Chapitre 6 - Partie 2 : PAR MONTS ET PAR VAUX

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Charing Cross station était à la fois imposante et étriquée. Sa façade brute, décorée dans un pur style de la renaissance française, avait été inspirée de modernisme par son architecte avec son hangar vitré et de ses six voies dominées par un toit fait de voûtes en fer-forgé.

Dans le grand hall, la foule était plus importante que les compagnons de voyage ne l'auraient supposé. Delhumeau avait pourtant bien prévenu que la densification de la populace se faisait grande à cette heure du matin.

Il était devenu de plus en plus fréquent que même des gens de bonne famille s'installent aux abords de la capitale, non pas par soucis de loyer, mais pour échapper aux chapes de fumées nauséabondes qui noircissaient Londres. Ils cherchaient ainsi la verdure de la proche campagne londonienne et son air pur.

Toutefois, on avait difficulté à imaginer qu'autant de monde pouvaient prendre fait et cause à cette initiative, rendant la traversée du vaste hall de gare relativement difficile.

Regroupés au pied du wagon, Delhumeau s'amusait de voir les agents et Pope s'affairer dans leur cabine cherchant quelconque bombe. Ce n'était en soi pas inutile. Daniel avait, par le passé, déjà employé ce type d'engin explosif pour commettre des attentats qu'on ne pouvait pas indéniablement et intégralement lui imputer, ce dernier prenant toujours soin de ne pas laisser de preuve dans son sillage, moins encore de témoin. Mais Henry Delhumeau reconnaissait la patte de son frère et savait toujours quand il fallait prendre un fait, un accident somme toute malheureux, comme étant de son œuvre.

Il savait qu'en la circonstance, il n'avait rien à craindre, ni lui ni ses compagnons. Tant qu'il se trouverait dans la même pièce que ses amis, ceux-ci seraient de sorte protégés de la moindre tentative de meurtre à leur encontre. Mais l'aura ne faisait pas tout et le français restait sensible à tout ce qui l'entourait.

Un train venant d'entrer en gare déversa son flot de voyageurs matinaux sur le même quai où ils se trouvaient.

— C'est bon ! Vous pouvez monter, affirma Pope.

— Ravi que le service secret anglais soit si prompt à son devoir, lança Alice à l'agent Pope.

Celui-ci sourit encore en peine de sa bêtise et laissa descendre deux des trois auxiliaires qui l'avaient aidé dans sa fouille minutieuse.

L'un deux, un homme à la moustache très fournie, la regarda de biais et la salua d'un revers de chapeau affublant sa politesse d'un mademoiselle bien français.

La jeune femme arqua un regard sur Delhumeau qui se crispa pour cacher son amusement, là où Pope offrit une réponse plus flagrante, mais tout autant sarcastique.

— Vous voyez, nos deux pays travaillent en bonne intelligence.

Alice inspira et parvint à dégager un visage dépourvu de toute affection.

— Bien sûr. Mais comme vous me l'avez fait remarquer, je manque d'intelligence, monsieur Pope.

Alice n'attendit pas sa réponse et monta la première dans le compartiment que Henry avait réservé.

— Ce n'est pas ce que...

Déconcerté, Pope regarda ses pieds et ne broncha pas quand Ferguson lui attribua une tape qui se voulait amicale, mais qui ne l'était en rien. Il commençait à aimer cet écossais et s'amusait cependant de la répartie de la jeune femme.

— N'y voyez rien de personnel, mon garçon.

Pope sentit le feu lui monter au joues de se voir ainsi régressé au rang d'enfant, quand il venait de fêter ses vingt-six ans. Mais, ayant appris la mesure, il se contenta de serrer les dents et de regarder le docteur aider son épouse à s'installer. Il considéra le cœur léger cette masse de jupons bleus clairs auréolant ce visage gracieux. Toutes les femmes gravitant autour de Delhumeau étaient belles. A quoi cela tenait-il ? Les attirait-il à lui comme un aimant, ou bien était-ce au contraire lui qui n'était qu'un astre tournoyant autour de ces beautés ?

66 Exeter Street, tome 3 : Les vacances de Monsieur DelhumeauOnde as histórias ganham vida. Descobre agora