Chapitre 22

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Appuyée contre la balustrade, les cheveux balayés par le vent, Candy regardait le port de Southampton s'éloigner tout doucement au rythme tranquille du paquebot qui les transportait. Malgré l'immense joie qu'elle éprouvait à repartir en Amérique, elle n'en avait pas moins le cœur gros de quitter John et Humphrey, mais aussi Cookie qui était encore loin d'être rétabli. Le Duc de Grandchester lui avait promis de prendre soin de lui. Elle n'avait bien entendu aucun doute sur ce point, mais elle n'en restait pas moins contrariée de les avoir tous retrouvés et de n'avoir pu rester auprès d'eux plus longtemps. Décidément, ce pays lui avait apporté bien des bonheurs mais aussi bien des peines, distillant à petites gouttes des moments de douceur pour les lui retirer tout aussi rapidement. C'était néanmoins dans ce pays qu'elle avait rencontré Terry, un soir de nouvel an, et malgré tous les obstacles que la vie avait semés par la suite sur son chemin, il en resterait pour cette raison, éternellement cher à son cœur.

Une semaine s'était écoulée depuis l'agression de Rodolphe, tragique événement qui avait précipité leur départ. Candy n'était pas revenue au château des Grandchester, mais Terry avait tenu à rendre une dernière visite à son père, et surtout à affronter ces deux vipères de Beatrix et Sybille, lesquelles, sentant le vent tourner en leur défaveur depuis quelques jours, s'étaient faites sans surprise excuser, fuyant quelque part en province. Cette visite d'adieu, avait rapidement pris la tournure d'un règlement de compte. Ne s'étant pas remis de l'épisode funeste qui s'était déroulé le soir de ses fiançailles, il avait saisi l'occasion qui se présentait à lui, alors qu'il se trouvait seul avec son père dans son cabinet de travail, pour condamner fermement le silence coupable de la famille sur le comportement déviant de son frère, silence qui lui avait permis d'agir en toute impunité pendant des années.

- Vous rendez-vous compte, père – s'était-il écrié en tapant du poing sur le bureau - que si Candy n'avait pas pu se défendre, il aurait pu... Il aurait pu !...

Les mots s'étaient étranglés dans sa gorge en repensant à cette scène insoutenable. Le duc avait baissé les yeux d'un air grave. Il avait les traits tirés de ceux qui n'avaient pas beaucoup dormi depuis des jours. Remarquant sa détresse, Terry s'était senti coupable. Il devinait l'avoir blessé avec ses reproches et la colère qu'il avait éprouvée en arrivant, s'était aussitôt évanouie. En signe d'apaisement, il était allé se servir un verre de whisky et en avait tendu un à son père, que ce dernier avait accepté d'un hochement de tête.

- Je... Je regrette profondément ce qui s'est passé ici... - avait finalement prononcé ce dernier après plusieurs gorgées, le regard fixé sur le liquide ambré qui dansait dans son verre – Je n'ai pas voulu reconnaître le mal qui sommeillait en ton frère. J'ai préféré voir en lui un séducteur, un homme à femmes plutôt qu'un... Vois-tu, Terrence, c'est très dur pour un père d'accepter que son fils soit un... monstre...

Sa main avait tremblé à cette évocation puis il s'était repris, et avait poursuivi, tristement :

- J'ai commis l'erreur de fermer les yeux, préférant ne pas voir, comme si cela n'existait pas.. Mal m'en a pris ! Je suis bien puni, et notre famille aussi...

Il avait dit ses mots en grimaçant de douleur, meurtri par le déshonneur qui les avait frappés, conscient que bien des années devraient s'écouler avant qu'ils puissent s'en relever. Il était convaincu qu'il ne verrait pas ce jour arriver... Bien que seulement quelques personnes et membres du personnel fussent au courant, il savait combien les rumeurs se propageaient vite, telles une infection, répandant des horreurs plus crédibles que la vérité... Son impuissance à combattre ce mal le rongeait intérieurement et l'affectait profondément.

Devant cette fragilité affichée, le sentiment de culpabilité s'était accru dans le cœur de Terry. Il ne reconnaissait plus son père, cet homme si dur en apparence, était finalement humain, avec ses forces et aussi ses faiblesses. Le cœur serré devant tant de désarroi, il s'était approché de lui et avait posé une main sur son épaule :

Lettres à JulietteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant