Partie III/3

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        Argos referma la grille derrière lui. Thelma avait regagné hâtivement sa chambre, comme si le temps lui était compté. L'attitude de la sirène intrigua beaucoup le Xenorien qui ne l'avait pas quittée des yeux depuis qu'il l'avait aperçue jaillir du temple. Il brûlait d'impatience de découvrir la tournure qu'avait bien pu prendre l'échange entre elle et son frère. Mais la jeune fille était déjà passée à l'étape suivante. Elle s'était assise et positionnée, étirant ses bras sur les accoudoirs, en position de méditation. Elle semblait parfaitement savoir ce qu'elle faisait, ce qui décupla soudain la curiosité d'Argos.

        -Thelma, parla-t-il d'un ton pressant, dis-moi ce qu'il s'est passé.

        -C'est moi qui parlerai à Mortica.

        Le guerrier ne répliqua pas, ne sachant que répondre à une telle annonce. La sirène s'empressa d'en dire plus.

        -Artemus refuse catégoriquement de s'entretenir avec Mortica, mais il a fini par me proposer un compromis. Il me permet d'essayer. Il me laisse du temps, le temps nécessaire.

        Argos était sceptique.

        -Vraiment ? C'est ce qu'il t'a dit ?

        -Oui, il a été formel.

        Les sourcils de l'homme-sirène ne défroncèrent pas.

        -J'aurais besoin de manuscrits sur Mortica, autant que possible.

        Mais les paroles de Thelma sonnaient aux oreilles d'Argos comme un bourdonnement lointain et flou. Le guerrier pensait durement, le visage grave.

        -M'aiderez-vous, Argos ?

        L'interpellé fut soudainement tiré de ses réflexions au son de son prénom. Il cilla vers Thelma qui avait posé sur lui deux yeux vifs teintés d'un espoir profond.

        -M'aiderez-vous ?

        -Bien sûr Thelma, répondit-il, attendri.

        -Constantin est retenu prisonnier par les humains à bord de leur navire. Mais je sais qu'ils ne lui feront aucun mal, tant qu'ils auront besoin de lui.

        -Bien Thelma, commença le dirigeant xenorien d'une voix réconfortante. Parle à Mortica, nous partirons ensuite le libérer. Je t'en donne ma parole.

        Un sourire chargé d'émotions apparut sur le visage de la sirène.

*

        Ce n'était pas un mirage. Un navire de guerre de l'armée Royale Britannique se distinguait bel et bien au loin, perçant la surface des flots paisibles du petit matin. Les hommes s'étaient tous rassemblés sur le pont pour l'occasion. Les yeux pleins d'étoiles, les visages songeurs, ils contemplaient le bateau qui se rapprochait en sentant déjà les pièces d'or leur couler entre les doigts.

        Pinning et Chatham n'avaient quant à eux pas le loisir de s'abandonner à leurs rêveries. Placés en première ligne tels deux chefs, ils cogitaient, passant en revue toutes sortes de stratégies et davantage de stratagèmes. Le Quartier Maître grassouillet pivota soudain vers l'équipage.

        -Messieurs, débuta-t-il d'une voix forte et enjouée, nous allons nous rapprocher de nos visiteurs.

        Gore sortit aussitôt de la foule pour s'en démarquer.

        -Tous à vos postes ! Allez ! Nous appareillons ! hurla-t-il, brutalisant les pirates comme l'aurait fait un bon coup de pied au derrière.

        L'effet fut immédiat. Les hommes d'équipage s'agitèrent sur le pont, prêts à réveiller l'Écumeur des Mers. Les gabiers se précipitèrent vers les enfléchures. Ils agrippèrent les échelles de cordes puis grimpèrent activement le long des mâts. Leurs pieds se posèrent ensuite sur les vergues qui s'étiraient telles des antennes.

        Pendant ce temps, plusieurs bras robustes s'étaient employés à pousser les leviers du cabestan autour duquel s'enroulait l'énorme chaîne de l'ancre à mesure qu'elle était hissée.

        Bientôt, des mains retirèrent les rabans qui maintenaient les voiles repliées. Une fois larguées, ces dernières se déployèrent majestueusement au gré du vent.

        -Je vais chercher le Capitaine, confia Pinning à son acolyte.

        Les grands yeux de Chatham observèrent le petit homme s'éloigner d'un pas lourd et pressé. Les plumes du chapeau dansèrent ensuite quand la tête de son propriétaire se tourna vers une poignée d'hommes qui géraient visiblement l'artillerie.

        -Canonniers, parla Chatham. Très discrètement, chargez les canons sur le pont, mais ne les sortez pas encore.

        Otto et le Borgne comptaient parmi le groupe. Ils s'échangèrent un regard perplexe au son de cet ordre qui leur paraissait illégitime. Les autres n'avaient pas tant fait la fine bouche. Ils s'étaient empressés de s'exécuter, ne voulant en aucun cas compromettre les plans du Boucher.

        Gore brandit une hachette. D'un coup net, il trancha la corde qui rattachait encore le navire au rivage.

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Aquatilia ~ Le secret de la perditionWhere stories live. Discover now