J'émergeai difficilement d'un sommeil cotonneux. Je me trouvai dans une pièce toute blanche, très simple. Ce n'était aucune de mes chambres, ni celle de mon appart, si celle de la meute.
Je battis des paupières. Enfin, de la paupière qui fonctionnait. Mon œil droit était toujours incapable de s'ouvrir. J'approchai une main prudente. La zone était vaguement douloureuse, mais rien de comparable avec mes derniers souvenirs. Le cathéter dans le creux de mon coude me tirait plus que ma tempe. Je sentis un pansement au-dessus de mon œil obstinément fermé. Il avait l'air gonflé.
« Hey, bienvenue parmi nous la belle au bois dormant ! »
C'était la voix de Léo.
« Mais laisse-lui donc le temps de se réveiller tranquillement. »
Et ça c'était Armand.
Je soupirai d'aise. J'étais contente d'être de retour au cœur de la meute, en sécurité.
« Salut, salut. » Murmurai-je d'un ton que je voulais enjoué qui mais fut principalement enroué.
Je pris maladroitement appui sur mes avants bras pour essayer de m'asseoir. Immédiatement, les bras d'Armand furent autour de moi. Il m'aida à me redresser en me taquinant.
« Tout doux, tout doux, il ne faudrait pas que tu tombes à nouveau de ton lit. »
Léo rigola bêtement et commenta :
« Elle ne risque rien, on lui a mis des barrières sur celui-ci ! »
Je grommelai un truc dans ma barbe, tout en étant consciente que je méritais leurs moqueries. Je remerciai Armand pour son aide et observai mieux la pièce autour de moi.
C'était une sorte de chambre d'hôpital. J'étais dans un lit en métal une place, dont les bords étaient effectivement gardés par des barrières rondes, également en métal. Une perfusion me dispensait un liquide transparent. J'essayai à nouveau de porter la main à mon front. Armand, resté près de moi, interrompit mon geste en prenant ma main dans la sienne.
« On ne touche pas demoiselle. Tu as un magnifique coquard et trois points de suture. Ce n'est finalement pas grand-chose, mais ça a dû être sacrément douloureux et ça prendra quelques jours pour dégonfler. Quant aux points de suture, tu en as pour au moins deux semaines. »
Je laissai ma main dans la sienne, son contact me rassurait. Je désignai la perfusion.
« C'est quoi ?
– Sérum physiologique et paracétamol. Rien de bien renversant, mais je me suis dit que ça te ferait du bien.
– Je suis restée inconsciente longtemps ?
– Toute la nuit et jusqu'à maintenant... »
Il jeta un coup d'œil à la montre.
« Il est dix heures du matin.
– Le travail ! » Criai-je en me redressant brusquement. La tête me tourna. Durant quelques secondes j'eus la nausée.
« T'inquiètes princesse, on a prévenu ton chef que tu avais eu un accident. Le doc t'a fait un arrêt de travail pour la semaine. Dans « circonstances de l'accident », il a marqué « coups et blessures reçues dans le cadre d'une opération de sauvetage ». »
Elle ricana. Armand haussa les épaules. Je soupirai de soulagement. Une opération de sauvetage, hein...
« Et Nathan ? »
Armand grimaça.
« Vous l'avez tué ? Demandai-je, horrifiée.
– Pardon ? S'écria Armand. Non ! Non ! Évidemment pas ! Mais son état est plutôt inquiétant.
– Comment ça ? »
Armand fit la moue et me désigna Léo du regard. Ah oui, c'est vrai. Il ne pouvait pas parler devant elle.
Je soupirai de frustration et Léo se rendit probablement compte de la situation parce qu'elle se leva en tapant sur ses cuisses.
« Bon, princesse, je te laisse avec ton prince charmant. C'est mon tour de faire la tambouille pour le midi et je n'suis pas en avance ! Ciao ! Et, princesse, heureuse que tu te sois réveillée. »
Elle me souffla un baiser accompagné d'un clin d'œil et sortit de la chambre d'un pas pressé.
Quelle étrange femme.
Armand avait la tête penchée sur le côté et les yeux dans le vague. Il devait l'écouter s'éloigner. Finalement il reporta son attention sur moi.
« Quels souvenirs as-tu des événements d'hier ? »
Je lui fis le récit de tout ce dont je me souvenais. Il m'écouta avec attention. Puisqu'il était là lorsque j'avais été interrogée par Victor au sujet de ma nature, je ne fis pas l'impasse sur les deux moments où Loup des Rêves avait pris possession de mon corps pour me sauver des attaques de Nathan. Il hocha la tête, pensif, lorsque je le lui racontai. Plus tard dans mon récit, il leva furtivement un sourcil étonné lorsque je mentionnai Maurice dans sa forme intermédiaire. Lorsque j'eus fini, il me sourit.
« Tu n'as pas raté grand-chose finalement. Je ne comprenais pas comment ça se faisait que tu te sois évanouie deux fois avec seulement le coup que tu t'étais donné à la tempe. C'était un peu disproportionné. Mais apparemment, tu t'étais déjà évanouie une première fois dans la chambre de Laura avant de te cogner. Je pense que c'est en rapport avec l'intervention de l'esprit loup qui vit en toi. Ce type d'action doit lui demander énormément d'énergie spirituelle et je pense qu'il doit t'en prendre également lors de ses possessions. »
Je hochai la tête, l'air probablement un peu ahurie. Subitement, je fis un lien.
« Ah mais, c'est toi le »Doc« ?
– Oui mademoiselle, professeur Tarot pour vous servir.
– Tarot, comme le jeu de cartes ? Pouffai-je.
– Tout à fait. »
Nous nous sourîmes bêtement. Je croisai son regard émeraude qui me rappela sa mauvaise blague lors de notre première rencontre.
Subitement mal à l'aise je détournai le regard et repris notre discussion pour penser à autre chose.
« C'est quoi la forme intermédiaire ?
– Alors ça, c'est un des secrets les mieux gardés de notre espèce. Donc tout le monde est au courant. Tu as sûrement déjà vu des représentations des loups-garous sur deux pattes, un pantalon déchiré autour des cuisses, pas de chemise, un visage lupin, la musculature proéminente et la peau recouverte de fourrure ? Les bras terminés par de grandes mains griffues et les pieds remplacés par des pattes ? »
Je hochai la tête.
« C'est la forme intermédiaire. Elle est en fait extrêmement rare. Dans notre meute, seuls quelques loups-garous peuvent l'adopter et surtout la maintenir. La difficulté vient du fait qu'il faut commencer une métamorphose puis l'interrompre entre-deux, ce qui est totalement contraire à notre instinct. Ensuite, une fois la métamorphose interrompue, il faut l'empêcher de reprendre. Or nous ne sommes pas programmés pour ne pas finir une métamorphose. Coincés au milieu, nous nous sentons vulnérables et incomplets. Notre corps va constamment chercher à retrouver l'une ou l'autre de nos formes complète. C'est un art vraiment particulier que peu maîtrisent. Cette forme, outre son aspect très cinématographique, a cependant des avantages remarquables : jouir des sens lupins et d'une agilité humaine, notamment la préhension qui est maintenue, ainsi que garder la capacité de parler ! »
Je me rappelai la voix rocailleuse de Maurice à ce moment-là Oui, c'était bien pratique et la fourrure était vraiment confortable.
« D'accord, merci Armand. »
Je me rappelai subitement de ce dont je voulais lui parler avant le départ de Léo. J'étais vraiment dans les vapes...
« Et Nathan dans tout ça ? »
Il souffla d'agacement.
« Il nous a extrêmement bien mené en bateau. Nous ne l'aurions pas accueilli si nous avions eu conscience d'à quel point il était avancé sur la voie vampirique. Ce gamin est vraiment exceptionnellement doué, et incroyablement fort. Mentalement parlant. Il a tenu des semaines sans boire le sang de sa maîtresse. Dans sa condition, il aurait dû en mourir. Il a craqué hier soir lorsqu'il a abattu son joker en utilisant un don vampirique. Alors certes, cela vous a permis d'avoir le témoignage de la petite, mais cela a également précipité son basculement du côté des vampires. La mutation que son corps subissait jusqu'à présent de manière si subtile qu'elle nous avait échappé a été follement accélérée. Il vous a attaqué parce qu'il avait besoin de sang et ne se contrôlait plus. Les garçons, pourtant tous les deux des guerriers confirmés et malgré la forme intermédiaire adoptée par Maurice, ont mis plus d'une demi-heure à l'immobiliser. Ils ont été obligés de l'assommer pour le contenir. C'est presque incroyable qu'un rouge-gorge en fin de procédure mais pas encore totalement vampire ait pu tenir en échec si longtemps deux de nos meilleurs chasseurs. Sans parler de la totalité de la meute qu'il a roulé dans la farine durant des semaines, alors même qu'il vivait sous le toit d'un loup-garou. À vrai dire, ces derniers événements nous poussent à reconsidérer à la hausse la puissance que nous prêtions aux vampires. Il faut croire qu'ils se donnent beaucoup de mal pour paraître moins dangereux que ce qu'ils le sont en réalité. Pour ce qui est de Nathan, plus précisément, nous l'avons mis en isolation. Pour l'instant je le maintiens sous sédation légère et je lui administre du sang humain sous perfusion. Il est dans une pièce à l'abri de la lumière du soleil. J'espère que cela suffira à le garder en vie le temps que Victor et Marc prennent une décision.
– Quel genre de décision...? »
Je craignais le pire.
« Nous ne pouvons intégrer un vampire à la meute. A vrai dire, nous ne pouvons même pas le garder en vie durablement. Il a besoin qu'un vrai vampire s'occupe de compléter le processus de transformation. Il ne redeviendra jamais humain, c'est trop tard. Donc la décision à prendre est la suivante : tuer le garçon tant qu'il est encore un peu humain ou le rendre à sa maîtresse pour qu'elle puisse compléter son œuvre. Victor a convoqué le père de Nathan, il devrait arriver dans l'après midi. Ils prendront la décision tous les trois.
– Et... l'avis de Nathan dans tout ça ? »
Armand haussa les épaules.
« Il n'a plus la possibilité de donner son avis. Il doit se soumettre au jugement de la meute. S'il n'avait pas été le neveu de Marc et s'il ne s'était pas mis en danger pour nous aider à retrouver un enfant de la meute il serait déjà mort. D'un autre côté, c'est un peu à cause de lui si Guillaume est entre les mains de sa maîtresse. D'ailleurs, grâce à la description fournie par Laura nous avons pu l'identifier ce vampire ce qui devrait faciliter les négociations, si négociations il doit y avoir. »
Je sentais la colère monter en moi, minutes après minutes et la contenais du mieux que je pouvais. J'essayai de dévier la conversation pour me donner le temps de me calmer.
« Oh, et les parents de Laura ? Et Laura ?
– Ils vont bien. Ils étaient très mécontents de retrouver leur maison toute sens dessus dessous, mais ils ont fini par se calmer et se réjouir que leur fille soit en bonne santé. Nous les avons relogés dans un logement à Marvejols le temps d'effectuer les travaux nécessaires à la remise en état de leur propriété. Laura était un peu perturbée mais elle est physiquement en parfaite santé. Marina a eu une longue discussion avec elle et la petite en est sortie apparemment apaisée et inquiète pour son amoureux. Je pense que ça ira pour eux.
– Guillaume est donc bien aux mains de la maîtresse de Nathan ?
– Oui, et c'est un argument de plus pour garder Nathan en vie. Sa transformation est assez avancée pour qu'on puisse affirmer que s'il est remis à temps aux bons soins de sa maîtresse, il pourra continuer son existence comme vampire. Or ce processus est long, délicat et aléatoire. Nous pensons que plus de 98 % des humains qui le subissent meurent sans jamais goûter à l'éternité. Nathan est donc une monnaie d'échange précieuse pour nous, car il doit probablement être irremplaçable pour sa maîtresse. »
Je ne pus retenir ma colère plus longtemps.
« C'est comme ça alors ? C'est un fœtus vampirique alors vous n'en voulez plus ? Fini l'enfant de la meute, voici venue la monnaie d'échange ou la monstruosité à euthanasier ?
Le regard d'Armand se riva au mien. Il avait les sourcils froncés et les traits fermés.
« Oui Myriam, c'est exactement ça. Il n'est plus humain. Ce n'est pas un loup-garou. Il n'est plus sous la protection de la meute. La seule allégeance d'un vampire va à son créateur. Nous le savons et agissons en fonction. Nous ne sommes pas des Bisounours. »
Je ne répondis pas et tournai la tête vers le mur que je me mis à fixer avec obstination. J'avais retiré ma main de celle d'Armand. Il resta un moment près de moi, sans rien dire. Il attendait mais j'avais un doctorat en science de la bouderie. Il ne pouvait pas lutter.
Armand soupira et je l'entendis se lever. Peu de temps après la porte se referma. Je les détestais tous.
Je pris quelques minutes pour réfléchir et me calmer. J'étais en colère, mais pas débile. Enfin, pas totalement. J'avais besoin de voir Nathan, de me faire moi-même mon idée. Peut-être, peut-être qu'ils avaient raison. Mais la veille, je l'avais vu se sacrifier pour obtenir les renseignements qui pouvaient permettre de sauver son cousin. Ou lui permettre de retrouver sa maîtresse ? Franchement, je n'étais pas sûre de tout comprendre à ce qui se jouait autour de moi.
Quoiqu'il en soit, j'étais peut-être trop influencée par mes récentes et romantiques lectures, mais je ne voyais pas pour quelle obscure raison les vampires seraient moins humains que les loups-garous.
Je remarquai que la poche de ma perfusion était vide. J'en profitai pour l'enlever. Un truc embêtant de moins. Pour mon œil qui refusait de s'ouvrir je ne pouvais pas faire grand-chose. Ensuite... Sortir du lit et me trouver des habits. Je portais une de ces blouses d'hôpitaux qui... Oh... My... God... Armand m'avait déshabillé ??? Non, ça avait dû être une des femmes. Le sourire mutin de Marina et le clin d'œil de Léo me revinrent en tête. Peut-être que, finalement, je préférais que ce soit Armand.
Ou Maurice ? Un léger sourire étira mes lèvres avant que je me reprenne.
Je soupirai, agacée par mes pensées papillonnantes.
Je repoussai les draps et observai le mécanisme de barrières de mon lit. Quelques minutes plus tard j'étais debout, à peu près. En fait, j'étais appuyée contre le mur. Bon, je tanguais un peu. Pas de manière insupportable, mais peut-être un peu trop pour mener une opération d'infiltration discrète dans le donjon secret des loups-garous. Il y avait aussi ce problème-là je ne savais pas où Nathan était... Entreposé.
Têtue, j'entrepris de faire le tour de la petite pièce jusqu'à ce que mon équilibre se soit suffisamment stabilisé pour que je puisse m'éloigner du mur. Lorsque je me sentis assez assurée sur mes jambes, je poussai un soupir de soulagement. C'était déjà une bonne chose.
Je me mis à la recherche de mes habits que je trouvais assez facilement, soigneusement pliés dans l'unique armoire de la chambre. Je remerciai mentalement la personne qui s'était aussi bien occupé de mes fringues tout en espérant que ces derniers ne s'étaient pas trop habitués à ce traitement de luxe.
Habillée et capable de me déplacer seule, j'étais prête à partir à la recherche de Nathan. Enfin. Je pouvais toujours essayer.
Je tendis mon esprit vers Loup des Rêves comme j'avais pris l'habitude de le faire ces derniers jours. Il était là, fidèle au poste.
Avec détermination, je lui expliquai ce que je voulais faire, et pourquoi.
Il m'écouta avec attention, ne fit aucun commentaire. Il se contenta de me préciser que dans l'état de faiblesse énergétique qui était le mien, il ne pourrait que me prêter ses sens, s'il prenait possession de moi, je m'évanouirai immédiatement.
Cela me parût suffisant.