Ce que femme veut - Part 4 - Bizarre

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Chez Soufiène, je ne laisse rien transparaître pas même une once de haine. Pourtant j'en suis emplie. J'ai envie de crier, déchirer des trucs, saccager des machins, m'agiter mais je reste calme. Dans ma tête c'est un véritable chantier. Quand a commencé cette relation, pourquoi et a-t-il conscience que l'adultère peut niquer un couple ? Parce qu'il est évident que je vais lui pardonner. Je viens de me marier, je n'imagine même pas divorcer mais il va falloir du temps pour recoller les morceaux, refaire confiance. Un temps qu'on ne mettra pas à profit pour faire un enfant. Je réfléchis vite. Je saute des étapes. Le dîner se passe bien, les gens n'y voient que du feu. Par moment Yanis pose sa main sur mon épaule. Il ne sait pas que je sais qu'il m'a trahie. Je discute avec Cynthia, la meuf de Soufiène, une coach sportive si bien foutue que c'est à se demander si elle mange. Elle me parle de ses parents, peu emballés à l'idée qu'elle se pose avec un Arabe. Elle persiste :
- Moi ce que je leur ai dit c'est que Soufiène n'était pas un rebeu comme les autres, il est «  normal ».
Ses mots me choquent mais là non plus je ne dis rien parce qu'elle n'a pas l'air de saisir que sa phrase est empreinte de racisme. Ce que je voudrais c'est parler à une amie, une vraie, Karima, ma pote d'enfance, avec qui j'ai tout vécu, des drames aux joies en passant par les disputes, mais elle est en Thaïlande avec ses collègues. Elle travaille dans un comité d'entreprise et teste des hôtels dans les quatre coins du monde. Elle a toujours aimé voyager et en a fait son métier. Je l'admire. C'est une meuf qui va au bout de ses envies. Elle est libre. Elle l'a toujours été et ce malgré les traditions, le regard des autres ou les bâtons dans les roues. A 17 ans elle a vécu une longue histoire d'amour avec un mec de trois ans son aîné. A 19 ans elle a quitté le domicile familial pour venir habiter seule à Paris, elle a galéré, fait des petits jobs, manger des pâtes aux beurres, à 22 ans elle a terminé ses études endettée, avec un loyer à payer et ce n'est que maintenant qu'elle goûte à la «  good life », célibataire, libre comme l'air, amatrice de flirts et de cocotiers. Pas plus tard qu'hier elle m'a avoué qu'elle se verrait bien finir sa vie sur une île paradisiaque genre Seychelles. Ce qui est fou c'est que ses deux autres sœurs ont une vie aux antipodes de la sienne, elles taffent, sont mariées, se font discrètes et n'ont peut-être jamais vu autre chose que Rabat en été. Ses parents se sont résignés et l'acceptent telle qu' elle est, mais Karima est perçue comme bizarre dans notre milieu, trop insaisissable, trop Française, trop amicale.  Dans notre groupe de potes on est tous persuadés qu'elle finira avec un Français, un peu hipster qui travaille dans un domaine sympa comme la com' ou la mode, qui fume des Marlboro et lit Libé en buvant son café dans une brasserie du 10 ème arrondissement. Même si elle se montre pudique sur sa vie intime, je sais qu'elle ne fréquente pas de rebeu, qu'elle n'aime pas les attaches et qu'elle perçoit le mariage comme une institution surannée qui emprisonne la femme dans un rôle de mère nourricière. Un jour, alors qu'on préparait mon mariage, elle m'a dit :
- Je ne comprends pas ce besoin de se dire «  je ne vais aimer qu'une seule personne », je trouve que c'est aussi idiot que de dire «  je vais garder le même emploi toute ma vie. »
- C'est un pari fou, mais ça vaut le coup d'essayer.
- A 23 ans, tu te condamnes à rester avec la même personne, c'est kamikaze.
- Je l'aime.
- Oui mais l'amour ça évolue ... Peut-être que dans 5 ans tu l'aimeras moins et tu ne pourras même pas le quitter en faisant ta valise. Non faudra une procédure de divorce, des frais d'avocat, si vous devenez proprio entre temps, faudra partager les parts de la maison et si y a des enfants, il faudra mettre en place une garde alternée. Si tant est que Monsieur veuille encore les calculer après t'avoir quittée ...
- Pourquoi t'es si négative ?
- Parce que moi tu te mets des chaînes. Il n'y a rien qui attise plus l'amour que la liberté.
Même si on ne partage pas les mêmes points de vue, elle reste très respectueuse de ma relation avec Yanis. Je ne l'ai jamais entendu en dire du mal et elle est déjà venue dîner à l'appart à plusieurs reprises. Yanis, lui, l'appelle «  la beurgeoise » de façon péjorative. Parce qu'elle aime bien s'habiller avec des vêtements de bonne qualité, qu'elle fume, boit et vit toute seule, il la trouve bizarre.
- Ça m'étonnerait même pas qu'elle bouffe du porc, il a dit un jour. C'est mieux tu arrêtes de la fréquenter, elle va t'emmener sur un mauvais terrain cette meuf.
Je n'ai pas rétorqué. Karima et moi sommes amies depuis la maternelle, on a traversé l'adolescence ensemble et elle a toujours respecté mes principes et moi son mode de vie. On se ressemble sans doute peu extérieurement mais la même humanité nous habite, on aime les gens, tels qu'ils sont.
Si elle était là, elle n'essaierait même pas d'enfoncer Yanis, alors qu'elle sait très bien qu'il ne l'aime pas, non, elle m'aiderait à comprendre, elle me rassurerait, me conseillerait. Elle me manque. La soirée s'achève après une partie de monopoly. La raclette halal me reste sur l'estomac. Dans la voiture, je ne dis pas un mot. Yanis le remarque et me demande ce que j'ai.
- Rien.
- T'es sûre ?
- Ouais.
- T'es vraiment bizarre.
C'est lui le menteur qui trompe mais c'est moi qui suis bizarre. Il insiste :
- Pourquoi tu ne parles pas ?
- Que veux-tu que je dise ?
- Ben j'sais pas, parle.
- Je suis fatiguée.
Il se renfrogne en bougonnant, je suis vraiment une meuf bizarre.
Après s'être garé dans le box, on monte à l'appart. Je marque un temps d'arrêt lorsque je le vois sourire en lisant un message. Il lève la tête et remarque mon regard.
- T'as quoi ? Il demande.
- C'est quoi qui te fait rire ?
- Rien, un texto de Soufiène.
- Vas-y fais-moi lire, je fais avec audace.
- Mais à quelle heure je te fais lire les messages de mes potes. Va te doucher, t'es chelou.
- Partage, fais-moi lire, si c'est si drôle.
- WAOUH, tu soules, il s'écrie en changeant de pièce.
- Peut-être que ce n'est pas Soufiène ...
Il se tourne et me jette un regard noir.
- Va te doucher, sérieux, t'es tendue.
- C'est peut-être une autre personne, genre ... Régis.
Il n'en fallait pas plus pour que la conversation dégénère. Yanis, mon mari me pousse violemment contre le mur en me demandant ce que je raconte. Je vois une colère que je n'ai jamais vu dans ses yeux. Il sait que je sais et je ne compte plus me taire. La soirée risque d'être longue ...

Ce que femme veutWhere stories live. Discover now