Chapitre 3.5

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FAÏZ

Sur le balcon, il leva les yeux pour observer l'inquiétante couleur du Dôme. Son visage n'avait pas vu de rasoir depuis quelques jours et pourtant son allure un peu plus négligée qu'à son ordinaire n'avait pas paru choquer la jeune femme qui s'était enfuie de chez lui. Une profonde intuition l'habitait depuis qu'il avait croisé son regard à la fois si différent, hypnotique et lourd de reproches. Malgré le fait qu'elle soit devenue cette femme au caractère tranchant et affranchi, quelque chose semblait la retenir, comme si elle était dépendante de quelqu'un ou de quelque chose. Faïz s'était retenu pour ne pas embrasser sa nuque quand elle avait tourné son visage. Son parfum si délicieux lui avait alors monté à la tête. Toutes ses conquêtes, ces cinq dernières années, n'avaient pas réussi à lui laisser le répit qu'il souhaitait : celui d'arrêter de penser à Zoé. À cet instant, il ferma les yeux et aspira une longue bouffée d'air frais. Le regard qu'elle lui avait adressé le hantait encore. Le jeune homme avait l'impression que, l'espace d'un instant, elle avait vu toutes les émotions chaotiques tapies en lui. Ses faiblesses, son désespoir. Une seconde lui avait suffi pour mettre son âme à nue, et Dieu savait qu'il aurait tout donné pour avoir l'âme moins laide et plus pure.

Quand il rentra ses mains dans les poches, il sentit la photo qu'il avait dissimulée peu de temps avant que Zoé ne rentre dans l'appartement. Faïz la sortit pour la regarder de nouveau. Celle-ci avait été jointe aux dossiers et noyée au milieu de toutes les notes de William. David, Ray et les autres ne l'avaient pas remarquée lorsqu'ils les avaient survolées. Ses doigts se resserrèrent sur la photographie en noir et blanc. La rage le prit aux tripes en scrutant l'homme sur le cliché. Pavel était le mal personnifié, son physique abject était à la hauteur de sa cruauté.

Dans la cour d'école maternelle, Las Flores, près de Malibu, Georgia dessinait des fleurs de toutes les couleurs à même le sol avec des craies, pendant que ses camarades étaient occupés à jouer à la marelle ou au toboggan. La petite fille attendait sagement que son oncle Elijah vienne la chercher. Impatiente de le retrouver, cette dernière jetait régulièrement des coups d'œil en direction du portail, prête à bondir dans ses bras lorsqu'elle le verrait arriver. La place se vidait petit à petit et malgré le fait qu'il y eût peu de monde dans l'enceinte de l'école, personne n'aperçut les étranges ombres menaçantes qui observaient la cour depuis les toits du bâtiment. Les corps, sans formes et brumeux, semblaient se tenir assis sur des chevaux tout aussi abstraits que leur cavalier. Ces ombres flottaient dans l'air, à quelques centimètres des tuiles, en dessous d'eux.

— Je profite encore plus de ces couchers de soleil depuis que je sais que ce sont les derniers.

La voix grave et caverneuse provenait d'un coin un peu plus retranché, à l'abri de la faible lumière. Les ombres s'agitaient et se déformaient davantage, sensibles à l'intonation de la voix de l'homme derrière elles.

— D'ici, elle ressemble à toutes les autres, continua l'individu sans prendre la peine de s'avancer au bord du toit. Rêve-t-elle de fées et de princesse comme les petites filles de son âge ? Ou...

L'homme s'arrêta subitement de parler, surpris par un détail qui paraissait lui échapper. Il décida alors de sortir de l'obscurité et, d'un pas lourd et assuré, marcha doucement pour rejoindre les spectres devant lui. Les ombres, toujours silencieuses, se mirent alors à s'étirer et à s'agiter nerveusement, comme connectées à l'énergie de ce chef qui ne portait qu'un pantalon en treillis militaire. Des tatouages étaient dessinés sur chaque centimètre de sa peau, mais aussi sur toute la partie de son visage qui représentait un squelette jusqu'en haut de son crâne. Les immenses cercles noirs, autour de ses yeux, accentuaient son regard démoniaque dont les globes oculaires étaient également remplis d'encre, recouvrant entièrement ses sclères. Les os de sa mâchoire, dessinés en relief, paraissaient presque vrais. Des implants, situés sous sa peau, ressortaient au-dessus de ses arcades sourcilières. Tout était fait pour voir un cadavre à la place d'un être humain et pour cause ! Il n'y avait pas d'âme plus noire sur cette terre. L'homme se concentra sur les chuchotements qu'il entendait à ce moment-là dans sa tête. Il s'arrêta de respirer et se mit à fixer scrupuleusement Georgia. C'était le mouvement de ses lèvres qui retenait toute son attention.

— À qui donc parle-t-elle ? s'interrogea l'homme, l'œil torve.

Celui-ci détacha les yeux de la bouche de la petite fille pour les porter sur les ombres qui l'entouraient.

— Restez près d'elle, jusqu'à hanter ses jolis rêves ! ordonna Pavel avec une expression malveillante sur tout le visage. Sa mère est soi-disant dotée de dons hors du commun...

Les ombres paraissaient crier silencieusement. Ces cavaliers des ténèbres tournoyèrent quelques instants avant de s'évaporer soudainement dans l'air. L'homme leva alors ses yeux menaçants vers le ciel :

— Une mortelle avec une âme aussi mutilée et torturée que la sienne est forcément diminuée. L'émeraude ne sera bientôt plus qu'un simple caillou, vidé de toute sa lumière. Rien ne pourra sauver l'humanité.


Dark Faïz -T 3Where stories live. Discover now