Chapitre 15

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Madame Legrand referma la porte de la chambre de sa fille en soupirant tristement.

Cela fait une semaine qu'Elisa a été conduite dans cet hôpital et elle n'a toujours pas retrouvé ses esprits...

Elle avait encore du mal à accepter que sa fille soit dans un asile pour malades mentaux. Ce genre d'endroit était destiné aux fous et non pas à sa glorieuse fille ! Mais elle avait bien dû se résoudre à l'évidence dès la première fois qu'elle l'avait vue, attachée à un lit, hystérique, hurlant des chapelets d'insanités, puis redevant étonnamment calme quelques secondes plus tard, bredouiller d'une voix plaintive des mots incompréhensibles parmi lesquels s'échappaient plus distinctement les prénoms de Candy et d'Albert, pour ensuite repartir de plus belle dans son délire paranoïde. Son état depuis lors, ne connaissait pas d'amélioration et les médecins ne semblaient pas très optimistes...

Après chacune de ses visites, la rage emplissait son cœur de mère meurtrie, suivie d'une soif de vengeance qui l'étouffait jusqu'au malaise. Elle n'avait pas encore informé la Grand-Tante Elroy de l'état de sa nièce. La femme acariâtre et autoritaire d'antan avait depuis quelques années cédé la place à une vieille dame à la santé fragile, dont le port impérial qui avait si souvent imposé le respect autour d'elle, n'était plus qu'illusion. Aucun choc émotionnel ne lui était permis et le cœur, bien qu'insensible de Sarah Legrand, ne se sentait pas le courage de lui faire part de cette mauvaise nouvelle.

Il faudra pourtant bien le faire à un moment ou à un autre...

Elle savait par l'intermédiaire des domestiques que la Grand-Tante avait réclamé Elisa à plusieurs reprises déjà. Elle ne pourrait pas lui mentir éternellement... Mais avant d'en arriver à cette extrémité, elle souhaitait parler à son cousin pour le convaincre de revenir sur sa décision. De retour dans sa suite de l'hôtel Waldorf Astoria, elle s'empressa de demander à l'opératrice de composer son numéro, ses doigts pianotant fébrilement d'impatience sur le combiné...

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Le sourcil légèrement arqué de Georges tandis qu'il lui tendait le téléphone était on ne peut plus éloquent. Intrigué, Albert prit le combiné et la voix gémissante de sa cousine lui parvint aussitôt, faisant accélérer son pouls d'irritation. Levant les yeux au ciel, il l'écouta d'une oreille distraite faire l'éloge de sa fille tout en exprimant son incompréhension quant à cette terrible décision qu'il avait prise à son égard, et qui n'était certainement dû qu'à un coup de folie de sa part. Un petit rire étouffé secoua les épaules athlétiques du chef de famille devant l'impudence de cette insinuation.

- N'avez-vous donc pas de coeur, mon cousin ? - l'implorait-elle, sur un ton des plus larmoyants destiné à l'amadouer.
- Je l'avais mise en garde, ma cousine. Et ce, à plusieurs reprises !
- Mais... En venir à la rejeter alors qu'elle est un membre de la famille...
- Etait !...
- Mais voyons, mon cousin, tout cela est ridicule ! Avez-vous perdu tout bon sens ?
- Bien au contraire, ma chère, votre fille m'a aidé à retrouver toute ma lu-ci-di-té ! Il n'était que temps que je mette un terme à toutes ses manigances ! J'ai été bien patient pendant toutes ces années, mettant sur le compte de la bêtise et l'éducation que vous lui aviez donnée, le comportement scandaleux de votre fille à l'égard de la mienne...
- Permettez-moi de m'interroger sur votre définition du mot scandale, mon cousin - rétorqua-t-elle, piquée au vif - Vous, qui avez adopté cette orpheline dont on ignore les origines, celles d'un bagnard et d'une professionnelle probablement...
- Ma chère cousine, quand je vous écoute, je ne peux nier la filiation qui vous lie toutes deux. Vous êtes bien la digne mère de votre fille !...

Sarah Legrand pâlit. La remarque acide d'Albert était loin d'être un compliment et elle pinça les lèvres de mécontentement, des larmes d'indignation au bord des yeux. Puis se ressaisissant, elle ajouta dans un ultime trémolo :

Lettres à JulietteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant