Chapitre 2, Partie 1 : RED SKIRT

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Le 66 Exeter street, non loin de Regent's Park, était une maison de rapport liée au 68 par quelques travaux réalisés par sa propriétaire, Mrs Victoriana McFear. Une bâtisse à briques rouges, aux encorbellements blancs, fournie de trois étages et un grenier. Il y vivait toutes sortes de gens, venant parfois de bien loin et n'allant autre part que dans le quotidien de leur existence morne. Mais Mrs McFear tenait le 66 et le 68 avec beaucoup de rigueur. C'était là l'héritage de son défunt mari et son unique source de revenus et de fierté, hormis sa jeune nièce, Doraleen, qui depuis l'été dernier vivait sous son toit et l'aidait dans le quotidien de l'entretien de la maison. Elle avait pris de fait une place plus importante encore dans son cœur.

C'est que Mrs McFear pouvait paraître une femme sèche. Ses yeux noisette étaient d'une grande dureté et ses cheveux, qui avaient gagné en blancheur ces derniers mois, se bornaient à une coiffure basse, d'une mode passée depuis trente ans, mais toujours bien tenue. Quant à ses toilettes faites de couleurs sombres, elles ne laissaient entendre un manque de frivolité. En réalité, Mrs McFear n'avait jamais véritablement quitté le deuil.

Le poids des années se faisait donc sentir, mais elle avait cependant gagné ces derniers temps en calme et en joie, nonobstant ses colères envers son locataire français du premier étage, Henry Delhumeau.

Pour Alice Appletown qui la regardait s'échiner à préparer un thé du soir pour toutes deux, la voix guillerette qu'était la sienne ne tenait qu'à sa nièce Doraleen. Les deux femmes avaient apporté à l'autre soutien et amour.

Toutefois, Alice décelait derrière ce ton chantant, tandis que Victoriana McFear posait la théière sur la table de la cuisine, une façon de ne pas s'inquiéter.

Mrs McFear s'assit à ses côtés et toutes deux commencèrent à deviser de ce beau printemps quand la porte claqua.

Les deux femmes se levèrent, Doraleen n'était pas encore rentrée et l'heure tardive avait entamé leur inquiétude.

En l'occurrence, celle qui cristallisait leurs pensées ce soir n'était pas celle qui venait de franchir le seuil de sa porte. Il s'agissait plutôt de l'insupportable locataire du premier étage.

— Monsieur Delhumeau ?

— Henry !

Les deux femmes s'étant exclamées ensemble, le français en posa son bagage avec plus de fracas.

— Bonsoir, Mrs McFear et ma petite fouine.

Il eut beau scander avec joie devant ce manque d'entrain à son retour, le français affichait des journées de voyage et un périple encore douloureux à certains endroits de son corps. Les fils de sutures le tiraillaient tant qu'il se demandait d'ailleurs si Luz Petitpont n'avait pas sciemment abusé sur les points.

— Delhumeau ! Mais que faites-vous ici ?

Henry Delhumeau toisa Alice avec dédain, déposant son paletot sur son sac de voyage.

— Cela fait plaisir d'être accueilli si chaleureusement. Enfin, ma chère, avez-vous oublié l'éducation que vous aura donné votre défunte mère ? Quel hommage vous lui rendez, fit-il dans sa langue maternelle.

Henry ne s'exprimait d'ailleurs en français qu'en présence d'Alice. La jeune femme, qui avait appris les rudiments de par son éducation aristocratique, en avait massacré la langue tant de fois qu'il s'était fait un devoir de parfaire ses lacunes. Les premiers jours avaient été laborieux et lui avaient fait perdre le contrôle de son sang froid nombre de fois. Mais les semaines passantes, la jeune femme avait gagné en assurance. Aujourd'hui, elle parlait presque communément sa langue avec un accent charmant.

66 Exeter Street, tome 3 : Les vacances de Monsieur DelhumeauWhere stories live. Discover now