Chapitre 20

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Candy était frigorifiée et elle pressa le pas en direction de sa chambre. Par dessus la rampe de l'escalier, elle aperçut Terry en grande conversation avec Mrs Hughes, et comprit qu'il lui parlait de Cookie. L'esclandre provoqué précédemment par la duchesse de Grandchester avait précipité les choses et éloigné en un clin d'œil leur pauvre ami. Ce n'était pas tant le bain forcé qu'il avait subi qui l'inquiétait, mais sa chute quand il avait essayé de se lever de son fauteuil.

- Se mettre debout avec une fracture au tibia, on n'a pas idée, quand même ! - se dit-elle en secouant la tête.

Cookie venait de leur prouver une nouvelle fois combien il était casse-cou ! Souffrant chaque jour un peu moins de ses blessures grâce aux soins attentifs de la jolie Lucille, elle le soupçonnait de s'être senti pousser des ailes, ailes qui s'étaient royalement brisées sur le sol mouillé des Grandchester ! Avec un peu de chance, il s'en sortirait avec quelques ecchymoses, c'était du moins tout le mal qu'elle lui souhaitait. De toute façon, elle avait prévu de passer le voir avant de retrouver les invités. Elle n'aurait pas l'esprit tranquille tant qu'elle n'en saurait pas plus sur son état.

Elle tourna la poignée de la porte et entra dans sa chambre déjà plongée dans la pénombre. Quelques minutes de tranquillité après une journée aussi animée ne lui ferait pas de mal !... Sa robe humide lui collait à la peau et elle s'empressa de faire rouler chaque bretelle de par et d'autre de ses épaules. La robe retomba à ses pieds, la laissant en sous-vêtements. Le vent soufflait par rafales contre la fenêtre et elle frissonna. Elle se dirigea vers la salle de bain et tourna l'interrupteur. La lampe au-dessus d'elle grésilla, éclairant la pièce de lueurs intermittentes au rythme des soupirs gémissant du vent qui s'insinuait sous les plinthes malgré l'épaisseur des murs.

Elle perçut soudain le cliquetis dans la serrure de la porte de sa chambre. Ce devait être la bonne qui venait lui préparer sa nouvelle tenue... Rassurée, elle tira sur le rideau de douche et s'apprêtait à se dévêtir complètement quand deux mains caressantes se posèrent sur sa taille, l'attirant en arrière.

- Terry ! - fit-elle en gloussant de surprise - Voyons, ce n'est pas le moment...

Pour toute réponse, des lèvres effleurèrent ses épaules puis se collèrent goulument sur sa peau. Elle gémit, basculant la tête en arrière, mais se raidit tout aussitôt à l'odeur d'alcool reconnaissable entre toutes qui pénétra ses narines, cette odeur qu'elle avait subie toute l'après-midi à chaque approche de... Rodolphe !!! Elle se retourna vivement en reculant, horrifiée, son corps tremblant butant contre le rebord de la baignoire.

- Rodolphe !!! Que... Que faîtes-vous ici ??? - fit-elle d'une voix blanche.

Il se tenait devant elle, les yeux avides, le souffle haletant.

- Tu m'as aguiché toute la journée, coquine, avec tes clins d'œil et tes sourires...

- Mais jamais de la vie !!! Comment pouvez-vous penser cela ??? Vous avez perdu la tête ???

- En effet, je l'ai perdue ! - s'écria-t-il en la saisissant par les épaules - Tu me rends fou ! Et je sais que toi aussi tu me désires autant que je te désire, n'est-ce pas ?...

- Mais laissez-moi !!! Au secours, Terryyyyy !!! - hurla-t-elle en se débattant. Mais elle réalisa rapidement que Terry ni personne d'autre ne pouvait l'entendre avec ce vent assourdissant qui secouait tout le château. Son cœur battait à tout rompre ! Elle avait si peur que ses membres se tétanisaient et perdaient en vigueur. Elle était à sa merci, dans cet espace exiguë qui ne lui laissait aucune possibilité de fuite !

Rodolphe s'empara vivement d'elle et la plaqua contre lui, cherchant sa bouche, son haleine imprégnée de whisky se répandant sur son visage. Ses mains puissantes emprisonnaient les siennes. Il était fort, bien plus fort que ce qu'elle aurait imaginé ! Tandis qu'il l'enserrait d'un bras ferme, il parcourait de l'autre main chaque partie de son corps, s'écrasant sur elles avec empressement tout en poussant des petits cris d'excitation. Elle était terrorisée ! Puis il saisit son visage et força sa bouche, sa langue râpeuse cherchant la sienne pour déborder sur ses joues en laissant un filet de salive visqueuse. Elle hurla mais son cri mourut aussitôt sur les lèvres goulues de son agresseur, l'étouffant à demi. Il s'écarta enfin en soupirant de satisfaction. Elle pencha la tête sur le côté, suffocante, sentant la nausée monter dans sa gorge et l'amertume de la bile envahir sa bouche. Elle leva les yeux et vit qu'il lui souriait d'un de ces sourires fiers et comblés qu'elle avait bien souvent vus se dessiner sur le visage d'un autre jeune homme, dont les traits, bien que différents, paraissaient soudainement si comparables : Daniel !... En l'espace d'une seconde, elle se revit dans ce vieux manoir avec lui qui lui barrait le passage, et ce sentiment de danger, de violence qu'elle s'apprêtait à vivre. Elle s'en était échappée, épouvantée et incapable par la suite d'en parler à qui que ce soit. Seuls Albert puis Terry avait été mis dans la confidence mais elle en avait édulcoré le récit pour ne pas les affoler. C'était une blessure intime qu'elle ne se sentait pas le courage de partager...

Lettres à JulietteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant