Ce que femme veut - Part 32 - Vivement ...

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Je suis contente que mes parents soient au bled et que je ne vois mes frères et leurs familles respectives qu'une ou deux fois par an. Je crois qu'il y a quelques jours je n'étais pas consciente de la dangerosité de ce virus. J'ai déjà eu la grippe et passé la fièvre et les courbatures, on en oublie très vite la douleur mais ce Corona a l'air plus costaud qu'une simple grippe.
Ce qui m'amène à penser à la mort.
Même si je ne pense pas être atteinte de ce virus, car pour l'instant je ne ressens aucun symptôme et puis de Claire, notre collègue malade, je n'ai pas été très proche, je ne peux m'empêcher d'être parfois un peu pessimiste. On sait jamais, je me répète. Partons du principe que Claire m'ait contaminé et que je sois une porteuse saine et que je l'ai refilé à des gens qui eux l'ont refilé à d'autres gens ... La culpabilité serait énorme.
Erdem ne m'a toujours pas révélé ce qu'avait sa mère. Ça m'inquiète vraiment cette histoire. C'est pas le moment d'avoir la fièvre et de tousser. Elle a 60 ans cette petite dame, elle fait partie des personnes très à risque. Je prie sans cesse pour qu'elle n'ait rien. Parce que si c'est moi qui ai fait circuler ce machin et qu'Erdem le réalise, au-delà de la culpabilité je peux dire bye-bye à cette relation. Et franchement je ne veux pas.
C'est ce qui me fait sourire quand je plonge dans la gamberge.
Savoir que je tiens à quelqu'un et que c'est réciproque, ça booster le système immunitaire.
Avant ce confinement, connement, je pensais mes problèmes bien grands ; mon divorce, mes problèmes d'argent, mon job ennuyeux, mon célibat, mes kilos en trop, mais ne rien faire pendant quelques jours ça permet de se poser et de dépoussiérer les boîtes de souffrance qu'on a laissé s'entasser.
Yanis m'a peut-être rendu un service dans le fond, il m'a permis de devenir une femme. Je ne voyais que par lui, il était le centre de mon monde, l'épicentre de ma maladie, je me pensais incapable de vivre sans lui, sans son aide ou sans son regard. Force est de constater que je suis toujours vivante, que je paie mon loyer et que je mange à ma faim. Ce n'est pas tous les jours facile, parfois j'aimerais me reposer sur quelqu'un mais c'est passager. A bientôt 27 ans, je peux enfin reconnaitre que je me débrouille et de ça j'en suis fière.
Rien n'était gagné, pas même me connaître et me supporter.
Si je mourais aujourd'hui je n'aurais pas à trop rougir de la vie que j'ai mené ici-bas. J'ai fait des erreurs c'est vrai, trop sans doute, mais j'ai appris, beaucoup et j'ai aimé, vraiment. Me mettre face à la retrospective de ma vie m'aide à guérir de mes propres pensées négatives.
Evidemment tout le monde vit le confinement différemment, un ami journaliste de Karima est au bord du suicide. Il lui envoie des messages alarmistes qu'elle me fait suivre avec l'émoji « pleure de rire ». Karima, quant à elle, fidèle à sa désinvolture, vit très bien cette assignation à domicile. Elle est calfeutrée dans une chambre d'un hôtel particulier du 2ème arrondissement, propriété du père d'un de ses potes de beuverie. Elle passe ses journées à fumer des gitanes, à lire Sartre et à danser sur du The Blaze en culotte Calvin Klein. Elle se prend parfois en photo et les publie sur Instagram en légendant des phrases du style :
" Printemps confiné, vivement l'été"
Ses amis journalistes s'empressent de commenter des phrases du style :
"merci de nous offrir ta beauté pour tenir le coup." Je les imagine la bouche bavante sur les images de ma meilleure amie. ça me vénère. Je la trouve impudique.
Hilare elle me facetime tous les soirs à 18 heures avec son verre de vin à la main. Sa passion pour la vie, pour cette vie, m'impressionne. Le confinement, moi, je ne veux pas le capturer en photo, je ne le vois pas comme un moment à saisir. Dommage pour mes enfants, car si dans les livres d'histoire on évoque cette sale période, je ne pourrais pas leur fournir de reliques. Le confinement, moi, je le vois la fin d'un livre.
Je m'avance à peine en disant que des millions de vies vont changer. Ce virus n'est pas qu'en train de détruire des corps physiques, il grignote aussi notre cerveau, notre sociabilité, notre liberté. Je ne suis pas une vagabonde, amatrice de longues marches et pourtant le simple fait de savoir que je ne peux pas sortir à ma guise, que d'autres ne s'amusent plus, que les rues sont vides et que des familles ne peuvent même pas enterrer leurs morts digne, ça me dérange, ça m'oppresse. Encore une fois, je relativise, ça aurait été bien pire si je savais mes parents septuagénaires pris en otage dans cet Hexagone aux poumons infectés. Mais que faire de tout ce temps ? Suspendu sur le fil de la vie qu'il ne tient qu'à lui ?
Le temps. Le temps est différent quand on ne travaille pas. Il s'allonge. Il s'étire. Il s'essouffle, lui aussi. D'habitude je n'ai pas le temps, je rentre du travail parfois à 20h, je dîne devant les infos, puis il est déjà l'heure de repasser, faire un peu de ménage, parler au téléphone avec des proches, prier puis dormir. Il y a peu de place pour la folie, pour cogiter, pour regarder sa vie en 16/9ème et se demander si on a pris les bonnes décisions et si on aurait pas dû en faire plus ou en dire moins dans telle ou telle situation.
Ce qui tait mes pensées profondes c'est que je suis de ces gens qui pensent que rien n'arrive par hasard. Même la pire des choses peut être une main tendue dans le fond. Un bien pour ceux qui restent. Tout dépend de l'angle de vue. Mais je ne l'aime pas pour autant ce confinement.
Le bruit dans Paris me manque. J'enviais à Bourges ses silences il y a encore peu de temps mais le silence de Paris crie trop fort. Cette ville n'est faite que de klaxons, de cris, d'agitation, de musique et de grognements. La voir si vide m'attriste. Quand je jette un œil par la fenêtre j'y vois quelques pèlerins qui promènent leur chien cinq minutes et quelques récalcitrants qui font leur footing à en cracher leurs poumons. Les indécrottables qui mettent notre patience en péril. Moi je suis impressionnable. Le Président nous a dit de ne sortir que pour les choses essentielles, maintenir mes habitudes sportives n'en fait pas partie. OK j'en n'avais pas. Je comprends ce besoin qu'ont certains de se dégourdir, de se casser le corps pour apaiser l'esprit mais est-ce que cet emprisonnement ne risque pas de durer plus longtemps par leur faute ? Je ne sais pas. C'est une idée qui me traverse l'esprit. Comme ça. Je vois des vidéos d'infirmiers et de médecins à bout, des routiers qui pleurent en conduisant, des enfants de 40 ans qui pleurent leurs parents, des enfants mineurs qui portent des masques et sont tenus à distance de leurs frères et sœurs, je vois des peines qui ne méritent pas tant de nombrilisme.
Erdem m'a dit qu'à Vancouver le silence aussi avait laissé place au bruit de grande ville américaine. Les commerces sont fermés, les rues quasi-désertes, il reste calfeutré dans la chambre de son airbnb et attend de savoir s'il va rentrer dimanche ou lundi. C'est égoïste, je le sais, mais je suis heureuse de savoir qu'il rentre. C'est une inquiétude en moins. On ne se verra pas, on se prendra pas dans les bras avant plusieurs semaines, mais il sera là, à Paris, à quelques rues de chez moi et ça suffit à me réconforter.
Nos vies vont changer après cette pandémie mais comme la vie c'est ce qu'on en fait, je compte faire de belles choses. Et ne plus rien prendre pour acquis. Vivement ...

Ce que femme veutWhere stories live. Discover now