Chapitre 16

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Cher Albert,

J'aurais bien voulu te donner de mes nouvelles  plus tôt mais comme je te l'ai annoncé dans mon télégramme, un événement  bien précis a bouleversé le cours de mon voyage mais aussi celui de mon  existence, ce qui a fait que je n'ai pu jusqu'à ce jour trouver le temps  nécessaire pour t'écrire. J'espère que cette lettre te parviendra néanmoins  avant mon retour. J'aurais pu t'envoyer encore un télégramme, mais  c'est un moyen de communication qui m'oblige à être succincte et tu sais  combien j'aime parler ! J'ai tant de choses à te raconter qu'une lettre  ne suffira pas mais je vais essayer de t'en dire le plus possible.

Figure-toi  que je me trouve depuis quelques jours à Londres. Pour être plus  précise, je me trouve à la campagne, à une dizaine de kilomètres de la  capitale, dans la demeure des Grandchester, pour la future célébration  de mes fiançailles avec qui-tu-sais. Contre toute attente, le Duc  de Grandchester s'est montré très chaleureux avec moi et très  enthousiaste vis à vis de ce mariage même s'il aura lieu en Amérique.  C'est la raison pour laquelle nous allons célébrer nos fiançailles en  Angleterre, afin de satisfaire un peu tout le monde. Je n'ai pas encore  rencontré les autres membres de la famille, mais Terry m'a fait  comprendre qu'ils étaient un peu particuliers et peu avenants.  J'angoisse un peu à l'idée de faire leur connaissance mais je sais que  Terry sera à mes côtés et ensemble nous pouvons tout affronter sans  crainte aucune.

Le château des Grandchester est si grand que l'on  peut s'y perdre et le parc, immense, est une véritable merveille. Quand  je m'y promène, j'ai l'impression de me retrouver à Lakewood, avec ses  statues, ses fontaines, ses gazons d'un vert immaculé et ses haies  épaisses et verdoyantes plantées tout autour pour protéger le domaine.  Il ne manque que les roses blanches d'Anthony, si belles et si  odorantes, pour parfaire le lieu. Je suis si heureuse que tout me semble  irréel !

J'aimerais tant que tu sois là pour pouvoir partager  avec toi ce bonheur qui m'habite depuis mon séjour en Italie... Ce que  je ressens est tellement fort qu'il m'est impossible de le décrire avec  des mots. Je crois n'avoir jamais été aussi heureuse et je n'aurais  jamais imaginé pouvoir l'être à ce point un jour... Je peine encore à  croire que j'ai retrouvé Terry ! Que je l'ai retrouvé et qu' il m'aime !  Qu'il ne m'a pas oubliée, qu' il n'a jamais cessé de m'aimer pendant tout ce  temps, et bien que je sois en train de l'écrire, il m'est toujours  difficile de me convaincre que cela est la réalité.

Il m'aime et  il veut m'épouser ! Je vais bientôt m'appeler madame Candice Neige  Grandchester et j'ai beau le répéter à haute voix, j'ai toujours  l'impression que cela concerne une autre personne ! Aurais-tu pu penser  qu'un jour ce que je n'avais même pas osé espérer se réaliserait ? Une  petite voix intérieure me dit que tu y es certainement pour quelque  chose car quand je repense à mon excursion à New-York, je réalise  combien le trajet avait été orienté vers Terry, n'est-ce pas ? Patty m'a  aussi avoué votre petite conspiration pour faciliter nos  retrouvailles... Pour être vraiment honnête, cette incursion dans ma vie  privée m'a tout d'abord contrariée puis j'ai rapidement réalisé mon  erreur. Si vous ne nous aviez pas aidés à forcer le destin, nous serions  certainement encore ces deux idiots incapables de revenir l'un vers  l'autre. Vous aviez confiance en nous alors que nous en étions  incapables, emmurés comme nous étions dans nos certitudes, aveugles et  sourds à cette chance qui s'offrait à nous. Je frisonne d'effroi à  présent en imaginant l'obscurité dans laquelle nous serions restés  plongés sans votre initiative... Comment pourrais-je un jour vous  remercier, tous ?

Tu as toujours été là, mon cher Albert, prêt à  m'aider ou à me consoler. Tu as tant fait pour moi. Toi, ce protecteur  et bienfaiteur bien-aimé qui agissait dans l'ombre jusqu'à ce que tu te  révèles à moi, mon mystérieux Oncle William. Comme j'ai été surprise et  en même temps soulagée ce jour là ! Ce ne pouvait être que toi de toute  manière car personne d'autre que toi ne pouvait aussi bien me connaître  et me comprendre. Je me demande encore comment j'ai pu l'ignorer pendant  toutes ces années passées à tes côtés. Tu as toujours su ce qui était  bon pour moi, c'est pourquoi tu as décidé de m'envoyer en Angleterre  après le décès d'Anthony alors que je refusais d'y aller. Si tu ne  l'avais pas fait, je n'aurais jamais rencontré Terry, et je ne me serais  peut-être jamais remise de la perte incommensurable qu'avait représenté  pour moi la disparition d'Anthony. Je n'aurais jamais compris qu'on pouvait  tomber amoureuse une nouvelle fois, d'une autre façon certainement mais  tout aussi fort assurément. Tu le savais, toi, c'est pourquoi tu m'as  fait traverser l'océan, pour que la distance et le temps guérissent ma  peine, et pour qu'une autre personne aussi merveilleuse qu'Anthony  croise mon chemin. Je te dois mon bonheur présent, Albert, et je ne sais  comment te chérir au delà de ce qu'une fille puisse éprouver pour son  père. La force de ce lien invisible qui nous relie fait que je sais,  d'ors et déjà, que quoi qu'il advienne, nous resterons toujours unis et  cela me remplit de joie. J'ai trop besoin de toi dans ma vie et je nous  la souhaite la plus longue possible ensemble. J'espère pouvoir un jour  te rendre tout ce que tu m'as donné, mais je crois que je n'aurais pas  assez d'une vie tant tu m'as apporté et comblée. Merci Albert, merci du  fond du cœur...

Lettres à JulietteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant