Ce que femme veut - Part 6 - Frère et soeur

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Ce que femme veut - Part 6 - Frère et soeur

Est-ce qu'on sait quand une histoire est terminée ? Quand il est temps de s'en aller ? Parce que moi je ne le sais pas.
Malika, la maîtresse de mon mari est enceinte. Elle n'a pas menti. Depuis maintenant deux semaines je dors chez ma copine Karima. Au début ce devait être l'affaire de deux, trois jours j'étais persuadée que ça n'était qu'un cauchemar, un de ceux dans lesquels on voit sa pire hantise se concrétiser mais il s'agit bien de la réalité, MA réalité. Yanis m'assure qu'il ne veut pas vraiment de ce bébé.
- Mais je ne peux pas l'inciter à ... Tu sais quoi. C'est péché, il m'a confié lors d'un facetime. 
Ce qui est péché, il me semble c'est de tromper sa femme avec une prof de zumba dont le lit a dû voir passer plus de bougzers que le RER C mais il n'a pas tort, l'avortement n'est pas envisageable. J'en pleure tous les jours. Tous les jours, dès que je mets un pied à terre, toutes mes pensées ne tournent qu'autour de cette débâcle. Être cocue c'est blessant mais terriblement commun, en revanche savoir que son mari va être père de l'enfant d'une autre, c'est l'horreur absolue, encore plus dans ma situation... Je ne sais pas si je suis stérile ou non, mais en attendant lui il a planté sa graine et moi je n'ai rien. Karima dit que c'est une chance inespérée ce qui m'arrive, dans son jean troué aux genoux et ses stan smiths usées, elle s'est écriée :
- Tu vois Yanis, je ne l'ai jamais aimé, c'est un secret pour personne  et avec ce qu'il vient de te faire, j'ai totalement le droit de le détester mais il a été connement généreux sur ce coup-là ! Il t'a rendu ta liberté, tu te rends compte de la chance que tu as? T'étais partie pour vivre la vie d'une vieille conne à la botte de son petit fonctionnaire de mari jamais satisfait et bon qu'à baiser à droite et à gauche des pétasses aux culs bombés, il t'aurait ramené des gosses, des dettes et des mst c'est sûr.  Maintenant que tu es consciente que ce n'est qu'un déchet tu vas pouvoir vivre rien que pour toi Inès ! Tu peux reprendre tes études, voyager, prendre cinq kilos ou en perdre cinq, teindre tes cheveux, les couper, aller en boîte ou à des musées, tu peux vivre la vie dont on rêvait adolescente. Plus aucun de tes faits et gestes n'est soumis à son approbation. Tu lui as donné trop de droits à ce con, mais c'est pas grave, tu l'as connu jeune, on fait toutes des conneries. Le tout c'est d'apprendre à te connaître et te reconstruire. Je peux t'héberger le temps que tu trouves un petit appart à toi, t'es belle, t'es jeune, t'es libre ! Alors sèche ces larmes, quitte officiellement ce gros con, crache toute la vérité à sa mère et rebondis !
Ça lui va bien de dire ça, c'est une meuf libérée qui n'a peur de personne, mais moi je ne suis pas comme elle, j'ai besoin de limites, de codes, de structures, d'interdits, d'un cadre. Je ne veux pas être célibataire. Je ne veux pas goûter à d'autres saveurs, comme elle qui durant un été est sortie avec 4 mecs pour le fun. Je ne blâme pas ce genre de femmes, mais je ne suis pas faite de la même matière qu'elles, c'est tout. Souvent Karima dit que je suis trop prude car je ne suis pas féministe, j'oublie que des femmes du monde entier se sont battues pour que je puisse baisser ma culotte quand je veux avec qui je veux mais elle réduit le féminisme à des positions horizontales. Aimer un homme, un seul, toute sa vie, ça n'enlève rien à mon féminisme, aussi timide soit-il. Bref, de toute façon je ne vois rien d'alléchant dans le topo qu'elle fait de ma vie si je quitte officiellement Yanis. En même temps, je ne me vois ni belle-mère ni co-épouse non plus. C'est à se tirer une balle.
Depuis la confirmation de la grossesse de Malika, j'ai retiré mon alliance et perdu mon sourire. Au taf, ma responsable m'a convoqué pour connaître les raisons de ma mauvaise humeur et de mes retards, j'ai évoqué un problème familial. J'ai été vague. Il ne faut jamais trop en dire dans le milieu professionnel, il n'y a rien de glamour à être la cocue de service, encore moins dans une boutique Séphora. Devant le rayon Chanel, j'attends que les heures passent, entre deux clientes je réprime un sanglot, je fais semblant d'éternuer pour justifier la brillance de mes yeux, je joue la femme enrhumée. Parfois des clientes pressées me tirent par la manche de ma veste noire, parce que semble-t-il j'ai les yeux dans le vague, je n'entends plus quand on m'appelle, je ne vois plus quand on me fait signe. Distraite. J'ai la tête ailleurs. Mal à la nuque. Je dors avec Karima dans son lit deux places au matelas plus dur que du béton. Mon lit me manque, les bras de mon mari me manquent. Je ne veux pas de cette vie-là, vie de fortune où l'on dort recroquevillée chez une pote qui ronfle et parle dans son sommeil, où l'on n'a ni baiser du matin, ni celui du soir, où l'on dîne seule devant Hanouna et finit par scroller des photos d'inconnus sur Instagram. Je ne veux pas de ça. Mais la dignité a un coût. Le payer c'est sans doute ce qu'il y a de mieux à faire.
Plusieurs fois je me suis refait le film dans ma tête, à quel moment j'ai cessé d'être une épouse désirable, une épouse qui tient son mari ? Parce qu'on le veuille ou non, on se la pose cette question même si ce n'est pas nous qui avons commis la faute, elle s'insinue avec perfidie dans nos têtes cette sale question pleine de culture du mâle qu'on doit captiver, aimer, dorloter, garder précieusement tout près de soi. Dans un couple on est deux, alors quand ça foire, il y a forcément des torts des deux côtés. Peut-être que je suis trop saine, trop propre, pas assez chieuse, pas assez piquante, pas assez hysteric love comme ils aiment tous dans le fond. Souvent, en montant les escaliers qui me mènent au petit appart de Karima, j'ai la haine, elle me monte au nez comme ça d'un coup, à mesure que je m'approche du pallier et j'ai envie de frapper Yanis, je me dis que c'est lui le salaud dans l'histoire, il ne mérite ni mes larmes, ni mon pardon, il a tout détruit, même le peu de confiance en moi que j'avais acquis à ses côtés ... J'ai plus rien. J'ai perdu du poids mais j'en avais assez pour que ça ne paraisse pas inquiétant, disons que je retrouve le poids de mes 18 ans quand la vie était douce et si tendre...
Yanis a beau m'appeler tous les jours et me faire du chantage affectif pour que je revienne à l'appart, je ne flanche pas. Je suis une femme très gentille, sans doute trop, seulement moi aussi j'ai mes limites. Il a fait un gosse à une autre. C'est dingue ! Quand j'ai appris la nouvelle, j'ai vomis mes tripes. Karima dit que c'était une mise en abyme assez pathétique. La maitresse est enceinte et c'est moi qu'ai mal au ventre et vomis. Karima est une pure littéraire, je crois que c'est normal qu'elle raconte de la merde, moi j'ai fait STG, je vais bien moins loin dans mes analyses.
Ni mes parents, ni mes frères ne sont au courant. Je garde tout pour moi. Je le fais pour me protéger, car si je viens à pardonner à Yanis, mes frères me traiteront de bouffonne et le mépriseront. Ils sont très protecteurs avec moi et n'ont pas leur langue dans leur poche, j'ai peur des conséquences. En attendant, je souffre le martyr. Karima m'a proposé de poser quelques jours, elle a un ami journaliste qui fête ses 30 ans « dans une baraque en Normandie ».  C'est comme ça qu'elle parle Karima, elle ne dit pas maison, elle dit « baraque », comme les parisiens Blancs de 50 ans. Des fois je l'imite, parce que je trouve ça marrant de s'exprimer comme des gens qu'on ne sera jamais, mais ça le fait moins bien qu'elle. Elle, elle a la gestuelle, elle fume, elle boit du vin, elle lit Libé et elle écoute du Gainsbourg, le matin. Elle est tellement folle ma Karima.
- Viens te détendre, je te présenterai mes potes de la rédac', y a des rebeus et des renois ne t'inquiète pas, tu ne seras pas en souffrance.
Elle l'a dit ce matin en enfilant un mommy jean brut. J'ai décliné l'offre parce que j'ai déjà participé aux soirées de Karima, il y a trop d'alcool, trop de joints, trop de gens qui finissent par dire ou faire des choses qui ne se font pas en public. Je n'aime pas avoir l'impression d'être la seule personne de la soirée qui a une conscience puis elle ne fréquente pas beaucoup de musulmans, je crois qu'elle le fait sciemment. A part moi, elle ne s'affiche avec rien de trop arabisant. Quand on est toutes les deux ça va, je la connais moi, mais eux ils ne connaissent que la Karima bardée de diplômes, qu'a les cheveux raides et qui kiffe Sagan et le Pinot Noir. La bouffeuse de cornes de gazelle, ils l'ont jamais vue.
Je ne sais pas si ça durera toute la vie ça... Je veux dire cette amitié. Parfois je me dis qu'il faudra bien qu'une renonce à son monde pour entrer dans celui de l'autre.
Alors que je rentre de ma journée exténuante de pleurs cachées, je découvre la voiture de Yanis garée devant chez Karima. Mon cœur bat à tout rompre. Mes doigts serrent fort le sachet de riz au curry que je viens d'acheter chez le Chinois du coin. En m'apercevant mon mari sort du véhicule. Il me demande comment je vais tout en gardant les yeux rivés sur ma bouche. Je ne flanche pas, je lui fais face, fièrement. Je mitonne, je vais bien blablabla, une meuf blessée dans toute sa splendeur. On échange quelques banalités puis il crache la raison de sa visite nocturne :
- Inès faut que tu saches que je t'aime.
- Drôle de façon de me le montrer.
- Ecoute-moi, il fait solennellement, mais dans la vie il faut aussi apprendre à assumer et c'est ce que je vais faire.
Je m'attends au pire, j'étrangle le sachet qui contient ma barquette de riz au curry.
- Voilà, tes deux semaines loin de moi m'ont permis de voir la vérité en face, il continue, je t'aime plus comme un frère aime sa sœur ... Mais c'est pas un amour qui peut aller loin ... Tandis que Malika, je la désire vraiment, il se passe un vrai truc et on va avoir un bébé ... Or avec toi même ça on n'a pas réussi c'est peut-être le signe...
- Tu rigoles là ? Je demande en haussant le ton.
- Ecoute-moi, il répète rapidement.
- NON ! J'écoute rien du tout espèce de sale fou ! Amour d'un frère pour sa sœur ? Donc toi tu couches avec ta sœur ? T'es qui toi en fait ? Incestueux !
- Ecoute-moi !
- Non mais là tu vas trop loin ! Que tu veuilles me plaquer, passe encore même si entre nous, c'était à moi de le faire, mais comme je suis une grosse conne, tu prends les devants, OK. Mais me sortir une phase de «  je t'aime comme un frère aime sa sœur », mais tu te rends compte comme ça me fait mal d'entendre ça ? Tu penses sincèrement que ce sont des choses qui se disent à une femme qu'on a épousé ? Tu me friendzones alors qu'on est mariés ! Tu m'as sorti de la maison de mes parents, ils t'ont fait confiance et toi tu m'humilies, tu me trompes et pour couronner le tout tu bafoues l'histoire qu'on a eu en me disant que tu m'aimes comme une sœur ? Mais que Dieu te fasse payer ton mauvais cœur !  Crasseux ! Tu me dégoûtes !  T'es un déchet humain, je suis choquée !
- Non ce que je veux te faire comprendre c'est que ...
- Que tu m'aimes pas ! Que tu m'as jamais aimée et qu'en fait tu me vois comme une sœur que t'a déviergée ? Sale pervers !
- Mais arrête de faire la meuf, il éructe. Je t'explique juste. On va pas continuer tous les deux alors que je vais être papa, je te respecte quand même.
- Tu me respectes ?
- Oui, je te respecte mais il faut se rendre à l'évidence, t'es jeune, t'as pas beaucoup de vécu ... C'est compliqué aussi.
Les larmes coulent, je m'écris :
- Qu'est-ce que mon inexpérience vient faire dans cette histoire ? T'es un queutard, c'est tout. Tu as su qui tu épousais, c'est moi qui me suis faite avoir donc remets pas la faute sur moi. T'es un mec sale,  c'est ça la conclusion ! Ça fait le beau devant la famille mais en sous-marin ça court après tous les culs de Paname, voilà la vérité. Maintenant, on va pas épiloguer cent ans, tu paies l'avocat pour le divorce, tu appelles mes parents au bled, tu leur dis que tu m'as trompé et voilà basta dans trois mois on en parle plus. Je veux juste que tu sortes de ma vie ! C'est très bien qu'on n'ait pas acheté d'appart ensemble, ça facilite tout. Et franchement je te souhaite de ne jamais regretter tout ce que tu m'as fait parce que je peux te dire que si un jour tu ressens ne serait-ce qu'un dixième de ce que je ressens depuis toutes ces semaines... Tu t'en remettras pas.

Il m'a regardé partir, il n'a pas pipé mot. Dans les escaliers, cette fois-ci aucune haine. Je me suis effondrée au premier étage, j'ai pleuré, ma barquette de riz toujours dans la main.
Je crois que j'ai ma réponse. C'est terminé.

Ce que femme veutWhere stories live. Discover now