Chapitre 7 - Partie 2 : LA VILLE AUX CENT CLOCHERS

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La pluie avait repris de plus belle après une courte accalmie, aussi le feu de la cheminée et la chaleur familiale furent pour Alice maintes raison de profiter de ce moment. Le dîner était en soi simple, mais frugal : une soupe accompagnée d'une tartine de terrine, un pot au feu de bœuf et une tarte aux fruits de saison.

Toutefois, la conversation animée suffit à faire oublier l'agitation de ces derniers jours et le long voyage.

Curieusement, Alice n'avait jusqu'alors jamais imaginé une famille à Henry Delhumeau. L'homme semblait sortir d'une grotte où étaient exploités les actes héroïques d'un personnage de la mythologie. Il lui paraissait presque incongru de l'imaginer avec père, mère et une fratrie, plus encore étendu de neveux et nièces en si grand nombre et qui l'avaient accaparés durant tout le repas de leurs questions. A son grand étonnement, Henry fit montre d'une vocation filiale insoupçonnée. Aux interrogations, il répondait avec forts détails et moult petits mots que les enfants prenaient comme plaisanteries obscures. Mais il se montrait avenant, détaché de l'exécrable Henry Delhumeau de Londres. Le français était au contraire aimable, drôle et pince sans rire, attentif à chacun d'entre eux. Janus n'aurait pu avoir meilleur personnification.

Elle surprit plusieurs fois son regard se poser sur elle et Doraleen, comme s'assurant qu'elles tairaient l'existence de cet indélicat personnage jusqu'à omettre ce dont elles étaient témoins au quotidien.

Passé cette curiosité et les enfants enfin amenés à aller se coucher, Alice s'intéressa plus avidement à Petula Delhumeau qui monopolisa l'attention de ses invités. La gironde femme se montrait vivement gaie, indisciplinée, et menteuse.

A ce stade, Alice analysa le personnage avec grande considération, tant cela tenait de la pathologie. Et il n'était pas nécessaire de chercher d'où Henry pouvait tenir ses mauvaises manies avec les faits. La mère était une corne d'abondance dans ce domaine, parlant de tout et de rien, triturant le passé, faisant de lui un flagrant livre noirci d'événements rocambolesques dans lequel elle aimait plonger. Ainsi, Alice découvrit que Petula était vraisemblablement née à Londres où elle revint à l'aube de ses quinze ans. Or, elle se souvenait qu'à leur arrivée, madame Delhumeau avait évoqué son ignorance de la capitale de l'Empire britannique. Un mensonge parmi d'autres ou bien l'imbroglio d'un esprit perturbé par l'âge ?

Considérant plus intensément ses proches, tandis que Petula racontait maintenant comment elle avait servi d'appât dans un obscur complot visant à faire chanceler la monarchie anglaise, elle fut amusée de leur réaction. Henry et Charles trouvaient un même écho en sourcillant maintes fois, quand ils ne l'interrompaient pas pour demander explication ou la contredire, cherchant visiblement à démêler le vrai du faux et complotant sciemment et à l'unisson pour lui faire dire la vérité.

A leur contraire, Achille et Constance se montraient affable, voire laxiste. Preuve étant que certains s'offusquaient de la mythomanie de Petula, quand d'autres en faisaient omission.

Cependant, l'histoire était si riche d'aventure et de détails qu'Alice en construisit sa propre biographie de Petula Delhumeau, se disant que jamais elle ne saurait où étaient les pans de vérité dans ce maelstrom de faits.

Reprenant son analyse, Alice en vint donc à ses déductions. Petula serait donc née à Londres, dans Limehouse, à moins que ce ne fut dans Chelsea, d'un père pasteur puis maraîcher ou tonnelier. Sur ce point, elle pouvait en déduire que l'homme avait exercé ses fonctions dans une vie fait de vicissitudes. Ce qui semblait sûr, c'était que sa mère avait nul emploi et s'était occupée de ses quatre enfants, Petula étant la dernière. Alice en doutait, la faiblesse de l'âge dominant la peur de toute femme, et de Petula Delhumeau plus sûrement, de voir passer les années, elle devait vouloir se rajeunir. Ensuite, elle avait vécu dix ans en Cornouailles. Ses descriptions étaient assez fournies et denses en tout cas pour la persuader qu'elle y avait effectivement séjourné longuement par le passé. A ses quinze ans, elle avait fuit la maison avec un garçon à qui son père refusait sa main. Un garçon de son âge et qui prit dix années de plus au cours de l'histoire. Revenant à Londres, elle se serait détachée de son fiancé pour un homme plus âgé qui lui avait promis fortune. A partir de là, l'histoire de Petula prit une chemin plus incroyable.

66 Exeter Street, tome 3 : Les vacances de Monsieur DelhumeauWhere stories live. Discover now