victor, pas si vite ! Attends-moi ! Tu ne sais même pas...

— Je peux pas ralentir, je dois le rejoindre !

C'est à lui que je dois d'être encore ici... Alors je ne peux pas... l'abandonner.

Il monta les marches quatre à quatre avec encore plus de vigueur qu'un coureur olympique, esquiva les malheureux qui se trouvaient sur son chemin et pénétra dans le bâtiment. Pauline, derrière lui, le suivait difficilement. Jamais elle ne l'avait connu aussi agité. Elle n'avait plus son meilleur ami d'enfance, turbulent et rieur. Devant elle se tenait un monstre de tristesse trop longtemps enfoui dans les ténèbres refoulées. Une bête libérée de sa cage.

Il ne lui fallut pas longtemps pour repérer Cécile et se diriger vers elle. Prévenue de leur arrivée, elle attendait les deux adolescents, assise sur une chaise froide et austère, ses cheveux blonds en bataille couvrant son visage fermé. Ses yeux, aussi clairs que ceux de son fils, brillaient d'une infinie tristesse, plongés dans l'obscurité des jours malheureux. Elle regarda Victor avec un infini désespoir.

Lorsqu'il fut à quelques mètres, elle eut toutes les peines du monde à se lever. Sa poitrine, qui se soulevait à un rythme irrégulier, étouffait sous le boulet de tristesse qu'elle traînait. Il ne pouvait que comprendre l'infinie désastre qui s'abattait sur ses épaules, cette bulle de vide insatiable qui dévorait tout sur son passage. Craindre de perdre un proche à tout moment, c'était comme marcher sur des éclats de verre : la terreur que ce présent ne devienne un souvenir écorche l'âme comme le verre écorche les pieds.

Victor, mû par l'instinct de l'enfant, s'approcha et serra fort la mère de son petit-ami dans ses bras. Il colla la poitrine à la sienne et il pleura, encore et encore. L'inquiétude martelait son crâne. La tristesse déchirait sa poitrine. Aucun souffle ne venait à sa gorge. Dans cette pièce, au milieu de tous ces êtres blessés, il était seul. Perdu au coeur de cette immense pièce, personne ne pouvait comprendre, pas même cette femme avec qui il partageait la personne la plus importante de son existence.

— Cécile...

— Victor... Je suis contente de te voir...

Elle recula et posa une main compatissante sur son épaule. Victor se crispa, sachant très bien qu'il pourrait craquer à tout moment. Il se mordit sa lèvre trop émotive. Cécile se tourna ensuite vers Pauline et la remercia d'être venue, mais déjà, l'adolescent n'écoutait plus. L'assourdissant tintamarre qui se jouait dans sa tête l'envahissait. Lorsqu'il avala sa salive, elle lui parut bien acide. Rassemblant toutes ses forces, il réussit à lui poser la question qui lui brûlait les lèvres :

— Est-ce que... Est-ce que c'est grave ?

— Je... Je ne sais pas, Victor... Les médecins qui nous ont reçus n'étaient pas affolés mais ils n'étaient pas rassurés... Ils viennent de l'emmener pour faire un scanner il y a dix minutes.

— Bordel... Mais... Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Il la vit prendre une grande inspiration.

— Il se préparait pour aller en cours. Comme tous les jours, il prend un bon petit déjeuner, puis part se préparer, pendant que je range mes affaires. Je l'ai entendu prendre sa douche puis s'enfermer dans sa chambre... Je sais qu'il aime bien rester un peu seul le matin. Quelques minutes plus tard, j'ai entendu un bruit... comme si quelque chose tombait... Au début, j'ai pensé que ça venait de l'appartement des voisins, mais... quand je lui ai demandé si ça allait, je n'ai pas eu de réponse. Je pensais qu'il avait son casque, alors je suis rentrée dans sa chambre. Et là...

Lie tes raturesWhere stories live. Discover now