Le Paladin était une armure de combat de près de cinq mètres de haut. Il aurait déjà été difficile de rendre discrète une telle masse avec le meilleur des camouflages de l'univers, mais ses concepteurs y avaient manifestement renoncé. La machine était peinte dans des tons blanc et or, avec une grosse pierre rouge enchâssée dans la poitrine.
-C'est un mécha? demanda Varig avec intérêt.
Ces chars d'assaut humanoïdes lourdement armés existaient dans bon nombre d'armées à travers Andromeda. Il y en avait d'innombrables modèles, servant aussi bien à la défense planétaire qu'en soutien des troupes de choc. Ces artilleries mobiles étaient des machines coûteuses et à l'efficacité très variable. Certaines égalaient péniblement un chasseur alors que d'autres pouvaient tenir tête à tout un escadron.
-Si on en croit ses concepteurs, c'est même le mécha ultime, railla Jedora. Mais nos ingénieurs...
Elle avait prononcé ce mot avec un mépris cinglant, sans doute le reflet d'une vieille inimitié avec cette corporation.
-... Ne parvenaient pas à le faire fonctionner, faute de disposer de la même technologie énergétique que l'ARES. Toute la production de courant sur la planète suffirait à peine à démarrer les fonctions motrices de base; heureusement je travaille depuis quelques temps sur mon propre réacteur de poche auquel il ne manque plus que...
-Discutons les détails en privé, la coupa Thrawn.
Tandis que les "blouses blanches" reprenaient leurs travaux respectifs, l'Empereur, l'amiral et la scientifique s'isolèrent dans une petite pièce attenante, une sorte de vestiaire high-tech ou de sas entre le labo et la hangar où était stockée l'armure.
-Le professeur Jedora dirige les recherches impériales sur les Nihilithes, indiqua Thrawn. Elle a récemment émit une hypothèse sur la source de leurs pouvoirs qui s'est révélée avoir des applications... Intéressante.
-Des générateurs à brèches spatio-temporelles, lâcha-t-elle.
Les deux hommes attendaient qu'elle ajoute quelque chose mais elle ne le fit pas, comme si ces quelques mots se suffisaient à eux-même.
Non qu'elle croit sincèrement avoir affaire à des personnes aussi intelligentes qu'elle; c'était plutôt une façon de les rabaisser en faisant semblant de l'ignorer.
-La professeur Jedora pense que les Nihilithes ne sont pas de simples sources d'énergie vivantes, mais plutôt des portails conscients connectés aux premiers temps de l'univers, expliqua Thrawn à sa place. Une époque où toute l'énergie et la matière connue était concentrée dans un tout petit espace, et où les lois physique que nous connaissons ne s'appliquaient pas encore. Ces entités sont capables de manipuler cette puissance brute, qui serait la source de leur pouvoir.
-Je ne suis pas sûr de comprendre, lâcha prudemment Varig. Qu'est-ce que ça veut dire?
-C'est pourtant simple, s'agaça Jedora. Les Nihilithes ne génèrent pas d'énergie; ils la récupèrent dans le passé en créant une brèche spatio-temporelle vers les premiers temps de l'univers. Cela leur offre des pouvoirs quasi infinis, mais si la brèche s'ouvre en grand, c'est la réalité elle-même qui est broyée. Le temps, l'espace, la matière, l'énergie, tout est balayé. On efface et on recommence. Pfffuit!
Varig n'était pas certain d'avoir tout compris mais baissa les yeux vers la bague de l'Empereur.
-Alors ce truc pourrait... Détruire l'univers? demanda-t-il, inquiet.
-Théoriquement... commença Jedora.
-Ce n'est qu'un fragment, la coupa Thrawn. Capable de puiser dans la même source d'énergie mais de façon très limitée, sans risque pour Andromeda.
-... Pour l'univers peut-être, mais si votre jouet se transforme en supernova un de ces jours, faudra pas venir vous plaindre, grommela la scientifique. J'aurais prévenu.
Varig se massa les tempes, sentant poindre comme un mal de tête. Il commençait à détester ces Nihilithes; à chaque fois qu'il en entendait parler, sa vie prenait un tour un peu plus compliqué. Détruire l'univers, des supernovas de poche... Le meilleur moyen d'éviter le vertige était encore de se raccrocher à des choses concrètes.
-Donc, vous avez utilisé vos théories pour faire marcher le Paladin, déduisit-il.
-C'était l'idée oui, lâcha Jedora. Sauf qu'il me fallait une interface qui remplace le Nihilithe pour puiser et modeler l'énergie primordiale en quelque chose d'utilisable par notre technologie.
-C'est là que tu entre en scène, précisa Thrawn. Le professeur a conçu un dispositif de contrôle des brèches et l'a intégré pour qu'il alimente les systèmes du Paladin. Tu pilotera l'armure et tu seras aussi sa source d'énergie.
Abasourdit, Varig regarda alternativement ses interlocuteurs. Le duo qui lui faisait face avait pourtant la réputation d'être composé de génies, chacun dans leur domaine; pourquoi ne voyaient ils pas ce que même lui comprenait facilement...?
-Même en admettant que votre réacteur ne me grille pas la cervelle et qu'il n'implose pas, est-ce vraiment une bonne idée de jouer avec des forces capables de dévaster l'univers entier? demanda-t-il sèchement. Je veux dire...
Thrawn lui avait révélé une partie de l'histoire que Jedora devait encore ignorer; comment sa race s'était auto-exterminée après avoir cherché à maîtriser les pouvoirs du Nihilithe Anima, auquel elle avait donné naissance. Mais avant qu'il ne décide s'il devait préciser sa pensée, l'Empereur reprit la parole.
-Cet univers est déjà en danger de mort, et l'énergie primordiale sera exploitée tôt ou tard par un autre empire, prophétisa-t-il. La guerre menace de consumer Andromeda, et parfois il faut combattre le feu par le feu. Quant à tes inquiétudes concernant cette expérience...
-... Je suis une scientifique sérieuse et je n'ai aucune envie de finir désintégrée dans une implosion ou de gaspiller mon seul cobaye utilisable, le coupa Jedora avec humeur. D'ailleurs presque personne n'a eu les neurones grillés par une de mes expériences, ou du moins pas récemment.
Moyennement rassuré par ces arguments, Varig croisa les mains dans le dos, raide.
-Mon Seigneur, puis-je vous parler seul à seul? demanda-t-il finalement.
Jedora haussa les épaules et se dirigea vers la sortie sans attendre la réponse de l'intéressé.
-De toute façon j'ai du travail. Prévenez moi quand il sera prêt Thrawn.
Elle disparu, laissant le chevalier seul face à son Empereur. Les deux hommes restèrent silencieux quelques instants.
-Vous et moi savons ce que les inventeurs des Nihilites avaient en tête, attaqua le jeune homme. Ils voulaient gagner une guerre sans fin; à la place ils ont tout détruit...
-Je sais tout cela depuis bien plus longtemps que toi, répliqua Thrawn avec agacement. Mais ce pouvoir fait partie de ce que nous sommes, Varig. Il coule dans nos veines, et pas seulement les nôtres... Souviens toi Appollyon. Des forces destructrices sont en marche, et si on veut avoir une chance de les arrêter, on doit rassembler tous les atouts possibles.
-Bien qu'ils soient dangereux?
-Surtout s'ils sont dangereux, déclara l'Empereur. On ne peut pas gagner une guerre sans prendre de risques.
Debout face à lui, Varig chercha une hésitation sur le visage de l'Empereur. Mais Thrawn était sûr d'avoir raison, et rien de ce que son Chevalier pourrait lui dire ne le persuaderait du contraire.
D'ailleurs il ne voyait pas ce qu'il aurait pu dire; ils étaient aux prises avec des forces qui les dépassaient de très loin tous les deux. Peut-être devait-il s'estimer chanceux de ne pas être à la place de Thrawn; son travail, son devoir, était plus simple et rassurant. À force de donner des ordres comme amiral, il en finissait par perdre de vue les fondamentaux.
Remplir sa mission. Obéir aux ordres.
-Très bien, lâcha-t-il. Je piloterais le Paladin.
-Je n'en ai jamais douté, indiqua Thrawn en posant brièvement sa main sur son épaule. L'ingénieur en chef du projet va venir t'aider à t'équiper.
Il se dirigea vers la sortie mais s'arrêta en route, comme si une idée venait soudain de lui traverser l'esprit.
-Et Varig? J'attends de toi que tu obéisse à mes ordres, mais pas aveuglément. Continue de me dire que je me trompe à chaque fois que tu le crois nécessaire.
Le chevalier sourit.
-À vos ordres mon Seigneur.
-Et... Bonnes retrouvailles, conclut l'Empereur avant de quitter la pièce.
Resté seul, Varig fronça les sourcils, perplexe.
Retrouvailles?
La porte s'ouvrit à nouveau et livra passage à une jeune femme en tenue blanche, répondant à sa question silencieuse.
-Salut p'tit frère, lança-t-elle avec bonne humeur. Ça fait un bail.