Ce que femme veut - Part 7 - Anniv Normand

1.4K 79 4
                                    

Ce que femme veut - Part 7 - Anniv Normand

Je sais que c'est cliché mais je n'ai vraiment plus le goût de rien.
Yanis n'est pas revenu sur sa décision et mes parents ne comprennent rien. Ils croient que je suis à l'origine de ce divorce alors que je leur ai expliqué en français et en arabe que j'étais la victime dans cette histoire. Ils sont vieux, je ne leur en tiens pas rigueur. Quant à mes frères, je ne leur ai toujours rien dit. Ali et Oussama sont excessifs et imposants, ils ne sont pas méchants mais leur caractère fait peur à n'importe qui tenant un peu à la vie. Même si je le hais, je ne veux pas que Yanis fasse l'objet d'un kidnapping. Puis je n'arrive pas encore à bien réaliser que je suis sur le point de divorcer. Ça me parait ubuesque, comme dirait Karima. Divorcée à 25 ans. Valait mieux pas se marier. Je me demande ce que va être ma vie maintenant que je suis seule. Sentimentalement, je vais galérer c'est sûr, déjà que je ne sais ni séduire, ni montrer mon intérêt ... Et financièrement ce ne sera pas mieux car le mariage a cet avantage, si notre moitié n'est pas crevarde, on est protégée. Karima n'aime pas m'entendre parler ainsi :
- C'est affreux ce que tu dis ! Bien sûr que tu peux t'autogérer ! Pas besoin d'un homme pour payer un appart et mettre de l'essence dans ta voiture ! Grandis un peu Inès.
Elle peut bien s'insurger, elle est journaliste, elle gagne plus de 2000 euros par mois. Moi je ne suis que vendeuse chez Séphora. Si je paie un loyer à Paris, je ne peux manger que des barquettes de concombre à la crème de chez Franprix jusqu'à l'indigestion. Avoir un mari, c'était rassurant, aidant, j'en oubliais ma condition de «  gilet jaune (cocue) ». Evidemment si je prévenais mes frères de ma situation, ils m'aideraient, surtout Ali, il tient un bar-tabac en Seine-et-Marne et ça marche assez bien pour lui, mais je ne veux pas qu'il me prenne en pitié. C'est mon grand-frère certes, mais j'ai ma fierté. Il n'a jamais aimé Yanis, il me dira «  je t'avais prévenue » et la véracité de ses mots me donnera mal au crâne. Je préfère garder ma situation secrète encore un peu. Sur facebook, je n'ai pas retiré mon statut «  Mariée ». Je vis dans l'illusion que si virtuellement c'est visible, dans la vraie vie c'est rattrapable. Je veux me remettre avec mon mari, il me manque. Karima m'empêche de recontacter Yanis, elle dit que si je le fais elle me mettra à la porte et elle est assez folle pour le faire ! En attendant je m'efforce de donner le change. S'il est besoin de le souligner, ma foi en a pris un sacré coup. Je ne suis pas la meilleure croyante de ma génération mais je crois ou croyais. Ça n'est plus très clair dans mon cœur. Je me doute que c'est mal mais je me demande pourquoi Dieu a-t-il laissé faire une telle chose ? L'adultère, l'enfant, l'humiliation et maintenant le divorce et Karima qui me rappelle que sa coloc' ne va pas tarder à rentrer de Singapour et qu'il va falloir que je me trouve un studio. Tout est arrivé d'un seul coup, alors que je suis de ces gens qu'on peut qualifier de tendres, dociles, sans réels vices ... Je sais que c'est de l'orgueil mais je suis déçue que ma vie prenne ce tournant. Je me sens trahie et ... pauvre. Je regarde en permanence les annonces d'appart et hormis à Sevran, big up à Kaaris, mon salaire ne me permet de louer aucun deux pièces. Oussama, mon autre frère qui vit à Bourges a des contacts dans l'immobilier mais à lui non plus je ne veux rien dire. Il est moins tranchant qu'Ali mais c'est un faux calme très sensible, s'il me voit souffrir, il est capable de faire des trucs regrettables.
- Viens avec moi en Normandie. Allez, s'il te plait ! J'aurais trop mauvaise conscience de te laisser seule ...

Karima porte une robe noire et des bottines en cuir. Elle s'est apprêtée pour cet anniversaire hors de Paris. Affalée sur son canapé, je l'observe attacher ses boucles d'oreille. J'ai les yeux plein de mucus et rougis par les larmes.
- Tu devrais mettre des créoles, je fais en me mouchant.
- Alors tu viens ? Séb passe me chercher dans 30 minutes ! C'est jouable.
- Non, je n'irai pas.
- Pourquoi ?
- Parce que je viens de rompre avec mon mari, je ne vais pas t'accompagner à une fête alors que je suis terriblement malheureuse.
- Les fêtes ont été inventées pour ça ... Changer les idées des filles comme toi !
- Amuse-toi bien Karima Bradshaw!
Elle sourit en levant sa jambe à la manière d'une danseuse de french cancan.
- J'adore quand tu m'appelles comme ça ! Non mais sérieux, Inès, il n'y aura pas de drogue à cet anniversaire. Enfin à moins que tu considères le shit comme de la drogue, elle fait en imitant des guillemets.
Décomplexée, elle s'allume une cigarette en me répétant que je serai plus en sécurité émotionnelle entourée d'elle et de ses collègues amis, que seule devant Netflix. Dans le fond, elle n'a pas tort, dès que je sors du boulot je trainaille en jogging et je me morfonds en regardant des séries ayant pour thème principal le meurtre, big up à Annalise Keating. Ce n'est pas sain. Toutefois Karima a des fréquentations louches, des journaleux qui trouveraient anormal qu'une femme voilée puisse faire du sport avec un hijab prévu pour ça ou encore des mecs alcoolisés qui te sortent sans complexe : «  j'aime trop les beurettes, c'est mon péché mignon. » en te jetant un regard libidineux.  C'est gênant de côtoyer des gens qui n'ont pas du tout le même système de valeurs que soi. J'hésite. Karima est presque prête, elle insiste longuement, elle m'assure qu'il y aura des boissons sans alcool, des petits fours sans viande et une bonne connexion wifi. Elle  a de vrais arguments et a l'air sincère. Je me laisse tenter par l'offre et me douche à la hâte. J'enfile un jean, un chemisier et des bottines. Je ne me maquille que très peu et je laisse mes cheveux gras en l'état. Je veux bien faire des efforts mais pas trop non plus ... Je souffre.
                                               *
C'est Antoine, un journaliste-philosophe de 34 ans qui nous conduit au lieu de la fête. Il s'exprime dans un français si parfait que j'ai l'impression d'écouter Zola lire l'une de ses œuvres. Il a les yeux rivés sur la route mais ça ne l'empêche pas de slalomer entre Kant et le soufisme qu'un ami Egyptien pratique.  Antoine est de gauche. Enfin, il s'en donne l'air. Il m'a demandé si je faisais le Ramadan, j'ai répondu par l'affirmative.
- C'est superbe, ce moment convivial et ce rituel de la datte et du lait, je trouve ça exquis. J'aimerais bien en faire un, un jour. Sans la dimension religieuse bien évidemment, je suis athé mais jeûner pour me rapprocher de mon moi intérieur, communier avec ma petitesse et partager un buffet avec les gens que j'apprécie. Il faudrait que je le fasse.
Pendant près de deux heures, ses envolées lyriques m'ont arraché quelques éclats de rire. Ce blond fin est un passionné, je l'imagine bien partir au bout du monde faire de l'humanitaire puis revenir en France, croiser un enfant un peu pouilleux et s'émouvoir de sa situation, en faire un reportage et venir débattre sur un plateau, l'œil humide. Le soir même retrouver ses potes dans un bistrot du 2ème arrondissement et claquer 50 euros dans un repas qu'il n'a même pas terminé. C'est un bobo. Il habite à République mais il a un ami Egyptien ... Ouf.
Même si je fais bonne figure, je regrette déjà ma décision d'avoir suivi Karima. En plus, on n'a même pas ramené de cadeau.
- Ça fait mauvais genre, dans mon milieu, elle a dit sereinement.
- Ça fait très crevard, dans le mien, j'ai répondu incrédule.

Je ne savais pas que la Normandie était si près de Paris. Je ne suis jamais venue à Rouen. Je ne connais que Bourges, moi.
Aux alentours de 20h  on arrive dans une grande et splendide maison situé rive droite, des mecs font barrage devant le portail, des gobelets rouges à la main. On se croirait à une fête américaine du côté de Beverly Hills.
Lorsque je rentre dans le grand jardin où se tient la fête, je suis éberluée par la surface. Dire que le mec qui fête ses 30 piges héritera de tout ça un jour ... Karima m'abandonne très vite pour aller claquer la bise à des connaissances. Timidement je salue des gens au visage accueillant en leur serrant la main, Antoine aussi a pris ses quartiers, dès qu'il a claqué sa portière, il a oublié mon nom.
Je suis mon amie comme une enfant, je ne connais personne à part elle. Elle me présente comme sa meilleure amie, artiste maquilleuse. Elle en fait des tonnes. Je la suis de groupe de potes en groupe de potes mais je suis vite larguée. Karima parle boulot, parle twitter, parle vulgairement et ça me gave. Dès qu'elle est au contact de ces gens hyper « cools », hipsters, bobos, gauchos-curieux, elle entre dans la parfaite case de la rebeu aseptisée qui veut paraitre plus royaliste que le roi. J'ai du mal à la reconnaître parfois.  Au bout d'une demi-heure de  «  Décathlon joue le jeu des islamistes, c'est n'importe quoi ! » je la laisse se donner en spectacle et trouve refuge dans le fond du jardin, près de la table où sont disposés les boissons. Une nana aux faux airs de la chanteuse Zaz me demande ce que je veux boire :
- Du sprite si vous avez.
- Avec quoi ?
- Une paille.
- Non, je veux dire sprite vodka ? whiski ? Rhum ?
- Ah non, juste du sprite, je fais comme une enfant interloquée.
- OK ...
Elle parait déçue en me tendant le gobelet. Je lui jette un regard énervée mais elle ne me voit pas et bougonne sûrement une insulte à mon encontre, comme si je lui avais fait perdre du temps avec ma requête simple !
Je m'éloigne un peu de la table et regarde les gens rire, discuter et se déhancher sur du Calypso Rose. Est-ce bien nécessaire de souligner que mon jogging, ma morve et le canapé me manquent déjà ?
- Elle est pas commode la serveuse, lance une voix derrière mon dos.
Je me retourne rapidement, comme pour esquiver un missile skud. Un homme brun se positionne près de moi.
- J'ai demandé un coca, sans alcool, elle m'a fait les gros yeux, il continue.
Je souris.
- J'imagine même pas ce qu'elle aurait fait si j'avais demandé un verre de coca zéro.
Je souris à nouveau.
- Tu travailles pour quelle rédaction ?
- Aucune, je réponds sans en dire plus.
- Ah t'es une amie de Paul ?
- C'est qui Paul ?
- Le mec qui fête ses 30 ans ...
- Ah, il s'appelait pas Jean ? Non, je suis juste accompagnatrice.
- Et tu accompagnes qui ?
- Karima Dera...
- Karima de Libé ? Il m'interrompt en riant. Je ne savais pas qu'elle avait des amies « typées ».
- ...
- Je la connais un peu, on a fait quelques soirées ensemble. Je m'appelle Erdem, je travaille pour le Figaro.
Il me tend sa main.
- Erdem, c'est turc ?
- Oui c'est ça.
Je serre sa main.
- Et toi ?
- Je suis marocaine.
- Non je veux dire, ton prénom ? Il interroge sans me quitter des yeux.
- Inès.
- Tu le portes bien.
Je le dévisage un instant puis je replonge mes yeux dans la masse inharmonieuse des danseurs. Erdem me pose des questions pendant une trentaine de minutes. Un vrai journaliste, il est loquace. On aborde le thème des caftans  avant que Karima ne vienne nous interrompre.
- Oh Erdem, ça va ?
Elle l'enlace et renverse un peu de son coca sur sa robe. Il s'excuse mais elle s'en fiche, ce n'est qu'une robe. Elle lui demande du feu. Il lui tend un briquet. Il fume. Je pensais avoir trouvé le seul être non-fumeur de la soirée mais c'est raté. Elle lui parle d'un article, il sourit en racontant une anecdote. Elle lui propose un brunch, un dimanche, quand il fera meilleur. Il accepte. Elle reprend son numéro. Il lui confie qu'il est surpris qu'on soit amies. Elle rit fort en demandant pourquoi.
- Une extravertie et une femme calme, c'est presque digne d'un scénario de soap opéra, il fait.
- Non mais j'étais timide aussi avant de perdre ma virginité dans les toilettes du lycée.
Erdem détourne le regard.
- Puis Inès c'est madame prout prout. Elle ne fume pas, elle ne boit pas, elle ne baise pas. Enfin, plus. Son mari vient de demander le divorce.
Ce que je craignais le plus est arrivé, Karima est saoule. Je déteste la Karima saoule. Déjà que la Karima qui clope est un peu trop bavarde mais la Karima saoule, quelle bitch !
Je manipule mon amie, je n'ai pas le choix, je désigne Antoine du doigt et lui assure qu'il vient de l'appeler.
- Ah bon ? J'ai pas entendu.
- Va le voir, je fais, vas-y !
Elle s'exécute en manquant de trébucher. Erdem sourit en me complimentant :
- Bien joué.
- 20 ans d'amitié ...
- Mais c'est vrai ?
- Comment ça ?
- T'es vraiment en plein divorce ?
- Non. On est en pleine turbulence mais mon mariage est toujours valide.
- Ah d'accord... il fait en hochant la tête.
Je bois une gorgée de sprite et je me promets de ne pas lâcher l'affaire avec Yanis.

Ce que femme veutWhere stories live. Discover now