"Indiscrétion" (John B)

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L'air de la nuit était doux et frais. La moiteur tenace du jour n'était plus qu'un lointain souvenir et je poussai un soupir de bien-être en étirant les bras.

Je préférais mille fois la nuit au jour. Étonnamment je la trouvais plus rassurante. Plus accueillante. Moins prétentieuse.

J'avais prétexté une ballade nocturne quand mon père m'avait interpelée sur le perron de la maison dans laquelle nous vivions tous les cinq, mes trois frères mon père et moi. Mais la vérité c'est que j'avais juste besoin d'air. Besoin de sortir de cette maison aseptisée, vide et morne. Depuis que maman n'était plus là rien n'était plus pareil. De toute façon il n'y en aurait pas un pour s'offusquer de mon absence. J'étais persuadée que mon père, après s'être vaguement enquis de mon départ, s'était immédiatement retiré dans son bureau pour une soirée de travail intensif, son unique échappatoire. Quand à mes trois grands frères ils ne verraient pas la différence. J'étais la petite soeur pénible et collante et ils préféraient de loin la compagnie de leurs amis respectifs que la mienne. Même si à vrai dire, seul Isaac avait véritablement des "amis" à ne savoir qu'en faire -les avantages des sportifs- amis que j'estimaient à titre personnel creux et intéressés mais enfin, il connaissait mon opinion à ce sujet. La seule compagnie que tolérait Tev quant à lui c'étaient ses clopes et sa bouteille de Jack. À l'heure qu'il était il était probablement en train de comater dans le sous-sol. Inutile de se demander que faisait Swann aussi; toutes ses nuits étaient dédiées à ses amis virtuels et aux camarades joueurs qu'il rencontrait par écrans interposés.

En y réfléchissant bien, chacun de mes trois frères avait géré son deuil à sa façon. Nous avions tous pallié à cette douleur trop grande de la mauvaise manière, en nous tournant vers le divertissement et l'addiction plutôt que vers les uns et les autres. Avec le recul, je crois que nous avions tous trop mal pour supporter de partager cette souffrance avec d'autres, quand bien même cela nous aurait délivré d'un poids. Mais quand on souffre on ne raisonne pas ainsi. On laisse sa souffrance couver à l'intérieur, bien au chaud, on la nourrit plutôt que de vouloir la partager parce qu'on croit que la formuler à haute voix ne fait que lui donner plus d'importance.

Finalement, nous étions cinq inconnus qui cohabitions par la force de l'habitude mais entre lesquels plus aucune dynamique familiale ne subsistait. Tous avaient l'air de très bien s'accommoder de cette liberté qui tenait plus du je-m'en-foutisme; mais personnellement je suffoquais de solitude.

Je secouai la tête pour chasser ces souvenirs en resserrant les pans de mon sweat autour de moi.

J'avais pris l'habitude de marcher le long des marais les soirs. Notre maison était située un peu à l'écart de la ville même, en pleine nature et donnait sur la mer.

Il y a quelques temps je ne me serais pas aventurée aussi loin au crépuscule; d'abord parce que ma mère ne m'aurait jamais permis de le faire. Les marais étaient dangereux, elle avait toujours peur soit que l'on tombe dans l'eau soit qu'on fasse une mauvaise rencontre car c'était un endroit regorgeant d'animaux dangereux. Mais le temps et son absence m'avaient rendue plus insouciante, ou moins prudente.

J'allongeai le pas en empruntant mon chemin habituel.

Un léger bruit attira soudain mon attention. Un bruit d'eau comme si un bateau fendait la surface des marais. Ce qui était étrange était qu'aucun phare n'était allumé, comme si l'embarcation voulait se faire la plus discrète possible. Instinctivement je me baissais.

Les yeux plissés, je tentais de distinguer l'origine du bruit et vit un bateau de taille moyenne qui n'était pas de première jeunesse et dont le moteur était éteint dériver tranquillement le long du chenal.

Outer Banks imagines Where stories live. Discover now