Hunter jaillit hors de la salle de cinéma et passe devant la billetterie, sous le regard étonné de la guichetière. Il avait prévu d'affronter des créatures de la nuit, pas de devoir s'enfuir devant un ancien policier un peu trop déterminé à son goût. Heureusement qu'il ne garde rien de précieux dans son manteau, qu'il a dû abandonner à regret.
Il débouche sur la rue encombrée de véhicules. Il ne s'est pas garé en face et grand bien lui a pris, car il aurait eu du mal à traverser sans risquer de se faire écraser. Il continue sur la droite, au pas de course malgré la légère douleur au genou. Il ne doute pas que si ce monsieur Jake avait eu plus d'élan, il lui aurait cassé l'os avec sa force.
— Hunter !
Il regarde de l'autre côté de la rue en entendant son patronyme et le regrette aussitôt, car il vient de confirmer son identité à la jeune femme aux cheveux bruns, à la veste en cuir et au 9MM Beretta brandi. L'ancien-flic n'est pas venu seul.
Elle lui ordonne de s'arrêter mais il continue, passant devant un salon de coiffure, un marchand de tabac et une boutique à hot dogs avant de déboucher sur un grand carrefour, toujours poursuivi par Jake et sa collègue qui elle n'hésite pas à passer au milieu des voitures. Le chasseur commence à douter de pouvoir simplement rejoindre son pick-up, garé un peu plus loin.
Il s'engage immédiatement sur la droite, passant sous un panneau indiquant les proches Twin-Peaks, et continue sur la 17th Street. Un rapide coup d'œil derrière lui suffit : si l'homme semble avoir abandonné la poursuite, la jeune femme le rattrape rapidement. Des passants rendent l'option d'un tir dans la foule délicat et elle ne semble pas décidée à tenter sa chance.
Le chasseur de vampire passe devant plusieurs grilles fermées et trop hautes pour être escaladées dans le cours laps de temps dont il dispose. Il tourne de nouveau sur la droite à un petit carrefour, sur Hartford Street. La chance lui sourit enfin lorsqu'un livreur de sushis en scooter bleu ciel et rose saumon se gare, à quelques pas de lui. Sa poursuivante semble l'avoir vu aussi car il l'entend crier :
— Police ! Stop !
Cela attire l'attention du livreur qui prend peur et s'éloigne en courant, jugeant très certainement qu'il n'est pas assez payé pour cela. Le scooter s'écrase par terre dans un bruit de ferraille. Hunter s'y précipite et le relève difficilement. Il parvient cependant à démarrer un instant avant que la jeune femme n'arrive à son niveau. Le deux-roues tangue dangereusement au début, mais il se stabilise et prend de la vitesse dans un bruit de moteur criard et une odeur de mauvais gazole. Il s'attend à chaque instant à ce qu'une balle ne vienne mettre un terme à sa longue carrière, mais la jeune femme n'ouvre toujours pas le feu.
— Je sais Alex, dit-il suffisamment fort pour couvrir le bruit du moteur, j'ai pris des risques. Mais si je leur faisais du mal, en quoi serais-je meilleur que ceux que je traque ? Et puis je m'en suis plutôt bien sort...
Une Chevrolet rouge lui coupe alors la route et il doit freiner brusquement pour ne pas s'écraser contre la carrosserie côté passager. Le conducteur en sort immédiatement et il reconnaît Jake, son imposant revolver de chasse toujours en main. Voilà donc pourquoi l'homme ne le poursuivait pas : il effectuait une manœuvre d'encerclement. Bien joué.
Hunter ne lui laisse cependant pas le temps de viser et repart aussitôt en contournant le véhicule par l'arrière, éraflant les deux véhicules dans la manœuvre. Il passe ensuite sur le trottoir pour ne pas se retrouver bloqué par la circulation, tandis que derrière lui deux portières se claquent successivement. La voiture redémarre presque aussitôt.
Il grille un feu sous les klaxons d'automobilistes et doit effectuer une manœuvre dangereuse pour ne pas rentrer de plein fouet dans un tram. Une sirène de police retentit alors derrière lui, ce qui ne l'empêche pas de s'engager sur la 18th Street en direction de l'Ouest. La rue est étroite mais son scooter lui permet de s'insérer entre les voitures, qui de toute façon se poussent pour laisser le passage à ses poursuivants.
— Je sais ce que tu te dis, Alex. On sait tous comment finissent les poursuites dans les informations télévisées...
Le véhicule banalisé se rapproche dangereusement. L'air lui fouette le visage et le force à plisser les yeux pour bien voir. Il se concentre de son mieux et, grâce à des années d'étude des arts martiaux, glisse bientôt vers un état proche de la méditation. Désormais, seul le moment présent existe.
Il évite une portière qui s'ouvre et passe entre un bus et son arrêt avant de tourner brusquement vers la droite pour s'engager vers un parking. Il entend le crissement de pneu de la voiture qui le poursuit et qui perd quelques précieuses secondes pour le talonner.
Son instinct ne lui a pas menti : il continue entre des magasins et tourne ensuite sur la gauche, pour se diriger vers la seconde sortie du parking, qui le mène sur Collingwood St. Il remonte la rue à toute vitesse, sa veste de costume claquant dans le vent. Il sait pourtant pertinemment que cela ne suffira pas à distancer Jake et sa collègue. La voiture débouche à son tour dans la petite rue et après un dérapage contrôlé accélère puissamment, gagnant rapidement du terrain.
La solution qui s'offre à lui prend la forme d'une piste piétonne protégée, parallèle à la route et qui mène droit vers la station de métro. Il s'y engage un peu trop brusquement et manque de tomber, se rattrapant de justesse du pied contre le muret qui sépare la piste de la rue. Il repart immédiatement, klaxonnant pour faire se pousser les quelques passants venus faire du shopping dans le quartier. L'automobile de Jake parvient à son niveau, uniquement séparée par le muret, la sirène perçant les tympans du fuyard.
Encore une fois, il salue le sang-froid des policiers – ou ex policiers – qui n'ouvrent pas le feu en pleine ville. La voiture finit par le dépasser, sans doute pour lui couper la route à la sortie de la piste. Hunter arrive au niveau de la station et n'a pas d'autre choix que d'abandonner le scooter sans perdre une seconde. Déjà la Chevrolet se gare, à une dizaine de mètres à peine. Il se jette vers la station en faisant fi de son genou meurtri et descent dans la station au pas de course, dévalant les escalateurs sous des regards étonnés. Il n'a pas besoin de se retourner pour savoir qu'il est suivi de près.
Il s'engouffre sous terre et descend un second escalateur, le cœur tambourinant dans sa poitrine. Bloqué par les portillons automatiques, il grimpe sur la borne et saute de l'autre côté, ce qui lui vaut d'attirer l'attention et de le ralentir suffisamment. Il court ensuite vers le premier quai qu'il trouve, sans même savoir de quelle ligne ou de quelle direction il s'agit. Il entend derrière lui la femme qui l'avait reconnu crier aux gens de s'écarter d'un ton autoritaire.
Hunter arrive enfin au bout de sa course et manque de se prendre les pieds dans les bagages d'un touriste, mais il se rattrape de justesse. Un rapide coup d'œil lui apprend que la prochaine rame arrive dans quatre minutes, ce qui n'est bien sûr pas suffisant pour espérer s'échapper. Il n'a hélas plus que deux options à ce stade : se rendre ou intensifier la prise de risques.
Il aperçoit la femme brune qui descend les escaliers, son arme dans une main et son badge dans l'autre. Hunter s'éloigne et sprinte jusqu'au bout du quai le plus éloigné, sourd aux injonctions de l'officier de police. Il n'a pas le temps de tirer sur le signal d'alarme, pourtant à portée de main, et descend – ou plutôt dégringole – sur les voies pour s'engager dans le tunnel illuminé par des néons épars.
Il continue de courir, en veillant à bien longer le mur et à ne surtout pas toucher les rails, des fois que l'un d'entre eux soit électrifié. Il entend plus que ne voit sa poursuivante, qui n'a pas lâché l'affaire malgré le danger de la situation. La luminosité faiblit rapidement, ce qui rendra tout tir difficile et le met relativement à l'abri de ce côté-là. Par contre elle semble gagner du terrain et se rapprocher.
Il écrase des déchets qui n'ont rien à faire là et il fait fuir quelques rats qui se glissent sous les rails. Il commence rapidement à s'inquiéter, n'ayant pas encore croisé de renfoncement de maintenance : si un train passe, il n'est pas sûr que se plaquer contre les parois du tunnel suffisent.
— Rendez-vous, Hunter ! Vous n'avez aucune chance et j'ai besoin de vous vivant !
Aucune trace de Jake.
Au loin, une rame s'arrête dans la station qu'ils ont quittée il y a quelques courtes minutes. D'après un rapide calcul, elle devrait les rattraper d'ici moins d'une minute. Il répond, sa voix résonnant dans le tunnel :
— Vous avez encore le temps d'abandonner !
Son pied effleure alors une bouteille en verre, ce qui lui donne une idée. Il la saisit, continuant d'avancer pour le moment, prêt à se coller au mur dès que la rame redémarrera, ce qui n'a pas l'air d'être à l'ordre du jour.
Le tunnel s'illumine d'un coup et un train jaillit en sens inverse, les roues crissant sur les rails et projetant des étincelles blanches et bleues. Le métro passe à deux mètres à peine de lui à près d'une centaine de kilomètre à l'heure, si bien qu'il discerne tout juste les silhouettes des passagers. Le souffle violent manque de lui faire perdre l'équilibre, mais il parvient malgré tout à continuer sur sa lancée, soulagé que la rame soit passée sur les rails d'en face. Celle stationnée à la station n'a pas l'air de partir en tout cas, ce qu'il doit sûrement à Jake.
La pénombre revient et il reprend un rythme un peu plus rapide, jusqu'à ce qu'il repère un néon qui ne fonctionne pas, du même côté que lui. Parfait. Il se colle au mur à cet endroit, presque dans le noir complet, et écoute d'une oreille attentive les pas, prudents, de sa poursuivante. Au loin on peut encore entendre les machineries de trains, dont la distance est dure à estimer.
D'un mouvement lent mais puissant, il jette la bouteille de verre loin devant lui, attirant irrémédiablement l'attention de la jeune femme. Il ne lui reste plus qu'à rester immobile, en attendant qu'elle passe à son niveau et en espérant qu'elle ne le remarque pas avant qu'il soit trop tard. Il dispose là d'un sérieux avantage en tout cas : elle n'a pas l'habitude de chasser dans le noir.
Concentré sur les sons, il perçoit chacun des pas, pourtant discrets, de la jeune femme. Il hésite un instant à sortir l'une des petites fioles qu'il a dans la poche et qu'il réserve aux urgences, mais il en connaît le coût et se refuse à en user dans un but aussi vulgaire qu'éviter de se faire arrêter. Mieux vaut risquer la capture que la damnation.
Elle arrive finalement à portée, se repérant uniquement grâce à un néon lointain. Il s'élance et son pied frappe les mains jointes de la jeune femme qui surprise tire, illuminant le tunnel et leur perçant les oreilles. Il profite du moment de surprise et de désorientation de la jeune femme pour la saisir à la gorge. Elle tente de se défendre mais il place son pied derrière les jambes de la policière et l'entraîne au sol.
La policière pousse un gémissement de douleur et pointe son arme vers lui. Il dévie le canon par pur réflexe et un autre coup de feu part. Il lui saisit le poignet et le tourne violemment, la forçant à lâcher le pistolet. En réaction elle balaie de ses jambes celles de Hunter et le fait à moitié tomber sur les rails.
Tous deux se relèvent sans perdre de temps, malgré la douleur et le danger. Le poignard qu'il porte à la ceinture le démange, mais il ne le dégaine pas pour autant. Elle s'avance et enchaîne plusieurs coups de pieds brutaux qu'il bloque tout en se reculant. Hunter a beau se montrer compétent en combat à mains nues, il ne s'agit pas du tout de sa spécialité, contrairement à d'autres chasseurs qu'il a pu côtoyer, si bien que sans cette pénombre ambiante, il doute qu'il résisterait longtemps aux assauts violents de la policière. Par chance il a l'habitude du combat en aveugle, ce qui lui permet de contrôler malgré tout la situation.
C'est alors que résonnent les pas de course d'un autre individu qui arrive à leur niveau en courant. La jeune femme semble comprendre que de l'aide est en route et redouble de vigueur dans ses attaques. Hunter ne se démonte pas et profite d'un coup trop haut pour se décaler sur le côté. Son poing vient frapper l'abdomen de la policière qui perd son souffle. Elle essaye de le chasser de son coude mais le chasseur passe dans son dos et la saisit à la gorge dans une prise d'étouffement. Un instant après, une lumière et une arme sont braquées sur lui, l'aveuglant.
— Lâche-là ! lui ordonne la voix tremblante de colère de Jake.
Prendre un bouclier humain pour échapper à la police n'est pas l'issue qu'il avait prévue... Il considère ses options, qui se réduisent comme peau de chagrin. L'odeur de la jeune femme lui parvient, un mélange entre un shampoing à la noix de coco, la sueur de la poursuite et le cuir de la veste.
Et il réalise alors qu'il a perdu. Il pourrait la pousser contre l'homme, se jeter vers le pistolet qu'elle a lâché plus tôt et tenter de les abattre tous les deux. Mais ce serait du gâchis : ils ont l'air de bien se débrouiller et ce serait dommage et plutôt immoral de les tuer, d'autant qu'il serait certainement recherché par la suite. Sans compter qu'il risquerait de périr lui aussi.
Le coude de la policière s'enfonce soudainement dans ses cotes, ce qui lui fait lâcher un peu sa prise et elle en profite pour lui administrer un coup de tête brutal. Il recule sous le choc et cette fois elle lui saisit le bras et l'emmène au sol dans une technique exclusive de la police, qui n'a rien à envier à un maître d'Aïkijutsu. Le genou de la jeune femme lui écrase la nuque tandis que Jake se rapproche et le met en joue. À cette distance, mieux vaut ne pas surestimer ses chances de survie. Elle sort des menottes, qu'elle passe à ses poignets sans qu'il puisse y redire quoique ce soit. Se débattre est de toute façon inutile à cet instant.
— Vous êtes en état d'arrestation pour faux, usage de faux, refus d'obtempérer, fuite, coups et blessures.
— Et mauvais choix de films, marmonne l'autre.
— Vous avez le droit de garder le silence, continue-t-elle sans se soucier de l'interruption. Tout ce que vous direz pourra et sera retenu contre vous lors de votre procès. Vous avez le droit à un avocat. Si vous n'en avez pas les moyens, le département de la justice vous en fournira un d'office. Est-ce que vous comprenez vos droits ?
Elle le relève ensuite sans ménagement, ramasse son arme de service et le mène d'une poigne solide vers la station de métro.