CE QUE FEMME VEUT - PART 14 - Situation : divorcée.

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Depuis ce matin j'ai l'œil droit qui gratte, comme un début de conjonctivite. J'ai essayé de masquer la rougeur sous du fard à paupières Huda Beauty mais rien y fait, j'ai l'impression de m'être pris un coup de soleil sur la sclérotique. C'est hideux. Notre avocat nous a souhaité à tous les deux une vie heureuse avant de s'engouffrer dans un Uber. C'est marrant de dire ça à deux jeunes gens qui divorcent. A mon sens, une vie heureuse c'est ce qu'on vise quand on se marie, une fois qu'on se sépare, on souhaite juste avoir une vie, tout court. Le bonheur on sait que c'est un combat bien trop difficile à gagner.
La juge a été expéditive. J'ai à peine eu le temps de cligner des yeux, que j'étais déjà divorcée.
Désormais je remplirai les papiers administratifs différemment, plus mariée ; divorcée.
Sah, quel plaisir...
Sur le parvis du tribunal, je n'ai su que faire à part regarder mes escarpins et me demander pourquoi j'en avais mis. Pourquoi faire tant d'effort pour un évènement si malheureux ? C'est fou ce que les femmes féminines peuvent être pleines de cérémonials, de rituels stupides. On s'habille bien pour tout, du premier rendez-vous, au dernier ... des fiançailles, au divorce, il faut toujours être esthétiquement à la hauteur. Même d'un pauvre con. Yanis n'a fait aucun effort lui, un jean, des baskets blanches, la routine. C'est un homme. Un peu de laisser-aller ne remet pas en cause sa valeur. Puis il ne rejoint pas le rang des célibataires. Il est en couple lui, il va se remarier dans quelques semaines, sûrement, quelques jours. Il passe d'un état à un autre. Il ne se sent ni ridicule, ni seul, ni désaimé. Moi je rejoins toutes ces jeunes femmes dont on ne veut plus, dont on n'a jamais voulu ou qui ne savent pas ce qu'elles veulent ...
Mon œil me gratte.
Alors que j'envoie un message à Karima pour lui demander si elle ne préfère pas déplacer notre déjeuner. Il ose encore une fois :
- T'as réfléchi à mon offre ?
Offre, il a utilisé ce mot comme un vendeur de chez Bouygues un peu insistant.
- On vient de divorcer, elle sert à quoi ton offre ?
- On peut se remarier ça c'est pas un problème.
- Yanis. Respecte-moi un peu ! Il devait sacrément pleuvoir le jour de ta naissance ! je crache en le toisant.
Mon ex-mari se sent soudainement très bête, il baisse la tête. Il s'excuse, j'ai raison, c'est idiot. Il me demande si ça va aller.
- Évidemment.
- OK, ben j'y vais alors.
- Ciao.
- Si t'as besoin de quoi que ce soit ...
Je le laisse débiter ses conneries de mec coupable et idiot, il regagne sa voiture d'un pas pressé et je continue à regarder le bout de mes chaussures.
J'ai toujours mal à l'œil. Je pleure.
*

Rejoindre Karima dans une brasserie juste après le prononcé de mon divorce, c'est un choix qu'elle m'a imposé. Je voulais rentrer chez moi, pleurer tranquillement et végéter toute nue près du ventilo en buvant un mister freeze tout en écoutant des musiques mélancoliques.
Même si Yanis est devenu le déchet me proposant de devenir sa deuxième femme, on a connu de bons moments ensemble. C'était un mec gentil, patient, doux et affectueux. C'est terrible de se dire que quelqu'un qui vous a tant donné ait pu tout reprendre en l'espace de quelques semaines.
J'ai envie de lui en vouloir au point d'effacer tous ces bons souvenirs, toutes ces premières fois, effacer tout cet amour de ma mémoire et de mon cœur, mais je n'y parviens pas. Je croyais en nous, ça ne s'efface pas en quelques jours, quelques rancoeurs ou quelques incompréhensions. C'est gravé. Il me dégoûte, c'est vrai, mais je ne sais pas ce que je vaux en tant que femme, sans lui.
Des lunettes sur le nez pour cacher la rougeur de mes yeux, je fais mine de déguster cette citronade et cette salade Caesar devant ma meilleure amie, heureuse de ce qui m'arrive.
- Enfin libre, elle répète en prenant une gorgée de kir.
- ...
- Deux mots : Corse et Naples !
- Ça fait trois mots.
- Le « et » ne compte pas, elle se justifie.
- Je n'ai pas beaucoup de congés cette année.
- T'as pas huit jours ?
- ...
- On va s'amuser, c'est beau la Corse.
- Ça ne me dit pas trop.
- Rien ne te dit. Tu viens et puis c'est tout, elle déclare en croquant dans du pain.
- Il y aura qui ?
- Nous deux et ma pote qui nous invite : Charlotte, elle a une baraque à Ajaccio.
Karima détaille le programme, le budget qu'elle prend à sa charge. Je n'entends qu'un bourdonnement ponctué de ses éclats de rire. Je dodeline de la tête mais celle-ci est trop lourde. Je me lève et lui annonce que j'ai besoin de marcher.
- Mais t'as rien mangé.
- Je dois bouger.
- Inès !
- Je suis désolée...
Sa bouche pleine me hèle mais je suis déjà prête à traverser la rue. J'ai la tête qui tourne, les yeux plein de larmes, je suis sonnée. Dans la rue je me sens en trop, on me barre la route, mon épaule cogne contre celle d'inconnus, je me heurte à leurs corps imposants, leurs sachets de courses trop nombreux, il n'y a pas de place sur ces trottoirs étroits, trop de touristes, trop de soleil, trop de bruits. Paie ta capitale! Ma respiration manque de se couper à chaque coup klaxon. Dieu que je déteste cette ville !
Je voudrais être ailleurs, dans les bras de ma mère, meilleur réconfort qui existe sur cette terre qui ne m'inspire plus aucune confiance.
Je marche, essoufflée, titubante, une heure au moins sans savoir clairement où je vais puis le ciel m'offre un répit. Il pleut. Les badauds courent pour trouver où se mettre à l'abri, les rues se vident comme une rame qui reste à quai. Je continue mon chemin, seule, car c'est ainsi qu'il faudra évoluer désormais et trempée la honte de pleurer s'évanouit comme ma confiance en moi.
Ce à quoi je pense là, tout de suite, c'est à un saccage. J'ai envie de commettre une erreur, de me faire un mal plus grand que le mal qu'on m'a fait. J'aimerais me décevoir pour enfin pouvoir concentrer mon attention sur autre chose que la victime que je suis. J'en ai marre d'être si peu de chose. Oui, j'ai eu l'idée de l'appeler, de le voir, comme ça en pleine journée, je sais comment ça se passerait, on se regarderait dans les yeux, il serait étonné que les miens soient si rouges et si tristes, il toucherait mes cheveux mouillés, il voudrait les sécher avec une serviette, je lui dirais que ce n'est pas la peine. Il me demanderait si je veux boire ou discuter, je lui sauterais dessus, il ne comprendrait pas tout de suite mais ne me repousserait pas car ce n'est qu'un homme et que même les yeux rougis, il me trouve désirable.
On le ferait une fois, peut-être deux, puis je prendrais mes affaires et le laisserais allongé sur le lit qui a accueilli nos râles et ses promesses d'homme satisfait. En regagnant mon studio, je m'auto-flagellerais en me traitant de pute, fille facile et de bouffonne. Je prendrais une douche pour oublier son odeur et je réaliserais que j'ai toujours autant mal et m'apprête à en faire à un autre ...
Heureusement qu'Erdem est en Turquie je me dis en longeant les Grands Boulevards. Heureusement.

Ce que femme veutWhere stories live. Discover now