Ce Que Femme Veut - PART 15 - Prendre des décisions

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« Ma miff me manque ... Et le vide me hante. »

La Corse c'est beau. Tout du moins Ajaccio l'est. Enfin ce que j'en ai vu. Quand Karima est venue chez moi après l'Aïd et qu'elle s'est mise à préparer ma valise j'ai compris que je n'avais plus trop le choix. Je crois que c'est à ça qu'on reconnaît les vrais amis, ils se changent en tuteurs quand vous êtes trop faibles pour prendre des décisions. Les bonnes surtout. Je m'en suis fait la promesse, à partir de maintenant je n'en prendrai que des bonnes. Comme celle de prendre soin de moi physiquement et mentalement. Ce divorce m'a permis de me rendre compte à quel point je suis sensible. Si on y regarde bien je n'ai fait que subir : un adultère puis une séparation. A aucun moment je n'ai pris de décision, je me suis adaptée aux siennes.
C'est terrible parce que ma vie toute entière, mes 25 ans de vie, ce n'est que ça, m'adapter aux décisions des autres. La seule chose que j'ai choisi c'est d'être maquilleuse professionnelle mais au final j'ai fini vendeuse ... parce que je n'avais pas le choix. Tout cela j'en prends conscience quand je parle à d'autres femmes de mon âge ou un peu plus âgées que moi, je vois à quel point je suis en retard pour le train de ma propre existence. Toujours sur le quai, toujours en retrait.
Par exemple, Charlotte l'amie de Karima qui nous héberge, elle a un appart, un taf dans la pub et des souvenirs plein le crâne tant elle a voyagé. Elle est tellement pleine, sa vie est tellement remplie que ces dix jours en Corse c'est son seul repos (presque forcé) de l'année. Moi je passe ma vie à tuer le temps. Dans le métro, au boulot, lorsque je rentre chez moi. Tuer le temps c'est mon sport quotidien. J'aimerais savoir quel goût ça a d'être vivante. Genre, vraiment. C'est quelque chose que j'envie à Karima. Elle ne s'ennuie presque jamais. Elle a toujours une soirée, une pièce à voir, un mec à rencontrer, une ville à visiter.
Allongée sur un transat de la villa des parents de Charlotte je m'interroge sur la suite. Celle à donner à ma vie. Je ne veux pas retourner au travail mais je n'ai pas le choix car j'ai un loyer à payer. Je ne veux pas être seule mais je ne veux pas être en couple non plus. Je ne veux pas retomber dans une quelconque routine mais je suis trop pauvre pour obtenir plus.
- Karima m'a dit que tu faisais des vidéos youtube ?
La voix de Charlotte m'arrache à ma rêverie. Elle est debout devant moi, les seins à l'air, son bas de maillot de bain couleur or qui dévoile sa cellulite et sa peau extrêmement blanche. Elle me tend un verre d'alcool, du Chardonnay elle précise en soulevant ses lunettes de soleil.
- Elle ne boit pas, crache Karima. C'est une sainte.
Charlotte s'excuse, elle peut me ramener du coca ou de l'eau si je veux, mais je ne veux rien. Je suis bien là, affalée au soleil près d'une piscine qui n'a rien de municipal. Karima est pompette, je le vois à sa façon de battre des cils si lentement. Elle m'énerve un peu mais je vais faire avec les 7 prochains jours elle ne fera que ça boire et draguer des mecs. C'est sa conception des vacances, teaser, lire, lambiner au soleil et se faire complimenter par des hommes. J'ai bien cru qu'elle allait pécho le chauffeur Uber qui nous a déposé à la villa en arrivant. Le quadra, plutôt beau gosse avait l'air partant.
- C'est du flirt, elle m'a dit en trainant avec difficulté sa valise sur le pavé. Tu peux donner l'impression à un mec qui te plait qu'il y a moyen sans pour autant aller plus loin qu'un échange verbal.
- ...
- Tu devrais essayer Inès. Tout échange avec un mec n'est pas obligé de se terminer à la mairie !
Ça aussi j'aimerais pouvoir le faire mais pas aussi brutalement que Karima. Finement, comme les parisiennes. Les vraies. Parfois j'écoute les femmes dans le métro ou à des terrasses de café et j'aime cette façon pudique qu'elles ont de susciter l'intérêt d'un mâle qui leur plait. C'est courtois, presque amical mais toujours fin.
- Alors tu fais des vidéos ?
Je bégaie, je viens à peine de commencer, je me lance. Charlotte est intriguée, elle aimerait en faire elle aussi, des vlogs de voyage mais son copain n'est pas fan.
Yann, il s'appelle Yann son mec, est un blindé comme elle. Elle ne l'a pas dit, mais je l'ai compris quand elle a parlé d'emménagement, d'achat d'un appart à Reuilly Diderot avec l'héritage de la grand-mère. Puis elle a confié qu'il était réalisateur. Qui fait un tel métier s'il n'est pas né aisé ? Artiste pour moi c'est le summum du vivre-bobo. Quand t'as faim tu fais des études pas de l'art.
Yann doit nous rejoindre demain soir. Ça m'angoisse. Je n'aime pas la présence des hommes ces temps-ci. Puis je n'ai pas un bac plus 5 comme eux tous, je ne peux pas parler des manifs à Hong-Kong, du dernier vernissage rue des Francs-Bourgeois ou du dernier Besson aussi techniquement qu'eux. Je fais des efforts j'écoute un peu la radio de temps en temps mais je ressens le décalage quand Karima pose sa main sur mon avant-bras comme pour me dire : « T'inquiète je nous représente. »
Je rentre me badigeonner à nouveau de crème solaire, je sue comme une vache sur ce transat. Sur ce qui va me servir de lit les trois prochains jours, je jette mon portable, au même moment un message s'affiche. Je le lis en m'essuyant.
« Coucou, j'espère que tu vas bien. Je suis revenu d'Istanbul... Karima m'a parlé d'un week-end à Naples tous les quatre, je suis partant ! Hâte de te revoir, à samedi. »
Je marque un arrêt. Tous les 4 ? Quel 4 ?
Je reviens m'installer près de la piscine et interroge Karima qui semble lutter avec le sommeil.
- T'as invité Erdem à Naples ?
- Invité à nous rejoindre, oui.
- Pourquoi ?
- Pourquoi pas ?
- Tu crois que c'est une conversation normale ça ?
- Détends-toi, ce ne sont que 3 jours. On bouffera des pâtes et on visitera la ville, rien de plus.
- Il a parlé de 4 personnes, Charlotte vient ?
- Non, Peter.
- C'est qui ça ?
- Le mec que je fréquente depuis quelques semaines. Je t'ai dit que je vivais une petite amourette avec un British. Un journaliste. Il sera là, ça ne te dérange pas ?
Charlotte, toujours les seins à l'air, interrompt la conversation. Elle a entendu le mot « amourette » notre hôtesse veut en savoir plus.
Moi je reste de marbre face à ce récit que j'ai entendu des centaines de fois. Karima est amoureuse tous les deux mois. Chaque mec qu'elle fréquente a un truc. Quel truc ? Il n'y a qu'elle qui sait. Ce qui me rend folle c'est qu'elle ne m'ait pas dit qu'on passerait ce court week-end en Italie avec son plan cul.
Si Erdem ne pouvait pas venir je me serai retrouvé au milieu de deux amoureux en pleine dolce vita. Et je la connais Karima, elle se gêne pas de vivre ce qu'elle a à vivre.
- Tu boudes ?
- Mais non. C'est juste que j'en ai marre qu'on décide pour moi. Si tu m'avais dit que c'était un week-end en mode double date, ben j'aurais pas accepté, après Ajaccio je serai rentrée sur Paris.
- Ça va bien se passer Inès, détends-toi.
- Puis Erdem c'est pas un thon, ajoute Charlotte en épongeant son front. C'est le brun qu'était à ton anniversaire c'est ça ?
Karima la dévisage et hoche la tête.
Personne ne comprend réellement que je suis dans une phase critique émotionnellement et que je ne supporte plus qu'on m'impose quoi ce soit. Je regagne ma chambre et je pleure en découvrant un coup de soleil sur la poitrine.

« Le cœur brûle, le cœur serre. »

Ce que femme veutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant