Chapitre 3 - Partie 2 : LES LARMES DU CIEL

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Une porte se referma à l'étage supérieur. Le grincement augurait, pour une habituée de la maison, qu'il s'agissait de la petite porte de la cuisine donnant sur le jardin attenant. Il lui avait semblé entendre une des lames du parquet de la cuisine craquer, des frottements erratiques. Était-ce une ombre qu'elle avait aperçu par l'entrebâillement de la porte de la cave ? Doraleen McFear tressaillit, confrontée au silence.

— Ma tante, c'est vous ? La voix se voulait assurée mais dénotait une tension.

Une goutte perla le long de sa nuque, picotant la chair rougie de sa cicatrice boursouflée et douloureuse.

La jeune femme, figée aux bas des escaliers, regardait en direction du haut des marches en attendant une réponse. La cave lui faisait peur petite et depuis cet hiver elle en avait horreur, mais elle y descendait par contrainte et toujours avec une certaine appréhension. Et quand elle y restait trop longtemps, il lui arrivait alors d'entendre ou de s'imaginer des choses qui n'étaient pas. Rien de plus. Pourtant...

Elle secoua la tête, se trouvant stupide, et s'épongea le front en se retournant pour considérer la fin de son ouvrage.

La lessive était la tâche la plus fastidieuse et épuisante qui fut. Ses mains baignant dans le baquet, frottant contre la planche et battant, secouant le linge humide qui avait fait de ses bras, deux membres ankylosés.

Soulagée d'en avoir terminé, Doraleen laissa choir la dernière chemise dans le panier à linge et consulta l'heure sur sa montre.

Le cadeau empoisonné de Daniel Delhumeau.

Par une sorte de folle coquetterie, Doraleen n'avait eu le cœur de s'en séparer et moins encore d'en toucher le moindre mot à Henry Delhumeau. Savoir, que son aliéné de frère lui avait fait un tel cadeau, aurait provoqué elle ne savait quelles réactions et la jeune femme avait souhaité l'éviter. Dans quel but véritable ? Doraleen ne voulait se l'avouer et avait gardé bien secret ce présent qui faisait son quotidien. Elle en avait coupé la mélodie, qui tintinnabulait d'ordinaire d'un simple petit bouton enchâssé dans le cercle argenté, et y avait enfermé en souvenir un bien précieux : la mèche de cheveux de son fils sous alimenté durant la grossesse et mort d'épuisement quelques jours après sa naissance.

Elle caressa la mèche protégée d'une capsule de verre et se remémora sa naissance douloureuse et difficile. Il s'était fallut de peut qu'elle accouche dans les rues de Whitechapel, jetée du workhouse, où elle avait trouvé asile durant cinq mois, en plein travail. Elle n'avait valu sa vie qu'à ses amies. Des prostituées qui l'avaient soutenue durant ses mois d'errance de leur jovialité.

Doraleen regretta de ne pas être allez leur rendre visite depuis qu'elle habitait le 66 et se promit de le faire dès que possible.

Elle referma la montre vivement et se sentit folle d'avoir gardé un tel présent. Plus exaspéré d'avoir laissé s'écouler trois minutes de son temps en des réflexions stupides alors qu'il lui restait tant à faire. Posant le panier à linge humide sur une tablette, elle allait prendre la boîte de pinces à linge, quand un miaulement la fit sursauter.

— Ah, te voilà Poppy. Deux jours que monsieur... Grand dieu !

Poppy, la mascotte de la demeure qui arborait sa petite frimousse si attachante, s'ébroua, dispersant un peu d'une poudre bleue dont il était recouvert. Un chat bleu qui aurait pu sortir droit de l'imaginaire de Lewis Caroll, voilà comment venait de se présenter le chat qui avait vagabondé dans le quartier ces deux derniers jours. Comme si cela ne suffisait pas à la surprendre, Poppy s'installa sur son derrière et commença à lécher sa patte avec arrogance.

— Mais où as-tu donc été te fourrer pour revenir dans un tel état ?

Vivement, Doraleen l'attrapa par la peau de la nuque et le gratifia d'un œil circonspect en le tournant dans tous les sens pour mieux juger des dégâts.

66 Exeter Street, tome 3 : Les vacances de Monsieur Delhumeauحيث تعيش القصص. اكتشف الآن