Ce mail ne m'inspirait absolument pas confiance et j'étais persuadée que c'était pour m'enquiquiner une fois de plus. Je savais très bien que je ne devais pas compter sur Syrine pour avoir la conscience tranquille le temps d'une semaine. Je reconnaissais que tout ce chamboulement n'était pas une mince affaire pour elle, mais elle devait aussi se rendre compte que ce qu'elle m'avait fait était impardonnable. Très impardonnable.
À la pause de midi, je rejoignis les filles qui m'attendaient à l'entrée du réfectoire. Après de longues minutes d'attente, on passa enfin. On avait un peu de mal à trouver une table de libre, mais nous y étions parvenues tout de même. On posa nos plateaux sur cette table puis nous nous installâmes pour enfin grignoter.
Ce devait faire quelques bonnes minutes que l'on mangeait et qu'on discutait un peu de tout, mais aussi, ça faisait quelques temps que j'observais du coin de l'œil la métisse qui, d'ailleurs s'appelait Lina. Depuis le début du déjeuner, elle n'avait pas touché à son repas. Elle se contentait de remuer sa nourriture dans son assiette à l'aide de sa fourchette. Personne n'avait l'air d'avoir remarqué son comportement inquiétant, ou peut-être ne s'en souciaient-elles pas ?
- Ça ne va pas, Lina ?
Elle leva la tête de son assiette pour me regarder toujours du même air inexpressif. Les filles, quant à elles, la fixèrent comme si tout était normal. Lina préférait ne pas me répondre puis retourna à son activité donc c'était les filles qui avaient décidé de me raconter l'histoire.
- La semaine prochaine, il y a une sélection pour les futures pom-poms girls du campus, et donc... Elle veut s'y inscrire, mais elle est persuadée d'être refusée... Je n'arrête pas de lui dire d'essayer, peu importe si elle est sélectionnée ou non... Certes, c'est ma meilleure amie, mais elle fait ce qu'elle veut... Ce sont ses choix, pas les miens...
Je regardai Lina qui était toujours en train de jouer avec sa nourriture, elle n'avait pas l'air de vouloir réagir alors Ambre poursuivit la conversation.
- De toute manière, ça va encore être Garance et sa colonie qui vont être prises...
Lina lâcha subitement sa fourchette qui atterrit au beau milieu de son assiette puis elle se leva et prit son plateau pour s'en aller sans prononcer un seul mot... Ambre semblait embarrassée face à la situation. Quant à Emily, -la meilleure amie de Lina qui partageait également notre chambre- s'excusa en partant rejoindre cette dernière. Et moi, je regardai Ambre d'un air incertain.
- Garance... ?
- Ouais, tu sais la fille ayant une popularité hautement élevée et au caractère capricieux...
Je lui fis un hochement de la tête de haut en bas en signe d'approbation.
- Je m'en doute bien. En fait, ce que je voulais demander... Ça fait longtemps que tu étudies ici... ?
- Depuis l'année dernière.
Il y eu un gros blanc. En fait, j'étais étonnée par rapport à cette découverte. C'était surtout que je ne la voyais pas en deuxième année dans cette Université. Je ne lui en posai pas plus, puis nous finîmes de manger pour aller rejoindre les filles qui s'étaient réfugiées dans un coin du campus. Dans le hall où figuraient tous les casiers, plus précisément.
Lina était adossée contre un de ces casiers, son casier certainement et les bras croisés en levant les yeux au ciel car Emily devait sûrement l'engueuler... Avec Ambre, on les encercla puis elles arrêtèrent de papoter, net. Ambre se mise à rire spontanément en leur demandant des explications. Elles avaient préféré nier au lieu de tout nous expliquer puis elles changèrent de sujet de conversation. Je profitais de la situation pour me rendre à mon casier, à la recherche de mes bouquins. Quand soudainement, je sentis une présence se tenir derrière moi. Curieuse, je me retournai doucement puis j'aperçus Tyler, le sourire plaqué au visage.
- Salut.
Je lui souris à mon tour avant de prendre mes livres puis fermer mon casier. Je marchai avec lui en direction des filles où nous discutâmes vite fait de son moral. Il m'assura que tout allait bien donc je n'avais pas préféré insister en lui souriant tout le long. Une fois avec les filles, je les présentai chacun leur tour puis il repartit immédiatement. Sans m'en rendre compte. Je le cherchais du regard vite fait et remarquais qu'il avait déjà rejoint une bande de garçons qui nous fixaient. De loin, il me gratifia d'un petit sourire sincère que je lui rendis.
Je venais d'entrer dans la salle de cours d'histoire accompagnée d'Emily. Au moins, ça me faisait de la compagnie. J'avais horreur de cette matière ! Pour le moment, le cours n'était pas prêt de commencer puisque apparemment c'était un nouveau prof. Donc il ne devait certainement pas connaître le bâtiment où se situait sa salle. Comme toutes les personnes de cette salle... Avec Emily, on était assise en train de discuter, la plupart des autres élèves étaient perchés sur leur table. Ou sinon, d'autres s'amusaient à dessiner des choses très... Artistique... Sur le tableau blanc de la salle. Ça me rappelait mes petits oiseaux de dessinés sur mon bras lorsque je m'ennuyais. C'était la bonne époque ça... Ouais... La bonne époque...
Des rires qui pénétrèrent dans la pièce me firent sortir de mes pensées. Je remarquai qu'Emily parlait dans le vent mais qu'elle n'avait pas l'air de s'en rendre compte. Je tournai la tête vers la porte de la salle qui laissait apparaître l'entrée de plusieurs filles dont une que j'avais eu en cours avec moi dans la matinée. Elles se dirigèrent toutes dans le fond de la salle. Je les suivai instinctivement du regard. Mais je baissai directement ce regard, le rouge me montant aux joues. Emily avait certainement dû le remarquer car elle s'était mise à rire, mais s'arrêta subitement quand l'une des filles se planta devant nous. J'avais toujours la tête de baissée.
- Salut Emily !
Je fronçais les sourcils et levais la tête vers la fille qui avait parlé. Une bonne connasse, sans plus.
- Casse-toi, Garance.
Elle n'était pas seule, il y avait une de ses amies que je connaissais très bien, pourtant cette dernière n'avait pas l'air d'avoir reconnu mon visage donc je me contentai de baisser la tête.
Elles se mirent à rire bêtement, puis la brune me regarda :
« Et toi, c'est quoi ton petit nom ? Que l'on rigole. »
Elle se foutait de ma gueule ? Elle se foutait de ma gueule ?! Oui, elle se foutait de ma gueule !
Je levai la tête en lui adressant un regard tueur. Elle avait un sourire aux lèvres, mais ce sourire s'effaça automatiquement en un fragment de secondes. Elle eu même un moment de recul avant de me lancer un regard pleine de déception.
"Alors, on fait moins la maligne. Alba ?", songeais-je.
Elle proposa à son amie de partir. C'était ce qu'elles firent aussitôt. Emily fut assez étonnée que sa rivale n'avait rien ajouté.
- Tu... Tu les connais... ?
Je niai. Oh, si elle savait... Si elle savait tout ce qui s'était passé entre nous dans le passé... Si elle savait à quel point cette fille m'avait rendu folle pendant trois mois... Si elle savait... À quel point mon cœur était en train de s'anéantir en ce moment même... Si elle savait à quel point j'étais démoralisée que de devoir partager cette salle avec cette fille pendant tout le long de l'année... Ça y est, ça recommençait... Je me sentais mal... Je n'allais pas supporter ça tout le long de l'année, voire peut-être, toutes ces années...
Le prof arriva les bras chargés. En effet, ça se voyait que c'était un petit nouveau... Voire, débutant dans ce domaine. Il était assez jeune... À peine trente ans, je dirais. Une barbe de trois jours et un sourire scotché au visage. Tout le monde rejoignit sa place respective silencieusement, puis il s'excusa de son retard où il finit par se présenter.
Sa vie était loin d'être passionnante... Depuis le début du cours, il nous racontait sa vie. Moi aussi je savais le faire... J'avais l'impression d'être la seule fille à le trouver ennuyant parce que toutes les autres avaient l'air de fondre littéralement face à son discours. Les gars, eux, le trouvaient cool, d'après ce que j'avais pu entendre de certaines bouches. Moi, je me sentais mal... :
- Hum..., il pointa du doigt dans ma direction, toi ? Tu es sûre d'aller bien ? Tu es aussi blanche qu'un cachet d'aspirine.
Très drôle son jeu de mots avec ma mal aisance et son cachet d'aspirine... Cependant, il n'était pas censé vouvoyer les élèves ? Je lui assurai que j'allais parfaitement bien. Mais il ne m'écouta pas.
- Qui veut bien l'accompagner à l'infirmerie, s'il vous plaît ?
Je soupirai, j'avais horreur de l'infirmerie comme de l'histoire ! Ce prof aussi m'agaçait au plus haut point ! Il désigna une personne qui était dans le fond. Emily me regardait un peu perdue. Pourquoi ne se portait-elle pas volontaire... ?!
- Toi ? Merci.
Je me retournai envers la personne de désignée.
Putain, non... Tout pour me faire chier jusqu'au bout !
J'attrapai mes livres puis nous partîmes en dehors de la salle, en direction de l'infirmerie.
Ça faisait... Combien de temps ? Au moins trente secondes que l'on marchait dans les couloirs. Il n'y avait rien, même pas une parole. Juste nos pas qui résonnaient.
Pourquoi était-elle là ? Pourquoi m'avait-elle suivie ? Pourquoi décidait-elle de vouloir me faire souffrir à nouveau ? Pourquoi me rendait-elle malade ? Pourquoi ? Tout court.
Soudain, deux bras me saisirent par les épaules pour me pousser violemment. Mon dos heurta un mur et ses mains me bloquèrent au niveau des épaules afin de me m'empêcher tout accès. Je baissais la tête.
- C'est tellement agréable de te revoir, Thaïs.
Elle posa son pouce et son index sur les extrémités de mon menton, me forçant à relever la tête. Mais rebelle comme je l'étais, je forçai pour lui désobéir. Elle insista davantage. Pour finir, elle remporta la partie. Je la regardai. Elle avait des cernes sous les yeux à peine visibles. Plus ça allait, plus ses yeux se rapprochaient des miens. Je me rendis compte qu'elle tentait de m'embrasser, donc je la repoussai d'un mouvement brutal ce qui la décolla de moi, assez loin.
- Écoute Thaïs, je suis désolée pour tout !
Je serrai les poings. J'avais l'impression de revivre ce dernier moment, le moment de notre rupture... :
- T'es désolée ?! Ah ouais, ça change tout.
Elle essaya de se racheter ?! Crois-moi que c'était trop tard, tu m'avais fait souffrir donc à ton tour, pauvre tache. Je ne craquerais pas. Plus jamais :
- Écoute, si tu m'aimes ne serait-ce qu'un peu, dis-le moi, même si nous deux c'est impossible... Mais dis-le moi, ça changerait tout pour moi. Je veux tout rattraper... Je suis consciente de ma putain de connerie... Je sais aussi que je t'ai plus que blessée, que je t'ai tuée de l'intérieur et que...
Je la coupai en me mettant à ricaner nerveusement.
- Ta gueule Alba. Arrête de faire la comédienne. Nous deux, c'est terminé. Il ne s'est jamais rien passé entre nous. Est-ce clair ?
Elle me regarda l'air choqué. En guise de réponse, elle m'attrapa par le bras et me traîna je ne savais où. Je me mise à lui gueuler dessus en essayant de libérer mon bras :
- Tu m'emmènes où là Alba, merde ?! Fait pas la conne, sérieux !
Elle ne m'écouta pas et continua à me traîner comme une vieille merde dans les couloirs, d'un pas accéléré.
- Comme le prof l'a demandé : à l'infirmerie, il faut vraiment que tu ailles te faire soigner ma parole, t'as vraiment trop changée !
Je me remise à rire. Non, c'était toi qui avais changée. Moi, j'avais juste adapté le comportement qu'il fallait envers toi. C'était simple d'inverser les rôles...