Chapitre 11.4

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Le début de l'après-midi était lugubre, bien que la pluie eût cessé de tomber. Le vent, lui, redoublait d'intensité. Nous nous engouffrâmes dans la Chevrolet, garée à l'extérieur du bâtiment. Nous étions sonnées par l'intensité des rafales qui nous giflaient le visage. Lexy et Masha prirent place à l'arrière tandis que je m'installais en vitesse sur le siège passager, aux côtés d'Asarys qui avait décidé de conduire.

— C'est quoi encore ça ? hurla mon amie au volant en découvrant la boîte de vitesses.

— Elle est manuelle, et alors ? demandai-je en levant un sourcil.

— Pourquoi n'est-ce pas une automatique ? Toutes les voitures sont...

— Le propriétaire a bien essayé de te prévenir, déclara Masha sur un ton morne. Mais tu t'es enfuie avec ses clefs, sans même un merci.

Nous nous tournâmes toutes les trois vers elle. La jeune femme, qui possédait une beauté si naturelle, se redressa subitement, mal à l'aise devant nos regards qui n'exprimaient aucune sympathie pour elle.

— Je peux me charger de la foutre dehors maintenant si vous êtes d'accord, dit Asarys d'une voix acide tout en continuant de la fusiller des yeux.

— Eh !

Lexy interpella Masha sur un ton rempli d'animosité.

— Tu ne fais pas partie de notre groupe ! Personne ne te donne la parole ici, et personne ne te demande de la prendre. OK ?

La jeune femme nous dévisagea l'une après l'autre, les sourcils froncés, avant de rétorquer :

— Mais vous êtes sérieuses ? Votre groupe, je m'en fous. J'ai juste dit... bref, laissez tomber.

Elle balaya l'air d'un geste de la main et se retourna vers sa fenêtre, sans rien ajouter.

— Maintenant que le spectacle avec guignol est terminé, nous pouvons y aller ? demanda Lexy en s'adressant à Asarys.

— Non ! répondit-elle en tentant de se maîtriser. C'est une boîte manuelle.

— Oui, je sais. Il y en a plein en France.

— Mais nous ne sommes pas en France, bon Dieu ! s'emporta Asarys, les yeux révulsés par la colère. Vous faites chier, vous les Français, à quantifier vos chiffres pour les rallonger comme pas possible, de foutre des boîtes manuelles à vos bagnoles et de rajouter le mot « petit » devant chaque mot. Je ne parle même pas de votre « ouh là, là ».

— Je vais conduire, lâchai-je sur un ton compatissant.

— Finalement, ton numéro était carrément plus intéressant que celui de Guignol, la provoqua Lexy. Toute cette tragédie dans ta voix, ouh là, là.

— Ferme-la ! lui ordonna Asarys qui s'installait à ma place.

Je coupai le moteur de la voiture près du port de Marina Del Ray et enfonçai mon visage dans mes mains pour mieux réfléchir.

— Où peut-il bien être ? murmura Asarys, inquiète.

— Nous avons ratissé toute la ville, ta maison, ainsi que les lieux qu'il a l'habitude de fréquenter, résuma Lexy à l'arrière.

— Il ne peut pas avoir quitté la ville, réfléchis-je à voix haute. Elijah ne partirait jamais sans nous avoir dit au revoir, sans nous avoir revues une dernière fois. Tous les bâtiments et magasins sont fermés. Les routes sont bouclées.

Je jetai ma tête contre l'appuie-tête derrière moi et fermai les yeux, démotivée.

— Votre ami est peut-être confiné dans un des lieux publics de la ville avec d'autres personnes.

Les paroles de Masha firent soupirer Asarys et Lexy. Avant qu'elles ne décident de l'assassiner sur place, je tournai le rétroviseur pour planter mes yeux dans les siens. La jeune femme parut déstabilisée le temps d'une seconde par l'intensité de la couleur de mes yeux et pour une fois, j'étais heureuse de l'effet qu'ils produisaient sur quelqu'un.

— Elijah n'est pas le genre de personne à se mélanger aux autres. C'est quelqu'un de solitaire.

— Et en plus de ça, il est pauvre comme un rat d'église, renchérit Lexy.

Asarys se retourna vers Masha :

— Faïz t'a-t-il dit pourquoi il avait besoin de lui ?

— Non, articula Masha de manière sentencieuse. Nous avons parlé de beaucoup de choses, mais pas de cet oncle SDF.

Je secouai ma tête et ravalai mon exaspération. Je remis le rétroviseur en place pour ne plus avoir à la regarder.

— Nous faisons quoi, maintenant ? demanda Asarys à voix basse.

Je détournai brièvement les yeux afin de rassembler mes esprits. Le visage souriant de Georgia m'apparut à cet instant. Son image fut déchirante. Une brusque envie de pleurer me fit me pincer les lèvres jusqu'au sang. Soudain, une falaise surplombant l'océan s'invita dans mes pensées.

— Rogers State Beach ! m'écriai-je brusquement.

— Il est là-bas ? demanda Asarys, pleine d'espoirs.

Le soulagement s'évanouit rapidement en moi lorsqu'un bruit fracassant, qui évoquait une sensation de dépressurisation, déchira le ciel. Nous levâmes toutes les quatre la tête. Le Dôme paraissait trembler sous une onde de choc, prêt à exploser.

— Roule ! hurla Asarys. Trouvons Elijah avant que le Dôme ne dégage un trop-plein d'énergie.

Sans attendre, je démarrai la voiture et appuyai sur l'accélérateur afin de rejoindre Rogers State Beach au plus vite. Les pneus crissèrent lors de mon demi-tour sur la voie, laissant derrière nous une traînée de fumée noire.

— Pavel a activé les tirs des lasers, s'exclama Masha, paniquée elle aussi.

— Faire exploser le Dôme lui servirait à quoi ? demanda Lexy.

— Le Dôme est censé protéger la ville de toute menace extérieure, répondit Asarys à sa place.

— Pavel ne peut attaquer L.A avec des armes atomiques tant que le Dôme sera là, ajouta Masha.

— Les tirs des lasers consistent en quoi ? demandai-je à mon tour, concentrée sur la route, le pied au plancher.

— Le Dôme est un bouclier fait principalement de champs électromagnétiques. Ces tirs créent un arc électrique qui produit à son tour une émission d'ondes électromagnétiques brèves à très fortes amplitudes. Ces ondes chauffent l'air jusqu'à produire une onde de choc puissante, assez pour le détruire.

— Appelle Barthey ou Faïz pour les prévenir, dis-je à Asarys.

— C'est trop tard, le réseau est hors service. Tous les moyens de communication sont au point mort, nous prévint Masha.

— Elle a raison, confia Asarys tout en regardant son smartphone. Encore un des pouvoirs de ces ondes électromagnétiques.

Nous longeâmes la côte sans faire attention au paysage. Le crépuscule étouffait peu à peu la faible lumière du jour, aidé par de gros nuages noirs menaçants qui s'étaient rassemblés au-dessus de la ville. Heureusement, les routes étaient désertes et les phares éclairaient parfaitement la chaussée.

— Encore combien de temps ? demanda Asarys en passant nerveusement ses mains dans ses cheveux.

— Cinq minutes, répondis-je d'un ton solennel.

Au fond de moi, je priai pour qu'Elijah soit là-bas. Il fallait qu'il y soit, même si je ne savais pas encore comment il pourrait nous être utile dans cette histoire.

Dark Faïz -T 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant