Lettres à Juliette

By LeiaNeige

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Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17 - partie 1
Chapitre 17 - Seconde Partie
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26

Chapitre 6

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By LeiaNeige

Quand Patty s'éveilla, il faisait grand jour dans la chambre de l'hôpital militaire de Vérone. Candy, assise à côté d'elle, se redressa et ferma avec un claquement sec le livre dans lequel elle était plongée.

- Candy ?... – fit Patty en tendant faiblement la main dans sa direction.
- Je suis là, mon amie – répondit-elle en la lui prenant - Sois tranquille. Tout va bien maintenant. Repose-toi, c'est la seule chose que tu es autorisée à faire...
- Que... Que m'est-il arrivé ? J... Je me souviens d'avoir éprouvé une douleur atroce au ventre dans la nuit, puis il m'a semblé entendre une sirène d'ambulance. Mais j'ai du mal à me souvenir de ce qui s'est passé ensuite...
- Ah Patty ! Tu peux dire que tu m'as fichue une sacrée frousse !!! – fit Candy en gloussant nerveusement – Tu as eu une crise d'appendicite fulgurante ! Il fallait t'opérer d'urgence ! Alors, nous avons dû faire arrêter le train à Vérone car c'était la ville la plus proche qui disposait d'un hôpital. Tu as été opérée dans la nuit. Le chirurgien m'a confié par la suite que si on avait attendu un peu plus, tu aurais pu mourir d'une péritonite ! Tu as eu beaucoup de chance ! Un vrai miracle, si bien que j'en suis à allumer mon dixième cierge à la chapelle de l'hôpital !...
- C'est le curé qui doit être content de cette manne providentielle – fit remarquer Patty sur le ton de la plaisanterie. Malgré sa faiblesse, elle retrouvait sa drôlerie impertinente et cela ravit Candy.
- Peut-être bien ! Et je suis même toute disposée à en acheter des caisses entières en guise de remerciements ! – répliqua alors la jeune blonde en riant. Quelques secondes plus tard, prenant un air grave, elle ajouta, la voix tremblotante :
- Tu sais Patty, j'ai eu très peur, vraiment très peur de te perdre !... Tous les gens que j'ai aimés dans ma vie m'ont été enlevés, et j'ai bien cru, une fois encore, que cela allait se produire. Je suis tellement soulagée, si tu savais !

Une larme brulante vint s'écraser lourdement sur sa joue, et les yeux de Patty se mouillèrent en retour. Elle prit la main de Candy et la serra aussi fort qu'elle le pouvait. La gorge nouée par l'émotion, s'efforçant de maîtriser son trouble, elle parvint à prononcer :

- Tsss, tssss ! Bien essayé mais tu ne te débarrasseras pas de moi aussi facilement, ma chère ! J'en ai vu d'autres, et n'aie pas de faux espoirs : je ne suis pas prête de te laisser tomber. Je vais tellement rester collée à toi que tu finiras par ne plus me supporter !
- Tu es vraiment impitoyable avec moi ! - fit Candy en riant tout en essuyant sa larme – Mais je veux bien tenter l'expérience.

Ces effusions mélodramatiques furent de courte durée, abrégées par un cognement bref à la porte de la chambre suivi de l'irruption d'un homme en blouse blanche que Candy reconnut tout de suite. C'était Alessandro Biazinni, le chirurgien qui avait opéré Patty.

- Mesdemoiselles, bonjour ! – fit-il en les saluant avec assurance.

Agé d'une trentaine d'années, ce grand brun élancé aux cheveux bouclés semblait bien différent du souvenir qu'en avait gardé Candy. Cette nuit là, trop préoccupée par l'état de son amie, elle n'avait pas du tout remarqué à quel point il était séduisant. Mais à présent qu'elle avait les idées claires, elle s'empressa de faire passer discrètement ses lunettes à Patty, laquelle, après les avoir chaussées, ne put que constater avec force, l'évidence. Troublée, elle sentit ses joues s'empourprer et ses lunettes se recouvrirent de buée. Le chirurgien se divertit intérieurement de la petite comédie qui se jouait devant lui mais ne laissa rien paraître. Il prit un document qui était suspendu au bout du lit et demanda, arquant du sourcil, dans un anglais presque parfait :

- Comment vous sentez-vous à présent, mademoiselle O' Brien ? Je note que vous n'avez pas de fièvre, ce qui est très bon signe. Est-ce que vous avez mal ?
- Cela me tire un peu, mais c'est supportable. – bredouilla Patty, éprouvant de plus en plus de difficultés à dissimuler son trouble. Il avait d'autant plus un léger accent italien des plus charmants...
- Je vais vous prescrire quelques calmants supplémentaires que vous prendrez si nécessaire. Surtout reposez-vous et ne tentez pas de vous lever. Vous avez frôlé le pire cette nuit, alors il faut faire très attention à vous.
- Soyez sans crainte, docteur – répondit Patty en tournant la tête vers Candy – Mon amie à côté de moi est la personne toute indiquée pour veiller sur moi !
- Je suis infirmière... - précisa Candy en souriant devant l'air interrogatif du médecin.
- Intéressant, intéressant... – répondit le chirurgien en reposant la courbe de température sur le cadre du lit – Les infirmières américaines sont visiblement plus distinguées que je ne le croyais !...
- Ne vous fiez pas aux apparences, docteur ! – s'écria Candy en riant tout en admettant intérieurement que la robe haute-couture qu'elle portait tranchait indiscutablement avec la nature de sa profession – Je porte très bien l'uniforme, vous savez, et je lui fais honneur depuis une dizaine d'années déjà.
- Je vais donc être soumis à un contrôle rigoureux de votre part ? – fit-il, l'œil pétillant de malice.
- Vous pouvez en être certain ! Je souhaite ce qu'il y a de mieux pour ma chère Patricia !
- Dans ce cas, vous n'avez aucun souci à vous faire. Je porterai un soin tout particulier à votre amie... - dit-il en adressant un regard des plus éloquents à sa patiente qui sentit ses joues s'enflammer alors qu'il s'approchait d'elle pour contrôler le goutte-à-goutte qui était suspendu à côté de son lit. Il inclina la tête dans sa direction et lui dit sur un ton des plus solennels :
- Mademoiselle O' Brien, vous devrez attendre le repas de ce soir pour manger. D'ici là, il vous est autorisé de boire, mais par petites gorgées. Votre corps doit d'abord éliminer les derniers effets de l'anesthésie.
- Bien entendu, docteur. Je suivrai à la lettre vos conseils – bredouilla-t-elle.
- A la bonne heure ! Si tous mes patients étaient aussi obéissants que vous l'êtes, mes journées seraient beaucoup plus reposantes !

Patty haussa les épaules en rougissant de plus belle et baissa la tête pour cacher son émoi. Un sourire amusé se dessina sur le visage du médecin qui ajouta, assenant le coup de grâce à la jeune malade :

- Je vois que vous reprenez des couleurs ! C'est très encourageant !

Patty devint alors écarlate, tentant vainement de s'enfoncer dans son lit pour se dérober au regard espiègle qu'il lui adressait. Le médecin émit un rire étouffé et se dirigea vers la porte. Parvenu sous le chambranle, il se retourna une dernière fois, décochant un sourire ravageur qui la décontenança complètement.

- Votre compagnie est bien agréable mesdemoiselles, mais je suis dans l'obligation de vous dire à plus tard. D'autres malades m'attendent et malheureusement, bien moins charmants que vous. Je repasserai à la fin de mon service pour m'assurer que tout va bien. Laissez-moi vous souhaiter d'ici là une bonne journée !

Sur ce, il les salua toutes deux et disparut. Médusées, Patty et Candy n'échangèrent aucun mot pendant quelques secondes. Cette dernière prit finalement l'initiative de briser le silence et se pencha vers son amie qui se mit à glousser en découvrant son air mutin.

- Je sais ce que tu vas me dire et je suis tout à fait d'accord avec toi. Il est i-rré-sis-ti-ble !!!

****************

Appuyé contre la barrière du vaporetto qui remontait le Grand Canal de Venise, Terry, les cheveux balayés par l'air marin, restait songeur. Les façades baroques de la cité des Doges resplendissaient encore de la lumière ocre de cette fin d'après-midi estivale. Il bénéficiait de quelques heures avant que la nuit tombe et cela le réconforta d'avoir suffisamment de temps devant lui pour trouver son chemin dans les ruelles étroites et sombres de la ville. Il déplia une nouvelle fois le morceau de papier sur lequel son père avait inscrit l'adresse où il devait se rendre : Palais Contarini Fasan, rue du Minotto.

- Le comte Contarini est un ami de longue date. Il t'accueillera avec grand plaisir. – lui avait-il dit en griffonnant l'adresse sur le bout de papier – Tu seras tout à ton aise pour te lancer dans la recherche de « qui-tu-sais ». Mais j'espère que la première chose que tu feras quand tu l'auras retrouvée, sera de venir me la présenter...
- N'ayez crainte, Père – avait répondu Terry en prenant d'une main tremblante le mot qu'il lui tendait - J'en serais très honoré et vous serez notre première halte avant notre retour à New-York.

Le Duc avait opiné en souriant de satisfaction. A travers ses yeux plissés de joie, il observait son fils qui affichait un visage mêlé d'angoisse et d'excitation. Ils venaient d'atterrir depuis quelques minutes sur le terrain vague qui servait d'aéroport de fortune à la ville de Venise. Comme la plupart des villes de cette époque, elle ne disposait que d'un simple champ à l'écart de l'agglomération pour accueillir, en ces temps d'aviation balbutiante, les quelques aéroplanes qui venaient s'y poser. Evidemment, il n'y avait pas vraiment de service de transport pour revenir en ville, et le jeune homme s'était trouvé bien chanceux qu'un des rares mécanos du site, sur le point de rentrer chez lui, lui proposât de le transporter jusqu'à l'entrée de la cité.

Il était à quelques heures de retrouver la femme qu'il aimait et cette perspective ramenait son père presque trente ans en arrière, à l'époque où il était lui aussi amoureux fou d'une jeune femme extraordinaire, à laquelle il avait stupidement renoncé par excès d'orgueil et souci des convenances. Il ignorait à ce moment là, qu'il souffrirait toute sa vie durant, de la plaie béante qu'avait laissée cette rupture, que cette blessure secrète qu'il avait dû taire transformerait l'être enthousiaste et épris de liberté qu'il était, en un homme sombre et aigri, cruel et impitoyable. Le bonheur de son fils le renvoyait vers ses propres échecs car il aurait pu connaître ce sentiment d'extase s'il avait été plus courageux. Mais tout cela à présent faisait parti d'un passé révolu. Une page se tournait avec l'avenir radieux qui s'annonçait pour son fils, et une chaleur réconfortante avait envahi son cœur blessé.

Terrence lui avait proposé de l'accompagner mais il avait refusé sous le faux prétexte que son avion avait besoin d'une bonne inspection avant de repartir le lendemain. En vérité, il ne voulait pas par sa présence perturber un peu plus l'état de fébrilité dans lequel son fils se trouvait. C'était à lui de prendre son destin en mains. Il lui avait prouvé depuis des années combien il en était capable, mais il constatait, par sa propre expérience, mais aussi en le regardant, que de trop aimer une femme pouvait vous rendre aussi faible qu'un petit enfant. C'est pourquoi, il ne voulait pas le déranger dans sa quête. Il voulait lui laisser le choix de ses décisions et de ses actions. Terry était un homme à présent. Il avait acquis une expérience de l'existence beaucoup plus mature que la sienne qu'il avait entretenue sous les lambris dorés d'un ministère. Plutôt que de lui donner des leçons, il avait tout à apprendre de lui, et bien que regrettant cette paradoxale situation, il éprouva un sentiment de fierté devant sa noblesse d'âme et sa bravoure qui faisaient honneur au nom des Grandchester. Il avait toujours soupiré devant la médiocrité de sa progéniture légitime : un fils paresseux et incompétent dans tout ce qu'il entreprenait, et une fille dont la bêtise égalait le peu de charme que la nature lui avait octroyé. Terry relevait le niveau sur tous les plans, et une nouvelle fois, la piqure du remord vint se planter dans son cœur. Il espérait qu'avec le temps, son fils arriverait à lui pardonner son attitude envers lui, même s'il savait qu'il ne pourrait se pardonner à lui-même tout ce qu'il lui avait fait subir. Il avait trop fait de mal, en toute conscience. Il ne pouvait malheureusement revenir en arrière mais à présent que leurs relations s'étaient assainies et prenaient un nouveau tournant, il était déterminé à ce que le fils soit à son tour fier du père. La tâche serait ardue mais il était bien décidé à faire tout son possible pour réparer ses erreurs du passé, à commencer par ne pas intervenir dans sa vie privée.

Au moment de la séparation, ils s'étaient serrés en une étreinte pudique mais empreinte d'une tendre affection qui les avait laissés muets d'émotion. Puis Terry s'était engouffré dans la fiat 509 du mécano qui avait démarré en pétaradant, soulevant sur son passage un nuage épais de poussière qui dissimula rapidement l'automobile à la vue de Richard Grandchester, dont le regard se perdait à l'horizon, le cœur gonflé d'espoir.

Sur la terre ferme, Terry n'eut pas trop de difficultés à trouver son chemin. Malgré un italien des plus rudimentaires, il parvint grâce à l'adresse sur le papier et moult gestuelle, à se faire indiquer le palais du comte Contarini, une étroite bâtisse à deux étages de style gothique flamboyant, construite au milieu du XVème siècle sur le bord du Grand Canal, juste en face de la célèbre basilique de la Madonna della Salute. Tout en toquant à la porte, il releva la tête pour admirer les magnifiques balcons en marbre aux motifs de roues ajourés qui donnaient une identité toute particulière à l'édifice. Quelques instants plus tard, la porte s'ouvrit et la tête austère d'un domestique apparut dans l'entrebâillement.

- Monsieur ?
- Mon nom est Terrence Grandchester – s'annonça Terry en saluant d'un signe de tête l'homme qui se trouvait devant lui - Mon père, le Duc de Grandchester, m'envoie présenter mes hommages au comte Contarini. Pouvez-vous l'informer de ma présence ?

Le domestique resta silencieux pendant un moment, occupé à dévisager le jeune anglais de pied en cap.

- Un moment s'il vous plait... - laissa-t-il finalement échapper, indifférent à l'impatience manifeste de son interlocuteur. Puis il referma la porte au nez du jeune homme, stupéfait. Ce dernier était sur le point de repartir quand la porte s'ouvrit de nouveau, cette fois tout en grand.
- Lord Grandchester, je vous prie d'entrer. Le comte vous attend.

Terry pénétra dans le vestibule qu'il trouva bien sombre et surchargé de trophées de chasse. Sur le côté, un escalier en bois de chêne menait aux étages supérieurs. C'était là que se trouvaient les pièces à vivre, le rez-de-chaussée étant par trop sujet aux inondations. L'homme qui semblait être le majordome invita Terry à le suivre jusqu'au premier étage. Plusieurs portes donnaient sur le palier carrelé de rouge et de noir. Le majordome alla frapper à celle qui se tenait le plus à droite. Une voix répondit, à demi étouffée par la cloison qui les séparait. Le domestique ouvrit la porte et d'un signe de la main, proposa à Terry d'entrer. C'était une pièce de taille moyenne, baignée par la lumière du soleil qui traversait glorieusement les fenêtres en forme d'ogives de la façade. Un peu reculé dans l'ombre, un vieil homme aux cheveux mi-longs, blancs et bouclés, vêtu d'une robe de chambre, était assis devant l'une des fenêtres, et observait, muni d'une lunette posée sur un trépied, les allées et venues des gondoles et des bateaux sur le canal.

- Vous me surprenez en plein divertissement, jeune homme – fit-il sans quitter son poste d'observation – Le trafic sur le canal est une vraie Comedia dell' Arte. C'est une source de grand amusement pour moi. Vous devriez voir ces deux gondoliers s'invectiver après avoir manqué entrer en collision - poursuivit-il, son corps rabougri secoué de rires.

Finalement, il repoussa sa lunette, quitta son siège et s'approcha de Terrence qui se tenait debout, immobile.

- Comme c'est étrange !... – dit-il en postant son visage ridé tout contre celui du jeune homme – Vous êtes un subtil mélange de votre père et de votre mère...
- Vous la connaissez ? – répliqua instantanément Terry, regrettant immédiatement son audace.
- En effet, jeune homme, et je puis vous confier qu'il fut un temps où j'étais moi aussi sur les rangs pour séduire la divine créature qu'elle était. Mais le charme britannique s'est montré plus convaincant... ou plus chanceux. J'opterais pour la seconde hypothèse.

Terry retint une moue dubitative devant la vantardise du vieux bonhomme, dont l'allure évoquait plutôt l'Avare de Molière que Rodrigue de Corneille. Mais l'œil pétillant de malice qu'il lui renvoyait ne pouvait mettre en doute l'être charmeur qu'il avait dû être dans sa jeunesse. Il chercha du regard sur les tableaux accrochés aux murs ce jeune visage qu'il aurait pu reconnaître et s'arrêta, surpris, sur un buste de marbre noir qui trônait au fond de la pièce, sur une commode, entre deux faisans empaillés.

- Shakespeare ? – demanda-t-il en faisant un pas vers la sculpture.
- Ma foi, c'est bien lui. Encore un fichu anglais ! – répondit le comte en gloussant de rire – Seriez-vous amateur de ces pièces, mon jeune ami ?
- A vrai dire... - fit Terry, un sourire timide aux lèvres – Je suis comédien de théâtre à Broadway, et les œuvres de Shakespeare occupent une part importante de mon registre, et de ma vie...
- Comme c'est cocasse! – s'écria le vieil homme, les yeux grand-ouverts de surprise – Savez-vous que cette maison a inspiré Shakespeare pour sa pièce Othello ? C'est ici qu'aurait vécu Desdémone, avant d'être tuée par son mari jaloux...
- Vraiment ???
- C'est ce que dit la légende, et il y a toujours un peu de vrai dans une légende, n'est-ce pas ?
- Celle-là ne me laisse pas indifférent, vous avez raison – répondit Terry en souriant – C'est un grand privilège pour moi d'être dans ces murs chargés d'histoire.
- Croyez-moi, trop d'histoire recèle certains inconvénients tels que... tels que certains ancêtres indésirables qui viennent nous importuner la nuit... - chuchota-t-il comme s'il ne voulait pas qu'on l'entende.
- Vous voulez dire des... des fantômes ? – demanda Terry, un frisson d'effroi lui parcourant l'échine.
- Si fait, mon jeune ami ! Oh, je vous en prie, ne faîtes pas cette mine déconfite ! Il n'y a pas qu'en Angleterre que l'on a de l'esprit ! – répondit le comte en ricanant.

Faisant fi du jeu de mots qui se voulait humoristique, Terry rétorqua :

- Pour être honnête, j'aurai trouvé très appréciable que vous n'en ayez pas. J'ai gardé de bien mauvais souvenirs de mes nuits passées dans le manoir familial en Ecosse, où les bruits de chaînes et de pas troublaient quotidiennement mon sommeil.
- Oh, rassurez-vous, ici, vous n'aurez pas de bruit. Ils ont plutôt tendance à tirer votre couverture ou à vous chatouiller les pieds !...
- Pardon ??? – gémit Terry, l'air visiblement terrorisé.
- Ahahaha !!! Je plaisantais !!! – s'écria le comte en donnant une franche tape dans le dos de son invité, dont le visage avait perdu toute couleur – Vous n'allez pas me dire qu'à votre âge, vous croyez encore aux fantômes !
- Non, bien sûr !... – bredouilla Terry, embarrassé de paraître si ridicule.
- Rassurez-vous, les seules choses qui vous réveilleront dans la nuit seront les cloches des églises qui nous entourent, et à Venise, elles ne manquent pas ! C'est un concert très animé !!!

Tout en reprenant des couleurs, Terry n'en restait pas moins sceptique car persistait sur les lèvres de son interlocuteur, un sourire ironique qui ne l'encourageait pas à la confiance. Ce dernier se dirigea alors vers la cheminée face aux fenêtres, sur laquelle était posé un miroir de taille imposante. Puis il tira sur le cordon qui se trouvait à côté de celui-ci, pour appeler un domestique.

- J'imagine qu'après ce long voyage, vous avez envie de vous reposer... Mon serviteur va vous conduire à votre chambre où vous pourrez vous débarbouiller et vous changer. J'ai toujours des vêtements de rechange pour mes invités. Usez-en à votre guise. Le repas sera servi dans une heure dans la salle à manger qui se trouve de l'autre côté du palier. Aurais-je le plaisir de vous avoir à ma table, monsieur Grandchester ?
- Bien entendu, comte Contarini. Je vous remercie très sincèrement de l'hospitalité que vous m'accordez. C'est très aimable à vous.
- Croyez-moi, mon ami, ce n'est pas la qualité qui me caractérise le plus – répondit le vieil homme sur un ton mystérieux tout en raccompagnant Terry vers la porte – A mon âge, rares sont les élus qui peuvent pénétrer dans ma demeure. Remerciez plutôt votre père ! Si vous n'aviez pas été son fils, mon majordome avait ordre de vous jeter à l'eau !

Encore une fois, Terry se demanda si le vieil homme malgré le sérieux qu'il affichait, ne jouait pas avec ses nerfs. Mais il n'eut pas le temps de réagir, car fit irruption à ce moment là, le domestique qu'il s'empressa de suivre pour fuir l'étrange et angoissant maitre de maison. Décidément, son père avait de drôles de relations !!! Cette constatation ne le rassura point, d'autant plus quand, au moment où il pénétrait dans sa chambre, une énorme tête d'élan l'accueillit (trophée d'une probable chasse dans les contrées nordiques) suspendue au-dessus de son lit, le fixant de son regard sans vie. Une chose était sûre : les fantômes ne se hasarderaient jamais à venir ici. Cependant, cela ne le soustrairait pas aux cauchemars qu'il était assuré de faire dans cet asile de fous !!!

**********

La journée s'était écoulée bien tranquillement. Patty s'était de nouveau endormie et Candy s'était replongée dans la lecture de son livre. A vrai dire, elle s'ennuyait un peu. C'était le seul livre en anglais qu'on avait pu lui proposer et il n'était pas des plus palpitants. Elle bailla, s'étira longuement sur son siège, puis reprit le livre entre ses mains en tapotant la couverture d'un air distrait. L'irruption soudaine d'une infirmière dans la chambre vint mettre un terme à son ennui.

- Mademoiselle André, il faudrait que vous veniez à l'accueil. Nous avons un petit problème...
- C'est grave ? – demanda Candy alors qu'elles longeaient le couloir qui menait vers l'entrée de l'hôpital.
- Non, je vous rassure. C'est juste un peu, disons... encombrant !...

Parvenues à l'accueil, Candy comprit sans peine l'insinuation de l'infirmière : une montagne de valises bouchait le passage devant le bureau, si bien que le personnel et les visiteurs devaient zigzaguer entre les bagages pour circuler. Le strict nécessaire pour deux dames du monde...

La jeune américaine afficha un sourire gêné devant le grotesque de la situation.

- On vient de nous les livrer de la gare et on m'a bien précisé qu'ils vous appartenaient – fit l'infirmière, une pointe de moquerie dans la voix.
- Croyez-moi - se dit Candy - si cela n'avait tenu qu'à moi, il n'y en aurait beaucoup moins et je ne serais pas plantée là, ridicule, devant cet amas de valises dont j'ignore encore en grande partie ce qu'elles contiennent...

L'espace d'un instant, elle s'en voulut d'avoir laissé Annie s'occuper de ses bagages. Cette dernière lui avait expliqué qu'une jeune femme de son rang se devait de voyager avec un tel chargement afin de ne pas porter atteinte au prestige de la famille. Il fallait qu'elle ait quotidiennement une tenue différente, quitte à en changer plusieurs fois par jour en fonction des évènements de la journée.

- Tu comprends, Candy – lui avait-elle dit alors que son amie soupirait devant l'extravagance de son équipement - Tu es l'héritière des André. Tu vas représenter la famille sur le bateau et à l'étranger. Si tu es vêtue comme une « pauvresse », les gens vont s'imaginer que nous avons des problèmes financiers. Ils vont se poser des questions, des rumeurs vont circuler, et cela risque de porter préjudice à la compagnie. Tout est lié !
- Je n'en reviens pas qu'un simple bout de chiffon puisse avoir autant d'influence sur les titres d'une société... - avait répondu Candy, perplexe.
- Malheureusement, c'est comme cela que cela fonctionne. Connaissant ta nature, je devine combien tu peux trouver cela futile et ridicule, mais il y a des codes à suivre, et leur désobéir peut causer beaucoup plus de dommages que tu ne l'imagines. Un simple écart, et l'on perd tout respectabilité, toute considération. Cela peut ruiner toute une réputation !
- Mon dieu !!! C'est effrayant !!!... Dans quel étrange monde vivons-nous ???... Bon !... Soit !... J'appliquerai ces codes à la lettre et je ferai de mon mieux pour faire honneur au nom des André. Je ne voudrais pas qu'Albert en vienne à regretter de m'avoir adoptée...
- Ne sois pas sotte ! – avait-elle ricané - Il sait ce qui est le plus important dans la vie, mais la société dans laquelle nous évoluons place la barre au-dessus de ces choses essentielles. Nous pouvons bien sûr ne pas être d'accord, mais, si en nous y adaptant, nous pouvons par notre présence et nos actions, permettre de faire tout doucement évoluer les mentalités, les deux pauvres orphelines que nous avons été pourront s'enorgueillir d'avoir accompli quelque chose d'honorable et dont nous pourrons être fières.
- Ma foi, c'est un point de vue bien convaincant. Mais... Es-tu vraiment certaine qu'il faille que j'en prenne autant ??? – avait demandé Candy en montrant la multitude de vêtements étalés sur son lit.

Le oui ferme et catégorique d'Annie avait clos la conversation et Candy n'avait plus insisté. Mais à présent, devant les sourires ironiques du personnel qui la croisait, elle maudissait son amie et son excessif enthousiasme.

- Que vais-je faire de tous ces bagages ? – gémit-elle – Ils ne rentreront jamais dans la chambre de Patty !
- Ecoutez – fit l'infirmière, devant la mine contrite de Candy – Je vous propose de faire une sélection de choses que vous mettrez dans une ou deux valises, et je ferai transporter le reste au sous-sol, là où nous stockons notre matériel. Vous le récupérerez au moment de votre départ.
- Vraiment ??? Vous me sauvez la vie ! J'apprécie sincèrement votre aide, mademoiselle !!!... Mademoiselle ... ?
- Emma ! Je m'appelle Emma. – répondit l'infirmière dans un joli accent italien, en serrant franchement la main que Candy lui tendait - Ravie de vous rendre service !
- J'espère avoir l'opportunité de vous en rendre un à mon tour. N'hésitez pas à me solliciter si l'occasion se présente. Si c'est dans mes capacités, je me ferai une joie de le faire.
- Ne vous inquiétez pas pour cela, mademoiselle. Je n'attends rien en retour. C'est normal de rendre service.

Candy la gratifia d'un chaleureux sourire puis se pencha sur ses bagages afin de sélectionner ceux qu'elle voulait garder. Elle mit de côté une valise pour Patty qui contenait ses affaires de toilette, quelques chemises de nuit et quelques robes, et en fit de même pour sa propre personne. La question du logement l'interpella soudain. En effet, où allait-elle résider pendant la convalescence de Patty ? Elle ne voulait pas quelque chose de trop éloigné de l'hôpital car elle souhait pouvoir rester au chevet de son amie aussi tard que possible sans avoir la crainte de rentrer la nuit à son hôtel. Elle ignorait s'il y en avait un dans les environs et se tourna vers Emma pour lui poser la question.

- Un hôtel dans le coin ? Non. Mais il y a une petite pension de famille au bout de la rue. « Chez Roberta ». Elle est modeste mais très bien tenue. Malheureusement, je ne pense pas qu'elle corresponde à vos attentes.
- Détrompez-vous. Cela conviendra parfaitement. Je vais d'ailleurs m'y rendre de ce pas. S'il vous plait, au cas où mon amie se réveillait avant mon retour, pourriez-vous lui expliquer la raison de mon absence ? Je ne voudrais pas qu'elle s'inquiète.
- Ne vous faîtes aucun souci. Prenez votre temps. Si besoin, je mettrai de côté pour vous un plateau-repas que vous pourrez manger en compagnie de votre amie quand vous reviendrez.

Candy la remercia en souriant et partit d'un pas alerte à la recherche de la pension de famille. Parvenue dans la rue, elle fut étonnée par la douceur de l'air qui contrastait avec la chaleur étouffante qui régnait dans le bâtiment. Une rangée de platanes protégeait de son ombre bienveillante son exploration des lieux. Il faisait bon, le soleil perdait peu à peu de l'altitude mais était encore loin de céder sa place à l'obscurité. Elle croisa un petit garçon en culottes courtes qui courait en riant derrière son chien, et elle pensa avec nostalgie aux petits pensionnaires de la maison Pony. Cela faisait du bien de marcher et de prendre l'air. Rester enfermée durant des heures lui portait peine, mais c'était mieux que d'être couchée dans un lit comme Patty. Ce n'était pas les vacances idylliques auxquelles elle s'attendait, mais cela lui ferait un bon sujet de conversation en rentrant en Amérique.

En Amérique... Que de choses elle allait pouvoir raconter à Terry ! Comme elle avait hâte déjà, alors que son séjour en Europe était à peine entamé. Malgré l'exotisme des lieux, elle savait qu'elle allait trouver le temps bien long et elle se reprocha immédiatement son manque de gratitude envers Albert et ses amis qui avaient organisé ce voyage.

Albert...

Albert !!!!

Albert qui n'était pas au courant de leur mésaventure et qui devait se faire un sang d'encre ! Comment avait-elle pu oublier de l'en informer??? Manifestement, les émotions de ces derniers jours lui avaient fait perdre la raison et il fallait qu'elle se reprenne avant de la perdre complètement !

Les sept coups de cloche d'une église toute proche l'interrompirent dans ses pensées et accrurent son désarroi. Il était vain à cette heure de chercher un bureau de poste dont elle trouverait la porte close. Contrariée, elle prit la décision de s'y rendre le lendemain à la première heure afin d'envoyer au plus vite un télégramme rassurant à son bienfaiteur.

Alors qu'elle marchait, perdue dans ses réflexions, elle ne remarqua pas au premier abord la pancarte de la pension Roberta, solidement fixée au mur du petit immeuble qui l'abritait. Un écriteau en dessous sur lequel figuraient les mots « english spoken » la rassura tout à fait. Finalement, ce n'était pas compliqué de voyager à l'étranger : ils parlaient tous anglais !

Elle secoua la clochette qui se trouvait à côté de la porte d'entrée, laquelle s'ouvrit quelques secondes plus tard sur une femme gironde, vêtue d'un tablier, les cheveux noués sous un fichu noir et blanc.

- Mademoiselle ?
- Bonjour Madame. Roberta, je présume ? – demanda Candy en saluant son interlocutrice.
- C'est cela. Que puis-je pour vous ?
- Permettez-moi de me présenter. Je me nomme Candy Neige André et je cherche une chambre pour quelques jours. Une infirmière de l'hôpital juste à côté m'a dit que vous pourriez peut-être me loger.
- Vous avez de la chance car en été à cause de tous ces touristes, nous sommes généralement complets. Mais un couple d'américains est parti cet après-midi, et je peux vous louer leur chambre si vous voulez.
- C'est parfait, madame, je vous remercie. Je m'en vais de ce pas en informer mon amie qui est malade et qui doit rester alitée à l'hôpital. Je reviendrai m'installer dans la soirée si vous n'y voyez pas d'inconvénients.
- Venez quand vous voulez, mademoiselle. La porte est toujours ouverte. D'ici là, votre chambre sera changée de frais. C'est la numéro six. La clé se trouvera sur le meuble dans le couloir de l'entrée.

Candy remercia une nouvelle fois l'hôtelière et rebroussa chemin. Elle prit son temps néanmoins et fit un détour par quelques rues pour s'imprégner du quartier. Quand elle revint à l'hôpital, elle retrouva Patty éveillée, les joues roses de contentement.

- Et bien dis donc, tu as l'air sacrément heureuse de me revoir !!!
- Ne le prends pas mal – gloussa Patty en lui montrant d'un signe de tête vers la table de chevet, un petit vase qui contenait une jolie rose rouge– Mais ce n'est pas toi la raison de ma bonne humeur...
- Ce qu'elle sent bon ! – s'écria Candy en plongeant son nez dans la fleur – Qui donc te l'a offerte ?
- Alessandro !...
- Alessandro ??? Alessandro Biazinni, le docteur ?
- Oui, oui !!! – répondit Patty en opinant avec agitation de la tête – Il me l'a apportée tout à l'heure au moment de sa visite du soir.
- Mazette ! Il ne perd pas de temps celui-là !...
- Oh, Candy ! Ne sois pas si soupçonneuse ! Ce n'est qu'une fleur, voyons... Il n'y a pas de mal à cela.
- Une rose rouge quand même !...
- Peut-être qu'il n'en a que de cette couleur dans son jardin. Allons, Candy, ne trouves-tu pas que c'est une délicate attention de sa part ?
- Si fait ! mais c'est aussi un italien, et tu connais leur réputation : charmeur, séducteur... Je ne voudrais pas que Casanova s'amuse avec ton petit cœur fragile...
- Ne te fais pas de souci. Je crois que tu présumes un peu trop de la réputation des italiens. Le docteur Biazinni s'est comporté avec moi en véritable gentleman.
- C'est bien ce qui me fait peur... - se dit Candy tout en décidant de taire ses interrogations. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas vu Patty aussi enjouée qu'elle ne voulait pas gâcher cette joie nouvelle. Néanmoins, elle se promit de surveiller d'un peu plus près le bel italien afin de découvrir ses réelles intentions.
- Il m'a dit que je récupérais vite et qu'à ce rythme, je pourrais quitter l'hôpital dans quelques jours – poursuivit Patty en soupirant gaiement.
- C'est une excellente nouvelle !!! J'ai hâte que tu quittes cet endroit, ma chère Patty. Il y a de si jolies choses à voir dans le coin !
- Tu sais, Candy, je ne veux pas que par ma faute tu restes bloquée ici. Il te faut sortir et visiter la ville.
- Mais voyons, Patty, il n'est pas question que je te laisse seule ici ! Tu vas t'ennuyer à mourir !!!
- C'est la raison pour laquelle je te demande de profiter de ta liberté pour nous deux. Ecoute, tu pourrais venir me rejoindre au moment des repas et me raconter ce que tu as vu. Je voyagerais à travers toi.
- Je ne suis pas sûre que...
- Voyons, Candy !!! Ne sois pas entêtée ! Tu seras mes yeux et mes oreilles. Tu me feras tellement rêver que j'aurais encore plus envie de me rétablir pour découvrir avec toi toutes ces merveilles !
- Soit !... – dit finalement Candy en soupirant avec résignation - Mais au moindre doute, nous reprendrons par là où nous avons commencé !
- Si tu veux, mais crois-moi, je suis sûre que c'est la meilleure chose à faire.
- Je te ramènerai des spécialités !!!
- Candy ! Tu n'es vraiment qu'un estomac !!! – s'écria Patty en riant – Mais ma foi, je ne dis pas non car je crains que comme dans tous les hôpitaux, la nourriture ne soit pas fameuse ici.
- Nous allons pouvoir le vérifier ! – répondit Candy en apercevant la femme de service qui entrait en poussant un chariot sur lequel était posés deux plateaux-repas.
- Cela tombe bien, je meurs de faim !

Les deux amies se régalèrent de pâtes et d'une soupe minestrone bien fumante. Plus précisément, ce fut Candy la plus vorace, car Patty, bien que très motivée au début, dut renoncer rapidement à son repas. Son estomac restait encore fragilisé par l'opération et les médicaments qu'on lui faisait prendre, et la tête lui tournait facilement au moindre effort. Elle s'abandonna un peu plus profondément au creux de son oreiller et murmura d'une voix lasse :

- Je crois que je ne vais pas tarder à sombrer de nouveau dans les bras de Morphée... C'est usant de rester couchée toute la journée...

Candy sourit d'amusement en constatant que son amie n'avait rien perdu de son ironie. C'était ce qu'elle aimait le plus chez Patty : une apparence effacée bâtie par sa timidité maladive mais qui cachait savamment une personnalité pleine d'humour et de malice.

- Je vais te laisser te reposer... – dit-elle en tapotant ses lèvres avec une serviette – Tu seras en meilleure forme demain. Je profiterai de la matinée pour te trouver quelque chose qui t'empêchera de t'ennuyer et qui occupera tes longues journées.
- Tu es bien aimable de penser à moi, pauvre être que je suis et que la maladie a cloué au lit...
- N'en fais pas trop quand même ! – s'écria Candy en riant - Dans quelques jours, tu danseras au bras du bel Alessandro. C'est lui même qui l'a dit !
- Il n'a pas évoqué cette éventualité – fit Patty en rougissant, les yeux brillant d'émotion - mais cela pourrait m'encourager à me rétablir encore plus vite...
- Pour le moment, pense surtout à te reposer – répondit Candy en posant un baiser sur le front de son amie - Demain est un autre jour... Fais de beaux rêves !...

Patty opina en souriant et ferma doucement les yeux. Rapidement sa respiration prit un rythme régulier et Candy se dit qu'elle pouvait la laisser tranquillement dormir avec les anges. Elle prit son sac à main et la valise qu'elle avait mise de côté et quitta l'hôpital. Heureusement, la rue qui menait à la pension descendait en pente douce, et le poids de son bagage lui parut moins lourd. Sa chambre se trouvait au premier étage et c'est avec un grand soupir de soulagement qu'elle se laissa enfin choir sur le lit. Elle se débarrassa de ses souliers d'un revers du pied et resta étendue quelques minutes à fixer le plafond.

Soudain, on toqua à sa porte. C'était sa logeuse Roberta qui portait un énorme broc d'eau chaude.

- J'ai pensé qu'un bon bain chaud vous ferait du bien, mademoiselle.

Candy la remercia pour cette heureuse initiative et l'invita chaleureusement à entrer. L'hôtelière traversa la pièce et renversa le broc dans la baignoire qui se trouvait au fond de la chambre, à côté de la fenêtre. Un paravent la protégeait des yeux indiscrets et apportait de l'intimité au coin de toilette. Après trois allers-retours, le bain était prêt et Candy ne se fit pas prier pour plonger dedans. Elle émit un gémissement de contentement au doux contact de l'eau chaude sur son corps fatigué et laissa tomber sa tête en arrière contre le bord de la baignoire. Elle ferma les yeux et savoura l'instant, un sourire de satisfaction au coin des lèvres. Elle joua longuement avec les sels de bain, passant et repassant l'éponge savonneuse sur sa peau, battant légèrement des pieds pour se délasser. Mais peu à peu, la température de l'eau se radoucit et la jeune femme dut se résoudre à quitter son petit coin de paradis. Elle se sécha rapidement puis s'enduisit le corps d'une huile parfumée qu'elle avait trouvée sur le cabinet de toilette. Cela fleurait bon le lilas, une de ses fleurs préférées, ce qui la mit d'autant plus en joie. Elle revêtit sa chemise de nuit et s'allongea à plat ventre sur le lit. La tête posée sur le côté au creux de ses bras, son regard se posa sur son sac à main entrouvert à côté d'elle, au pied du lit. La lettre de Terry en dépassait, et d'une main délicate, elle s'en saisit. L'écriture fine et déliée du jeune homme dansait devant ses yeux émus, et les mots tant de fois répétés dans sa tête depuis qu'elle les avait lus pour la première fois, prenaient chair, murmurant à son oreille toute la tendresse qu'ils évoquaient.

Je n'ai pas changé...

La voix douce et chaude du jeune homme s'infiltrait dans tout son être, et il lui sembla un instant qu'elle pouvait le sentir tout contre elle, qu'elle pouvait le toucher. Des sensations curieuses commençaient à s'emparer d'elle et la consumaient de l'intérieur, titillant agréablement son ventre, faisant s'accélérer le rythme de sa respiration, l'enveloppant d'une chaleur délicieuse qui l'emportait vers un territoire qui ne lui était pas inconnu mais qu'elle n'avait jamais vraiment osé pénétrer. Elle se redressa toute tremblante, le souffle court et les joues en feu. Elle referma la lettre précipitamment et la rangea dans son sac. Puis, quelques secondes après, réalisant l'étrangeté de son comportement, elle laissa échapper un rire nerveux qu'elle étouffa de la main. Durant toutes ces années, elle avait refréné ses désirs les plus secrets et à présent qu'elle était libre de les vivre pleinement, elle se sentait fautive comme une petite fille prise en flagrant délit. Son corps de femme se réveillait peu à peu d'un long sommeil qu'elle lui avait imposé, et elle réalisa que si Terry était capable de lui faire vivre d'aussi intenses émotions à distance, qu'en serait-il lorsqu'ils se retrouveraient pour de bon ?

En quête d'air frais, elle s'approcha de la fenêtre et l'ouvrit tout en grand. Une brise légère vint caresser son joli visage et bousculer ses boucles dorées. Elle leva les yeux et aperçut l'étoile du berger qui brillait intensément dans le ciel. L'étoile de l'amour était une des premières à scintiller dès la tombée du jour, et restait, même lors des plus belles nuits étoilées, l'un des astres les plus brillants que l'on distinguait aisément parmi les milliers d'étoiles qui l'entouraient. Dans quelques heures, Terry aurait lui aussi l'occasion de l'admirer du haut de son large balcon de la rue Horacio... Elle ignorait encore qu'à une centaine de kilomètres de là, le jeune homme était lui aussi penché sur un balcon au-dessus du canal de Venise et contemplait le même ciel occupé à revêtir ses couleurs nocturnes, avec une pensée toute particulière pour elle, se promettant que le lendemain serait le dernier jour qu'ils vivraient loin l'un de l'autre...

Fin du chapitre 6


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